A 29 ans, cette diplômée d’université a choisi de travailler dans un de ces établissements prisés par les hommes.
Il est 11 heures du matin par une journée exceptionnellement chaude de novembre quand je marche dans l’un des nombreux soaplands de Senzoku, le quartier chaud de Tôkyô qui s’appelait autrefois Yoshiwara. Le directeur, avec qui j’ai organisé ma visite au téléphone, me salue à l’entrée et me dit de le suivre. Nous longeons un couloir qui a été peint dans différentes nuances de rose et de mauve, cette dernière couleur se répétant sur le sol en damier. L’atmosphère à l’intérieur de l’établissement est détendue et un peu impersonnelle, comme une clinique un peu coquine.
En chemin, nous passons devant huit pièces utilisées pour les opérations et au bout du couloir, nous trouvons un salon peu meublé : des étagères blanches où les filles (les “interprètes”, comme on les appelle) laissent leurs sacs, une télévision à écran large, une table basse couverte de snacks, une boîte de mouchoirs et la télécommande de la télévision, et cinq chaises de style japonais, sans pieds, où les gens s’assoient par terre. L’une d’entre elles est occupée par Riri.
Quand elle me voit, elle sourit et se lève pour me saluer. D’après son profil, Riri mesure 160 cm. Ses 29 ans font d’elle la fille la plus âgée de cet endroit. Elle porte un chemisier et une jupe de couleur blanche, mais je sais déjà à quoi elle ressemble sous ses vêtements : le site Internet de son employeur présente des photos révélatrices des filles qui sont un mélange intéressant de sensualité et d’innocence. Elle est très belle. D’après sa page, elle a tout ce qu’il faut et je n’ai aucune raison de ne pas être d’accord. Lorsque j’ai quitté la maison ce matin, ma femme m’a dit en plaisantant que pour rédiger un article fidèle et détaillé, je devrais essayer Riri. Maintenant que je la vois devant moi, je suis à moitié tenté de suivre sa suggestion.
En parlant d’argent, une heure avec Riri me coûterait 30 000 yens (240 euros), 2 000 yens de plus si je la réclamais expressément.
Le service de Riri commence à midi et se termine généralement à 20 heures, mais aujourd’hui, elle a accepté de finir un peu plus tôt pour notre entretien. Elle doit se préparer pour son premier client, alors elle me demande de la suivre sur son “lieu de travail”. Son local de service est divisé en deux parties : un lit d’un côté et une baignoire de l’autre. Il y a également un petit bureau recouvert de produits cosmétiques, de lotions assorties, d’une boîte de mouchoirs en papier et d’une petite bouteille d’eau minérale. Dans la salle de bains, Riri me montre l’un des éléments les plus importants de son métier : le tapis sur lequel ses clients s’allongent après avoir pris leur bain et où elle utilise son corps enduit de lotion pour leur donner le traitement dit de l’éponge humaine, ce qu’on appelait autrefois awa odori ou “danse des bulles”. Un autre instrument se trouve dans un coin de la pièce : c’est ce tabouret aux formes étranges sur lequel les gars s’assoient pour se faire frotter le corps. Il y a un espace ouvert au milieu pour permettre aux filles d’exercer leur magie sur les parties intimes des clients. “Après un dernier rinçage, nous nous installons sur le lit pour le honban (les choses sérieuses)”, explique-t-elle.
Une fois qu’elle a terminé avec son client, nous nous retrouvons dans un café pour continuer notre discussion. Les filles des soaplands sont connues pour leur technique exquise, alors je lui demande où elle a appris ses tours. “Toutes les nouvelles doivent suivre une période de formation officielle. La plupart des instructions sont données à l’aide de manuels ou de DVD, mais nous passons parfois du temps avec des travailleuses du sexe chevronnées qui nous montrent les ficelles du métier. Certaines dames expérimentées finissent par devenir instructrices et peuvent prolonger leur carrière en transmettant leur savoir”, raconte-t-elle. Riri pense que les hommes fréquentent les soaplands parce qu’ils ne peuvent pas obtenir ce qu’ils veulent chez eux. “Ils me disent souvent que leur femme ou leur petite amie ne veut pas faire ceci ou cela. Alors évidemment, ils vont le chercher ailleurs.” L’awa odori est sans doute la technique la plus difficile à maîtriser et est extrêmement éprouvante pour leur corps, surtout lorsqu’elle est répétée toute la journée.
Par le passé, une bonne partie des filles travaillant dans ces établissements avaient abandonné l’école et leurs perspectives d’emploi étaient assez limitées. Riri appartient à une nouvelle génération de travailleuses du sexe sophistiquées et instruites. “J’ai commencé quand j’étais à l’université. Je cherchais un emploi à temps partiel, mais je n’étais pas intéressée par les emplois habituels comme serveuse ou employée de supérette. Puis une de mes camarades de classe m’a fait découvrir le soapland où elle travaillait. Après mes études, j’ai trouvé un emploi de bureau, mais c’était ennuyeux, je n’aimais pas les longues heures de travail et le harcèlement constant dont je faisais l’objet, et le salaire était faible. Je suis alors retournée au soapland. Ici, je peux choisir mes heures de travail et mes revenus sont élevés”. L’argent, bien sûr, est la raison pour laquelle les filles se retrouvent à Yoshiwara ou dans les autres quartiers chauds disséminés dans tout le pays. “Chacune de nous a des raisons différentes de faire ce boulot, mais à ma connaissance, peu de filles à qui j’ai parlé le font pour rembourser une dette.”
Elle travaille en moyenne 15 jours par mois et a trois ou quatre clients par jour, dont beaucoup sont des habitués. “En règle générale, je travaille toujours le week-end et je prends congé le lundi et le mardi. Je travaille de 12 h à 20 h ou 21 h. Entre les clients, je passe le temps dans le salon à discuter avec les autres filles. Nous nous maquillons, nous naviguons sur Internet, nous regardons la télévision ou nous jouons à des jeux sur nos smartphones. La plupart d’entre elles sont gentilles, mais nous ne traînons pas vraiment ensemble quand le travail est terminé. Pendant mes jours de congé, je préfère sortir avec mes propres amis. Certains d’entre eux savent ce que je fais et n’ont rien contre. Ils me demandent toujours combien d’argent je gagne. Mais ma famille ne sait rien. Ils pensent que je travaille comme kyabajô (voir pp. 10-11). La réception ici a été formée pour répondre au téléphone comme si c’était un club, j’ai donc réussi à garder mon secret jusqu’à présent. Mais je ne sais pas ce que l’avenir me réserve”, confie-t-elle.
Les soaplands étaient autrefois considérées comme des endroits sordides et malsains, mais Riri affirme que les établissements ont considérablement évolué. C’est pourquoi ils attirent maintenant des filles comme elle. “D’un côté, ils nous traitent professionnellement parce qu’ils ont besoin de nous pour gagner de l’argent. De l’autre côté, ils sont très stricts parce qu’ils veulent que les clients continuent à venir. Ainsi, par exemple, nous faisons un test de dépistage des MST une fois par mois. Maintenant, il suffit d’envoyer des échantillons d’urine et de sang par courrier. Dans cet établissement, ils nous font même passer des tests de dépistage de drogues. S’ils vous attrapent en train de vous droguer, vous êtes dehors et il est très difficile de trouver un autre emploi dans le métier”, ajoute la jeune femme.
Mario Battaglia