Sekiguchi Ryôko publie en collaboration avec la famille Roellinger un fascicule gourmet et gourmand.
Lorsqu’on évoque la cuisine japonaise avec des personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans l’Archipel, les plats les plus cités sont invariablement les sushis et les sashimis, et depuis moins d’une décennie les râmen (voir Zoom Japon n°26, décembre 2012). Ces nouilles en bouillon, pour lesquels certains amateurs sont prêts à faire la queue pendant de longues minutes avant de pénétrer dans les nombreux restaurants – désormais fermés suite à la crise sanitaire – servant ce mets, appartiennent à ce que les Japonais appellent la gastronomie de seconde catégorie (B-kyû gurume) comme d’autres spécialités tels que le tonkatsu (voir Zoom Japon n°62, juillet 2016) et le karê raisu (curry rice). “Seconde catégorie” ne signifie pas qu’ils les considèrent comme moins bons, bien au contraire, mais qu’il s’agit d’une cuisine plus abordable et moins sophistiquée que les plats raffinés de la cuisine kaiseki héritière des tables de l’ancienne noblesse.
On pourrait aussi ajouter que ces plats B-kyû, outre leur prix très abordable, se caractérisent aussi par leur histoire relativement récente et par leur “origine” étrangère pour les plus célèbres d’entre eux. A l’instar des râmen dont certains pointent les racines chinoises ou du tonkatsu, ces côtelettes frites apparues en 1895, lié à l’introduction de la cuisine à l’occidentale (yôshoku), le karê raisu et plus généralement “l’histoire du curry japonais est le reflet même de l’histoire moderne. Il a été introduit au Japon depuis l’Angleterre à la fin du XIXe siècle. Mais aussi depuis l’Inde. C’est Rash Behari Bose, l’un des piliers de l’indépendance indienne qui, lors de son exil au Japon, a fourni la recette authentique du curry indien”. Voilà ce que rapporte Sekiguchi Ryôko, poétesse, écrivain, traductrice et collaboratrice à notre magazine, dans la préface du Curry japonais : dix façons de le préparer.
Réalisé en collaboration avec la famille Roellinger dont on sait l’amour pour les épices, ce fascicule est à la fois un excellent livre de recettes et une source d’information sur le curry japonais qu’un autochtone “mange en moyenne 73 fois par an”. Comme elle le raconte si bien dans le texte introductif, cette préparation à l’origine importée, témoigne au fond de la créativité gastronomique du Japon tout comme son adaptabilité à adopter des produits dont il ne connaissait pratiquement rien il y a 150 ans. Une anecdote rapportée par l’auteur témoigne de cette capacité nippone à transcender la simple importation d’un goût : “un Indien en visite au Japon, après avoir goûté au curry japonais, s’exclame : ‘C’est délicieux ! Comment ce plat s’appelle-t-il ?’” Par ailleurs, elle nous rappelle que cette recette s’est développée en utilisant des légumes (pomme de terre, carottes et oignons) quasi inconnus dans l’Archipel.
En plus de dresser le portrait historique du curry japonais, Sekiguchi Ryôko présente dix recettes réalisées par ses soins et les membres de la famille Roellinger qui raviront le palais de tous les amateurs d’une cuisine relevée qui symbolise “le goût de la liberté”, ce dont nous avons tant besoin en ces temps de couvre-feu et autres confinements.
Odaira Namihei
Références
LE CURRY JAPONAIS : DIX FAÇONS DE LE PRÉPARER, de Sekiguchi Ryôko et la famille Roellinger, Les Editions de l’Epure, 2020, 8 €.
Il est également possible de se procurer
chez Roellinger la poudre de curry japonais conçue par Sekiguchi Ryôko avec des algues de Bretagne (8,80 €).