Pour son premier roman traduit en français, Takahashi Hiroki nous entraîne dans le nord du pays.
Un village natal où il n’y a rien d’autre que des bains publics, une station-service, des champs, des rizières et des pommiers”. C’est en ces termes qu’Akira, la forte tête du collège, répond à Ayumu perplexe devant l’affirmation de son camarade qui exprime le désir de voir son furusato (village, pays natal) englouti. Cette scène d’Okuribi, renvoyer les morts résume assez bien l’histoire de ce roman qui se déroule dans la région de Tsugaru, au nord-ouest de l’Archipel. C’est donc là qu’Ayumu s’installe avec sa famille après un énième déménagement lié au travail de son père. Habitué à changer régulièrement d’établissement, le jeune garçon n’a jamais eu de grandes difficultés à s’adapter et à s’intégrer. En arrivant à Hirakawa, dans la préfecture d’Aomori, il fait une nouvelle fois preuve de sociabilité et parvient à se faire admettre dans le petit groupe de garçons de sa classe dont le leader est Akira. Celui-ci impose sa loi, les jeux, les récompenses et les punitions en se servant d’un jeu de carte qu’il manipule de telle sorte qu’il s’arrange bien souvent pour que Minoru, son souffre-douleur, perde.
Récompensé par le prix Akutagawa, équivalent du Goncourt, Takahashi Hiroki construit un récit dans lequel on suit Ayumu dans la découverte de ses camarades, mais surtout dans celle d’une région et de ses traditions. Alors qu’il approche de ses 15 ans et qu’il s’apprête en quelque sorte à sortir de l’enfance, le collégien semble prendre de plus en plus conscience de l’environnement qui l’entoure. A côté de son regard sur le comportement de ses camarades, en particulier celui d’Akira avec ses accès de violence, Ayumu comprend qu’il évolue dans un univers auquel il n’appartient pas. Il ne suffit pas de s’entendre avec les autres élèves pour faire partie de leur monde. Avec une belle subtilité, mais aussi avec une grande force, l’auteur met en lumière l’importance des racines et du lien avec la terre natale. A la différence de sa mère qui, elle, n’a jamais réussi à s’intégrer (“Où qu’ils aillent, elle n’arrivait pas à se faire d’amis parmi ses voisins”), Ayumu n’est pas en mesure d’évoquer son “pays natal”, c’est-à-dire de pouvoir se raccrocher à un élément tangible et constitutif de son être. D’ailleurs, dès la première page du roman, on s’adresse à lui comme “le relégué”. Comme l’a expliqué l’essayiste Araki Hiroyuki, le furusato est perçu comme une matrice dont on dépend pour son existence même.
Dès lors, on comprend les intentions de l’auteur qui met en évidence un malaise lié justement à l’impossibilité pour Ayumu de se fondre dans le paysage. “Dans ce vertige doré grouillaient des êtres humains qu’il ne comprenait pas, exaltés par un jeu qu’il ne comprenait pas, et l’environnement se couvrait de sang”, écrit Takahashi Hiroki qui nous offre une belle réflexion sur ce Japon des terroirs en déclin. Le collège que fréquente Ayumu est sur le point de fermer et on peut considérer ce livre comme l’appel d’un jeune romancier, lui aussi originaire d’Aomori, qui craint de voir s’effondrer son univers même s’il n’est composé que de rizières, de pommiers et de bains publics.
Odaira Namihei
Référence
OKURIBI, RENVOYER LES MORTS, de Takahashi Hiroki, trad. par Miyako Slocombe, Ed. Belfond, 20 €.