Comment les maisons d’éditions japonaises réagissent-elles à cette façon peu orthodoxe de travailler ? “Très mal ! Ça ne fait pas du tout partie de leur culture même si, dans l’archipel, ils ont un système de distribution du livre plutôt sain comparé au nôtre. Les auteurs récupèrent les droits de leurs œuvres au bout de dix ans et tant pis pour l’éditeur s’il ne les a pas renouvelés. Les mangaka sont heureux d’être, pour une fois, payés rubis sur l’ongle dès la signature et, surtout, de voir que leurs livres sont édités à l’étranger dans des éditions respectueuses de leur travail. Quand on me ferme la porte, je passe par la fenêtre mais, c’est clair, chez Shûeisha (éditeur de Shônen Jump) ils ont dû afficher ma tête avec marqué WANTED !”, lâche-t-il. A défaut de voir sa tête réellement mise à prix, Alexandre Regreny commence à recevoir, depuis peu, des courriers peu amènes d’éditeurs nippons et de leurs agents européens. “Je n’ai pourtant pas cassé les codes pour le plaisir… Désormais, on fait pression sur des auteurs pour qu’ils ne travaillent pas avec nous. On voulait éditer Macross d’Okazaki, mais le scénariste en a parlé à son éditeur qui lui a tout de suite dit non. Il paraît que nous ne sommes pas fiables.”
Pour concrétiser ses choix audacieux, Black Box s’appuie depuis six ans sur une fidèle communauté de lecteurs via une page Facebook très active. C’est l’occasion d’avoir leur avis sur l’acquisition de telle ou telle série avant de lancer un financement participatif qui permet de payer les droits d’auteur du mangaka. “Tous nos financements participatifs ont marché. Ça a parfois été laborieux mais, en définitive, nos lecteurs ont toujours répondu présents ! Notre plus gros pari ça a été Urotsukidôji”, explique-t-il. Le manga érotique culte de Maeda Toshio est sorti dans une édition qui rend justice à ses tentacules baladeuses. “C’est Maeda qui est venu vers nous lors d’un salon. J’avais mes doutes parce que ça reste un bouquin assez sulfureux et qu’il fallait réunir une grosse somme mais le financement participatif de 8 000€ a été bouclé en 48h, un record !”
Le titre de cet article n’est donc pas tout à fait correct. Alexandre Regreny n’est pas un pirate, mais plutôt un corsaire. Un corsaire déterminé au service de lecteurs avides et curieux. Malgré une traversée dans une mer agitée (voire en eaux troubles), avec pas moins de 37 nouveaux livres par an et le planning de ses financements participatifs bouclé jusqu’en octobre 2020, rien ne semble pouvoir arrêter le vaisseau Black Box. À la barre, le capitaine a encore des envies à foison. “J’ai une énorme pochette de projets et je n’en ai bouclé qu’un tiers. Des collègues comme Cornélius (qui édite l’immense Mizuki Shigeru) font un boulot formidable, mais restent des éditeurs de niche. Or, sans vouloir concurrencer Kana ou Glénat, on aimerait toucher un public le plus large possible. C’est un équilibre difficile à trouver, mais on y travaille chaque jour. Un autre de mes rêves est d’éditer Gu Gu Ganmo de Hosono Fujihiko (dont le délirant anime a fait la joie des petits téléspectateurs de la 5 il y a une trentaine d’années). L’auteur est encore réticent, mais je n’ai pas dit mon dernier mot.” Gageons que, si ce projet se concrétise, le petit oiseau bubble-gum ne pourrait trouver plus beau nid.
Jérémie Leroi
Référence
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