À propos des Jeux olympiques de 1964, il estime que “ces Jeux ont dû coûter une fortune. Je me demande pourquoi tous les pays participants ont enduré un tel sacrifice financier, juste pour avoir le droit de participer à un événement sportif.” Cependant, son opinion s’est un peu adoucie pendant l’événement. En fin de compte, il a convenu que “la guerre ne laisse que la mort et la haine dans son sillage, tandis que le sport a le pouvoir d’inspirer l’amour et l’amitié même lorsque vous vous retrouvez du côté des perdants”.
Même le créateur de mangas et de films d’animation aujourd’hui âgé de 86 ans, Suzuki Shin’ichi a été emporté par l’enthousiasme général. Au cours des 15 dernières années, il a dirigé le Suginami Animation Museum, à Tôkyô (voir Zoom Japon n°96, décembre 2019). En 1964, il avait 31 ans et était occupé à présider sa petite société d’animation, Studio Zero, et à travailler pour Tezuka Osamu.
Né à Nagasaki en 1933, Suzuki Shin’ichi a émigré avec sa famille en Mandchourie quand il était enfant et n’est revenu au Japon qu’après la guerre, en 1946. “J’ai commencé à dessiner des mangas quand j’étais au lycée”, se souvient-il. “L’éditeur Katô Ken’ichi avait lancé un nouveau magazine appelé Manga Shônen, et des gens de tout le Japon avaient été invités à y contribuer. J’ai envoyé de nombreuses histoires et plusieurs d’entre elles ont été publiées. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à penser que j’étais peut-être assez bon pour devenir mangaka professionnel.”
Il déménagea dans la capitale en 1953. Après avoir passé trois mois chez des amis de sa famille, il reçut une invitation de Terada Hiroo, un autre contributeur au magazine Manga Shônen, pour emménager à Tokiwasô, un immeuble où Terada vivait avec leur idole d’enfance Tezuka Osamu et deux autres jeunes mangakas qui signaient leurs œuvres sous le nom de Fujiko Fujio, et qui allaient devenir les créateurs mondialement connus de Doraemon.
Suzuki Shin’ichi a continué à faire des mangas tout en travaillant dans un studio de design, mais lorsque Manga Shônen a fait faillite, sa principale source de revenus liée à la bande dessinée s’est tarie et il a accepté une offre pour rejoindre Otogi Productions, le studio d’animation de Yokoyama Ryûichi où il a travaillé environ sept ans avant de fonder avec Fujiko Fujio et d’autres mangakas, sa propre entreprise, Studio Zero.
“Nous ne produisions pas d’histoires sportives”, raconte-t-il. “Car pour réussir à produire un dessin animé supokon (voir p.5), il fallait être bon pour dessiner les muscles et autres détails physiques. Nos personnages, en comparaison, étaient beaucoup plus simples. J’étais pourtant un grand fan de base-ball. J’avais l’habitude de suivre les Nishitetsu Lions (aujourd’hui les Saitama Seibu Lions) qui ont remporté le championnat trois saisons d’affilée à la fin des années 1950. Otogi Productions avait une équipe de base-ball, mais nous étions tellement mauvais que nous perdions tout le temps. Terada Hiroo et Fujiko Fujio nous rejoignaient parfois. Ishinomori Shôtarô n’avait pas de chaussures de sport alors il jouait en geta (sabot japonais en bois) (rires). Nous étions désespérés. Seul Terada était bon. Il était assez grand et avait joué au niveau semi-professionnel avant de devenir mangaka. Il a même créé quelques mangas de base-ball comme Uniform No. 0 ou Sportsman Kintarô, bien avant l’essor des mangas de sport”, ajoute-t-il.
En 1964, Suzuki vivait à Kamakura chez un ami et faisait chaque jour la navette pour Nakano, à Tokyo, où se trouvait le Studio Zero. “Le relais de la flamme olympique est passé près du bâtiment où était installé le studio, le long d’Ôme Kaidô, l’une des principales artères de Tôkyô. J’ai vu à la fois le coureur de la flamme olympique et les avions à réaction lorsqu’ils ont survolé la capitale et ont dessiné les anneaux olympiques dans le ciel le jour de la cérémonie d’ouverture”, confie-t-il.
“Comme la plupart des gens, j’ai été ravi par les Jeux olympiques même si, en dehors du base-ball, je n’étais pas un grand fan de sport. Je pense que je n’ai vu qu’une seule épreuve en direct. C’était un match de volley-ball. Plus que le sport lui-même, j’étais – eh bien, tout le monde était – heureux de vivre ces moments de passion collective. Tôkyô a beaucoup changé et est devenue la quintessence de la modernité. Bien sûr, tout n’était pas réussi. Beaucoup de gens portaient des masques non pas parce qu’ils avaient un rhume ou qu’ils voulaient se protéger des germes des autres ; c’était à cause de la poussière produite par tous les travaux de construction et de travaux publics en cours dans la ville. L’air était de mauvaise qualité, mais à cette époque, la plupart des gens étaient d’accord pour dire que malgré tout, c’était une amélioration. Nous voulions profiter du progrès. Après mon retour au Japon en 1946 et avoir été témoin de la destruction tout autour de Nagasaki, je ne pouvais qu’être optimiste pour l’avenir”, déclare-t-il.
A cette époque, la plupart des ménages avaient acheté un téléviseur pour suivre les Jeux à la maison. Les JO étaient partout. “Je me souviens que de nombreux magazines hebdomadaires et mensuels, comme Manga Ô publiaient des histoires liées au sport et des jeux pour les enfants sur le thème des Jeux olympiques. L’une des mangaka qui a le mieux présenté l’événement dans ces histoires est Hasegawa Machiko. Son yonkoma (manga en quatre cases), Sazae-san, paraissait quotidiennement dans l’Asahi Shimbun. Elle pouvait donc faire des références opportunes à ce qui se passait à ce moment-là. Il y a une histoire, par exemple, où Namihei, le père de Sazae, ne se sent pas bien. Les autres membres de la famille minimisent son problème mais deviennent désespérés lorsque le téléviseur tombe en panne parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir regarder la cérémonie d’ouverture. Dans cette histoire, la mangaka fait écho aux critiques qui pensaient que tout l’argent dépensé pour les Jeux olympiques aurait pu être utilisé à de meilleures fins”, explique Suzuki Shin’ichi.
“Dans une autre histoire (voir ci-contre), Namihei ivre s’inquiète du temps : la pluie constante pourrait ruiner la cérémonie d’ouverture du lendemain. Puis il lève les yeux vers le ciel nocturne et voit beaucoup d’étoiles, mais il est déçu quand il se rend compte que ce n’était qu’un drapeau américain.” En effet, dans les mangas de Hasegawa Machiko publiés à cette période, on trouve de nombreuses allusions aux conditions sociales de l’époque et à la manière dont les Jeux olympiques ont pu affecter et émouvoir les Japonais à cette période.
J. D.
Hier : Les JO de 1964 étaient à croquer
1 2