Lors de certaines catastrophes, les Japonais ont parfois eu des réflexes xénophobes comme aujourd’hui à l’égard des Chinois. Est-ce une spécificité japonaise ?
S. G. : Je ne crois pas que ce soit le seul fait du Japon. On peut le constater un peu partout. Le département d’Etat vient juste d’émettre un avertissement pour les Africains-Américains afin qu’ils ne se rendent pas dans le sud de la Chine parce qu’ils risquent “d’être attaqués ou d’être mis en quarantaine”. Aux Etats-Unis, on a recensé de nombreuses agressions contre des personnes d’origine asiatique. La quête du bouc émissaire est un phénomène général. Notre président, Donald Trump, a même affirmé qu’il s’agissait d’un complot des Africains-Américains à New York de tomber malade afin de porter préjudice au reste du pays. Cela dit, il va de soi qu’il existe une spécificité locale. Evidemment la longue histoire entre les Japonais et leurs voisins chinois et coréens contribue à faire de ces derniers des boucs émissaires évidents dans des situations données. Le sentiment de supériorité que les Japonais peuvent avoir à l’égard des Chinois ou des Coréens s’explique par leur attitude au moment où ils ont occupé les territoires de ces populations. Il faut donc chercher ses relents de racisme dans cette histoire agitée (voir Zoom Japon n°40, mai 2014).
Quelles ont été les particularités des actions entreprises par les autorités par le passé ?
S. G. : Comme je l’ai dit précédemment, l’Etat a pu s’appuyer sur différentes infrastructures pour mener ces différentes campagnes. Il a aussi pu compter sur une spécificité de cette partie du monde selon laquelle chaque individu doit faire partie du mouvement. Si, par exemple, chaque village décide de s’attaquer aux moustiques, le problème sera résolu en moins d’une semaine grâce à cette mobilisation de tous. La dernière grande campagne remonte aux années 1970 après le premier choc pétrolier de 1973-1974 quand le gouvernement a lancé une gigantesque campagne pour faire des économies, mais aussi des initiatives en faveur de la protection de l’environnement afin de réduire la consommation d’énergie et de préserver les finances publiques. En procédant de cette manière, les gens consommaient moins et les entreprises pouvaient réduire les salaires afin de relancer les exportations. Ce fut une énorme campagne de mobilisation très concrète.
Par la suite, la campagne pour le bien-être est aussi intéressante. Lancée à la fin des années 1970 avec ce que le gouvernement a qualifié de crise du vieillissement de la population, elle avait pour but de montrer que le modèle européen d’état providence n’était pas adapté au Japon. Il fallait que le Japon s’appuie davantage sur un programme de soins communautaires, sur la famille, sur les entreprises et l’Etat a mis sur pied des groupes de volontaires au niveau local en renforçant ce qui existait déjà. Le pays n’avait pas les moyens de reproduire ce qui pouvait, par exemple, exister en Suède et préférait créer quelque chose fondé sur une base familiale et communautaire. Ce fut aussi une grande campagne, mais moins visible que la précédente dans la mesure où il s’agissait d’une crise à long terme. Reste que depuis les années 1990, on assiste à un rapide déclin de ce genre de mouvements de mobilisation.
A vous écouter, on a l’impression que les Japonais se distinguent par une approche à long terme.
S. G. : C’est juste. Si je prends le cas des Etats-Unis, il n’existe aucun plan à long terme. En Europe, je ne suis pas sûr que ce soit vrai dans la mesure où il existe une approche plutôt technocratique dans la gestion locale. Même si le succès n’est pas toujours au rendez-vous, il existe un certain respect de l’expertise. La présence d’experts au sein de diverses structures de gouvernance dans la plupart des pays européens ne les distingue pas du Japon dans la mesure où les dirigeants japonais, à la fin du XIXe siècle, ont remodelé l’Etat japonais en se fondant sur ce qui existait en Europe. Il y a donc toujours eu une culture de l’expertise dans l’Archipel et une planification à long terme.