Au milieu du XIXe siècle, la zone n’était qu’un ensemble de cinq petites villes et deux villages. Cinquante ans plus tard, ses quelque 27 500 habitants pesaient peu face aux quartiers du centre de Tôkyô comme Kanda avec 150 000 habitants et Nihonbashi avec 126 500 résidents. Cependant, le tremblement de terre de 1923 et ses nombreuses destructions au cœur de la capitale ont poussé de nombreuses personnes vers sa banlieue est. En 1930, la population de Katsushika avait triplé pour atteindre 84 456 personnes. Dans le même temps, de plus en plus d’usines s’y sont implantées, quittant le centre-ville. On recense alors 126 entreprises de plus de cinq personnes employant au total 3 900 personnes. Parmi celles-ci, plus de la moitié sont spécialisées dans le celluloïd. Il s’agit de la plus grande concentration de ce genre à Tôkyô. Des années plus tard, ces ateliers – pour la plupart de petites entreprises familiales – vont fournir aux consommateurs insatiables des jouets des millions de poupées Kewpie, Licca-chan et Barbie (voir p. 10). Avec la guerre du Pacifique, la demande de munitions augmente considérablement. En 1943, le nombre d’usines est passé à 2 350 et la population active à 58 000. Le prix peu élevé des terrains et la présence de nombreuses rivières facilitant le transport y attirent des entreprises comme Mitsubishi Paper Mills, Edogawa Chemicals, Miyamoto Textiles et Toyo Ink.
Cependant, même après avoir acquis, en 1932, le statut de ku (arrondissement), Katsushika ressemblait toujours à un district rural. Sa transformation en véritable shitamachi de banlieue n’a eu lieu que pendant le développement économique rapide du pays après la guerre. En 1965, sa population active totale s’élevait à 225 944 personnes, dont la moitié était des cols bleus. C’est au cours de ces années que Katsushika a acquis cette atmosphère typique de l’ère Shôwa qui attire aujourd’hui de nombreux nostalgiques du bon vieux temps.
Depuis des temps immémoriaux, ses habitants vivent, travaillent et jouent avec – et se sont souvent battus – contre l’eau. Un coup d’œil rapide à une carte montre clairement les relations étroites de Katsushika avec certains des principaux fleuves de Tôkyô. Le quartier actuel est flanqué de l’Arakawa et de l’Edogawa. Il est traversé par plusieurs autres rivières et canaux, notamment le Nakagawa, dont l’inondation catastrophique de 1947 après le passage d’un typhon est encore dans les mémoires. A l’époque d’Edo (1603-1868), les habitants du centre-ville étaient fascinés par son magnifique paysage idyllique, qui a même été décrit par plusieurs artistes, dont le célèbre maître des estampes Hiroshige.
Les Japonais entretiennent depuis longtemps une relation symbiotique avec l’eau. Encore aujourd’hui, près de la rive du Nakagawa, en face du quartier de Tateishi, vous pouvez trouver un monument en pierre dédié à Suijinsama, divinité de l’eau censée protéger les pêcheurs et les femmes enceintes. Les habitants ont toujours prié pour que l’eau soit non polluée et suffisante pour la consommation humaine et l’agriculture. En plus des prières, la ville a donné un coup de pouce technologique en y bâtissant, en 1926, une station d’épuration d’eau à Kanamachi, qui dessert encore aujourd’hui toute la partie orientale de Tôkyô et permet de pomper jusqu’à 1,5 million de tonnes d’eau dans l’Edogawa.
Les cours d’eau de Katushika étaient jadis si propres qu’ils fournissaient une grande partie du poisson pour les restaurants locaux, et ses usines de textile lavaient leurs vêtements teints dans leurs eaux. Les enfants nageaient dans les canaux et chassaient les écrevisses le long de leurs rives. Mais avec la croissance économique rapide de l’après-guerre, l’Arakawa et le Nakagawa sont devenus des bassins fétides dans lesquels les usines, grandes et petites, y déversaient leurs déchets. Entre les années 1960 et le milieu de la décennie suivante, leurs eaux se sont transformées en une boue brunâtre éliminant tous les poissons et tenant les gens à distance. Heureusement, la conscience environnementale a pris le dessus à la fin des années 1970 et les rivières de Katsushika sont devenues bien plus propres. En 1992, l’usine de Kanamachi s’est même dotée d’un système avancé de traitement de l’eau à l’ozone qui lui permet de commercialiser désormais sa propre marque d’eau embouteillée, Tôkyô-sui (Eau de Tôkyô).
La flore est un autre thème récurrent de l’histoire de Katsushika. Son nom lui-même proviendrait de l’arrow root (Maranta Arundinaea), une plante qui poussait jadis dans la région et dont le nom japonais, kuzu, peut également être prononcé katsu. Le nom apparaît plusieurs fois dans le Man’yôshû, célèbre anthologie de poésie japonaise du VIIIe siècle. Cependant, l’iris est sa fleur la plus connue. Le jardin d’iris le plus connu de Tôkyô est sans doute celui relativement petit du sanctuaire Meiji à Yoyogi, mais si vous voulez vraiment profiter de cette fleur, rendez-vous à Katsushika, la véritable “terre de l’iris” à Tôkyô. C’est ici, dans les marais le long de l’Arakawa et de l’Edogawa qu’on trouve des milliers d’iris en fleurs tout au long du mois de juin. Le jardin Horikiri, près de l’Arakawa, est le plus connu. Créé par un agriculteur local au début du XIXe siècle, il est devenu si populaire qu’il a même été immortalisé par Hiroshige dans sa série Cent vues d’Edo. À ce jour, seul l’un des cinq jardins d’origine a survécu. Si vous voulez vraiment être submergé par le mélange spectaculaire de violets, d’indigos et de blancs, vous pouvez vous rendre dans un parc plus récent (ouvert en 1965), mais beaucoup plus grand, le Mizumoto Kôen.