Au Japon où la notion de patrimoine architectural n’existe pas, l’opus de Benoît Jacquet et Jérémie Souteyrat s’impose.
Comme le remarquait malicieusement une personne sur un réseau social après l’annonce de la parution de L’Architecture du futur au Japon : utopie et métabolisme, “Le Lézard, c’est la ruine dans la joie”. Il ne s’agissait pas de critiquer les prix pratiqués par l’éditeur de Poitiers, mais plutôt de mettre en avant la qualité de ses livres qui, en tant qu’amateurs de livres sur le Japon, nous incite à tous les acheter. Entre Fantastique Edo, de Zenyôji Susumu (trad. de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel, 18 €), magnifique guide illustré de l’époque d’Edo qui ravira les amoureux d’histoire, et Gamma Draconnis, manga hybride fruit de la collaboration entre Benoist Simmat et Eldo Yoshimizu (24 €), il est vrai que Le Lézard noir nous gâte encore en cette fin d’année.
C’est aussi une page d’histoire que Benoît Jacquet et Jérémie Souteyrat nous proposent avec leur bel ouvrage consacré au métabolisme, ce mouvement architectural apparu au Japon dans les années 1960 alors que le pays s’apprête à devenir la troisième puissance économique de la planète. “Pour la première fois depuis le début du XXe siècle, les architectes japonais vont être amenés à penser la dimension architecturale selon une échelle dépassant tout ce qu’ils avaient pu connaître auparavant”, souligne Benoît Jacquet dans l’introduction avant de s’interroger sur ce qu’est le mouvement métaboliste lancé à l’initiative d’une génération d’architectes, tous nés avant la Seconde Guerre mondiale, qui a connu de fait des époques très contrastées. Dans Metaborizumu 1960, Kawazoe Noboru tente de le définir de la manière suivante : “Métabolisme est le nom d’un groupe dans lequel chaque membre propose plusieurs projets pour le monde à venir. Nous considérons la société humaine comme un processus vital. La raison pour laquelle nous utilisons ce terme biologique, le métabolisme, est que le design comme la technologie doivent, selon nous, être en phase avec la société humaine”.
Forts de cette ambition, les architectes ont entrepris plusieurs projets de construction qui expriment à la fois une vision nouvelle d’une hyper-modernité à un moment où le pays, qui a complètement tourné la page de la reconstruction, est confronté à une transformation socio-économique telle que les villes doivent évoluer faute de quoi elles risquent d’imploser. Leurs réalisations souvent révolutionnaires sont aujourd’hui menacées de disparition. Certaines même ont déjà été détruites entre le moment où le photographe Jérémie Souteyrat (longtemps collaborateur de Zoom Japon) a entrepris de les recenser et la publication de l’ouvrage. Car au Japon, à la différence de la France et nombre de pays occidentaux, on ne voue pas un culte au patrimoine architectural. “En effet, il est rare qu’un bâtiment japonais résiste à la crise de la quarantaine : on le remplace par un bâtiment neuf, plus adapté au marché de l’immobilier”, rappelle Benoît Jacquet.
Dès lors, leur ouvrage peut être aussi considéré comme une boîte à trésor que l’on ouvre pour admirer des objets uniques. Le talent de Jérémie Souteyrat sublime les bâtiments et permet, notamment pour ceux comme l’annexe au sanctuaire shintoïste d’Izumo qui ont été rasés, d’avoir la sensation de pouvoir les toucher. Voilà pourquoi ce livre doit figurer dans les rayons de nos bibliothèques sans quoi nous perdrons définitivement toute trace de ce passé récent. C’est d’autant plus important que “les architectes métabolistes ont compté parmi les premiers à concevoir une architecture qui ne prétendait pas s’inscrire dans une temporalité longue, mais plutôt s’adapter à l’évolution des modes de vie et de consommation”, note l’auteur des textes de ce beau volume richement illustré. Il est aussi composé de nombreuses interviews, notamment de Kurokawa Kishô, concepteur de l’une des œuvres les plus représentatives du mouvement métaboliste : la Nakagin Capsule Tower (voir Zoom Japon n°66, décembre 2016). C’est elle d’ailleurs qui figure sur la couverture de L’Architecture du futur au Japon : utopie et métabolisme. Construite en 1972, elle a jusqu’à présent échappé à la destruction par son statut de copropriété. Mais il est probable qu’elle ne résiste pas longtemps à la pression. Raison de plus pour se procurer d’urgence ce livre !
Gabriel Bernard
Référence
L’ARCHITECTURE DU FUTUR AU JAPON : UTOPIE ET MÉTABOLISME, de Benoît Jacquet (textes) et Jérémie Souteyrat (photos), Le Lézard noir, 45 €.