Elle a fini par divorcer à 52 ans et un an plus tard, elle est partie en Amérique pour étudier la gérontologie. “A ce moment-là, je me suis promise de profiter pleinement du reste de ma vie, peu importent les circonstances. Je voulais aussi me préparer au vieillissement, apprendre à rester en meilleure santé tout en restant la plus heureuse possible le plus longtemps”, raconte-t-elle.
Aussi est-elle sensible à la décision de Mariko de quitter la famille de son fils. “Je n’ai jamais cru aux familles multigénérationnelles, surtout quand les parents vieillissent. Au Japon, beaucoup de gens le tiennent pour acquis ou espèrent au moins que leurs enfants s’occuperont d’eux. Je comprends que la solitude est difficile, mais je suis contre. Peut-être que par le passé, il était possible de prendre soin de ses parents âgés lorsque des personnes mouraient plus jeunes, mais vous ne pouvez tout simplement pas demander à des personnes de 60 ou 70 ans de s’occuper de leurs parents âgés de 80 ou 90 ans. C’est tellement dur physiquement et mentalement, il n’est pas étonnant qu’ils deviennent déprimés, malades ou finissent par tuer leurs parents. Après avoir entendu une histoire triste après une autre, vous commencez à vous demander quelle est l’utilité de vivre avec vos enfants mariés lorsque vous vous détestez les uns les autres”, assure-t-elle. “Je souhaite que mes enfants soient heureux et je ne veux pas être un fardeau. J’ai été très claire avec eux. Je leur ai dit: ‘Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais me débrouiller toute seule. Ne vous attendez pas à recevoir de l’argent à ma mort, je vais en avoir besoin pour aller dans une maison de retraite.’”
Dans Sanju Mariko, on reproche souvent à l’héroïne d’être égoïste ou d’agir à l’encontre de son âge, mais Takino Fumie pense que ses choix de vie ne sont pas injustifiés. “Quand j’ai annoncé à ma famille et à mes amis que je commençais une équipe de pom-pom girls, ils en sont restés bouche bée. Mes deux enfants n’ont rien dit (à ce moment-là, ils étaient habitués à mes excentricités), mais ma famille a été complètement interloquée (rires). Ils étaient surtout opposés à l’idée que je montre mes jambes. Vous savez, les dames sont censées être décentes. N’importe quoi ! Par-dessus le marché, le fait que nous soyons vieux revient, pour certaines personnes, à être mort. Mais, moi, je m’en moque”, affirme-t-elle.
“En réalité, tous ces gens – même les soi-disant experts – ne savent rien de nos besoins. Ce que veulent vraiment les personnes âgées et ce que les autres pensent que nous voulons n’ont rien à voir, vraiment rien. Nous pouvons être vieux, mais nous avons les mêmes besoins et désirs. Les gens sont vieux jeu. Même les jeunes pensent que les personnes plus âgées ne devraient pas porter de couleurs vives ni de minijupes, ne pas se rendre à des rendez-vous amoureux ni sortir pour boire. Ils semblent penser que lorsque vous vieillissez, vous ne tombez pas amoureux et ne faites pas l’amour. Je vois les choses différemment. C’est ma vie après tout et je ne veux pas être limitée dans ce que je fais par l’opinion des autres. La vie est courte et nous devrions en profiter le plus possible”, ajoute-t-elle.
Takino Fumie a été moins impressionnée par certaines des histoires incluses dans Yûgure he, en particulier Bocchi-shi-no-yakata (voir pp. 13-14), qui traite de personnes âgées vivant seules dans un grand ensemble. “Je pense que l’auteur a bien saisi le sujet et le maîtrise parfaitement. Cela dit, je dois avouer que je déteste ce genre de vieille dame un peu commère. J’ai probablement trouvé ce manga moins intéressant parce que je connaissais ces choses depuis longtemps. Simone de Beauvoir a été le premier écrivain à s’attaquer aux problèmes de la vieillesse d’une manière franche et honnête. Je me trompe peut-être, mais je trouve que le mangaka [Saitô Nazuna] a une approche plutôt masochiste de ces questions. En tout cas, je me demande si ces mangas ont du succès”, lance-t-elle.
L’un des thèmes principaux de Yûgure he concerne la solitude dans la vie et face à la mort de ces personnes, une chose dont Takino n’a pas vraiment peur. “J’ai eu beaucoup de chance jusqu’à présent de ne pas avoir eu de gros pépins de santé. Je suppose que c’est dans mon ADN”, reconnaît-elle. “Je mange ce que je veux et je ne fais rien de spécial. C’est peut-être le secret de ma bonne santé. Je ne m’inquiète pas, comme certaines personnes le font constamment. Mes amis consultent toujours le médecin. ils reviennent de l’hôpital avec plein de médicaments. Est-ce vraiment bon ? Je suis certainement en bonne santé, mais la vérité est qu’une fois que vous atteignez l’âge de 70 ans, vous dégradez. Au Japon, les femmes vivent en moyenne 87 ans et les hommes jusqu’à 80 ans. Mais la durée de vie “en forme” est en moyenne de 10 ans inférieure pour les deux sexes, ce qui signifie que pour beaucoup de gens, les dix dernières années dans ce monde sont tout sauf agréables physiquement ou mentalement. C’est la raison pour laquelle je suis encore pom-pom girl à 87 ans”, dit-elle.
“Le message que nous voulons transmettre est que lorsque vous devenez senior, vous n’avez pas à rester assis sur un canapé toute la journée. Il faut se remuer et faire quelque chose. C’est l’exemple que nous essayons de donner. Le mot que je déteste le plus est “regret”. Je trouve cela tellement triste de regretter toutes les chances que l’on n’a pas saisies. Si vous voulez faire quelque chose, faites-le maintenant, parce que vous ne savez jamais ce qui peut arriver. Et soyez reconnaissant de la joie que la vie vous apporte”, conclut-elle.
G. S.
Expérience : Aussi vraie que nature
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