Figure issue du folklore, l’Amabié qui guérit des maladies contagieuses fait désormais recette.
Connaissez-vous Amabie, ce yôkai (esprits, démons, voir Zoom Japon n°75, novembre 2017) prophétique guérisseur de maladies contagieuses ?
Selon la croyance, ce yôkai surgissant de la mer sous la forme d’une sirène serait le signe annonciateur d’une bonne récolte ou au contraire de la propagation de maladies contagieuses. Un document du XIXe siècle recommande de brandir son effigie pour échapper à la catastrophe. Cette figure mythique, qui n’était pas forcément célèbre, a bien vite été rappelée depuis la pandémie de la Covid-19, afin de détourner le mal qui s’abat sur nous.
Les dessins de cet adorable monstre marin se sont mis à fleurir sur les réseaux sociaux sous le hashtag #amabiechallenge. Mais la vogue ne s’arrête pas là. Début avril déjà, on a commencé à assister à l’apparition de pâtisseries en forme d’Amabié partout dans l’Archipel.
On le retrouve le plus fréquemment dans la pâtisserie japonaise traditionnelle, puisque la pâte blanche qui en est la base est facile à modeler et colorer. Chacun imagine son Amabié, afin qu’il soit aussi appétissant que mignon à regarder.
Midori Seika, une pâtisserie populaire d’Ôsaka, vend des sucettes “Amabié” à 300 yens (2,6 euros) ; chez Isogo Fûgetsudô, pâtisserie traditionnelle située à Yokohama, il est possible de commander une friandise sophistiquée qui arbore un motif d’Amabié et de vagues bleues, autre motif traditionnel. Le dorayaki (voir Zoom Japon n°79, avril 2018), connu en France grâce au roman et au film Les Délices de Tokyo (An, voir Zoom Japon n°56, décembre 2015), est désormais décliné sous la forme de cette sirène. La pâtisserie occidentale ne fait pas exception. Tarte au fromage en forme d’Amabié, beignets sur lesquels est peinte la figure d’Amabié à l’aide de chocolat blanc coloré en couleur pastel, biscuits salés et sucrés ornés de la figure du yôkai…
Sur les réseaux sociaux, chacun poste ses bentô en forme d’Amabié, composés de jambon, d’algue nori, de maïs ou de brocoli, et neuf restaurants traditionnels de la région de Niigata (voir Zoom Japon n°98, mars 2020) ont élaboré ensemble un amabié-bentô en vente tous les dimanches.
Tout est bon dans l’Amabié, à condition qu’il n’ait pas un goût amer, contrairement à ce qu’affirme le dicton selon lequel “les bons médicaments sont durs à avaler”. La situation actuelle est déjà suffisamment pénible, nul besoin de nous forcer à ingurgiter un aliment amer. Notre corps a besoin de douceur, d’espoir pour l’avenir.
Même dans la culture occidentale, des pains en forme de monstres, de déesses ou d’autres motifs symboliques, dont on disait qu’ils procuraient une force spirituelle, étaient façonnés lors de fêtes. Les talismans à ingérer existent aussi au Japon. La culture culinaire japonaise est riche de plats associés à des rites religieux qui, lorsque nous les assimilons dans notre corps, apportent bonheur ou longévité ou protègent du malheur… Rien d’étonnant donc, à ce qu’apparaissent ces Amabié en pâtisserie. C’est, en quelque sorte, une homéopathie symbolique, pour produire un anticorps psychologique.
Sekiguchi Ryôko