Quelle est l’approche de la NHK en matière de séries ?
Katsuta Natsuko : En tant que chaîne publique, la NHK se doit de proposer des histoires avec une résonance sociétale forte, au-delà des sensibilités de chaque producteur ou productrice. C’est pourquoi, quand un projet m’interpelle, je me pose beaucoup de questions : que dit cette histoire du monde dans lequel nous vivons ? Faut-il la raconter maintenant ? Les séries ont beau appartenir au divertissement, ça ne les empêche pas d’aborder des questions de société ! Et pour cela, j’essaye d’aborder les choses à la manière d’une journaliste, et de donner à voir au public le Japon d’aujourd’hui.
Comment une idée devient-elle une série ?
K. N. : Quand une histoire pique ma curiosité, j’en discute avec un(e) scénariste, et on essaye de voir ensemble comment la transposer à l’écran. Pour prendre un exemple récent, nous sommes en train de diffuser How to be Likable in a Crisis (Ima Koko ni Aru Kiki to Boku no Kôkando ni Tsuite / Comment se faire aimer en temps de crise). L’histoire, c’est celle d’un trentenaire japonais qui se retrouve engagé au service communication d’une université de premier plan. Et lorsqu’une difficulté se présente, il a un truc : il arrive à noyer le poisson en faisant un grand sourire, et en détournant le sujet. Là il y a un fait de société, un constat sur lequel on est d’accord avec la scénariste chargée de la série, Watanabe Aya, c’est que nous trouvons qu’en vingt ans la langue et la manière de parler se dégradent au Japon. On vit à l’époque des fake news, ce qui est à la fois le symptôme d’un mal-être de la société japonaise, mais qui n’est pas propre au Japon. Je suis curieuse de voir ce qu’en penseront d’autres publics, en dehors du Japon, et comment ils réagiront à cette histoire.
Dans l’univers des séries télévisées japonaises, ce sont les chaînes privées qui donnent la tendance. Mais celles de la NHK suscitent la curiosité ces dernières années. Qu’est-ce qui différencie votre style, votre approche ?
K. N. : Un diffuseur privé, lui, finance ses programmes par la publicité, et doit parfois se plier aux exigences de ses annonceurs. Dans le cas de la NHK, notre seul financement provient de la redevance. Alors, à la fois, nous sommes dégagés des contraintes commerciales, et en même temps soumis à des obligations plus contraignantes. Les programmes doivent par exemple refléter des opinions plus larges, moins radicales, sur une chaîne publique.
C’est dans cet espace que notre créativité doit trouver sa place, tout en gardant à l’esprit que chaque histoire doit répondre à un besoin de divertissement. En fin de journée, le spectateur veut qu’on le prenne par la main, qu’on lui raconte une histoire qui va le captiver. Dans le cas de How to be Likable in a Crisis (Ima Koko ni Aru Kiki to Boku no Kôkando ni Tsuite / Comment se faire aimer en temps de crise), le ton juste à donner à cette histoire a consisté à en faire une comédie noire, grinçante, qui provoque la réflexion tout en amusant.
Et puis, il ne faut pas oublier que nos séries sont financées par la redevance, et que le spectateur ne doit pas avoir le sentiment qu’on gaspille son argent ! Mais nous ne travaillons pas non plus l’œil rivé sur les audiences… How to be Likable in a Crisis n’a pas démarré avec de grosses audiences, et pourtant, petit à petit, la série a suscité l’intérêt, et obtenu de bonnes critiques dans les médias. Elle a même fini par remporter quelques prix. C’est à ce genre de choses, je trouve, qu’on mesure le succès.
C’est une série qui regorge de détails sur le fonctionnement d’une grande université. Comment êtes-vous parvenus à ce degré de précision ?
K. N. : La scénariste Watanabe Aya venait de travailler sur un film dans le milieu universitaire, et elle connaissait bien cet univers. Nous avons donc décidé d’ancrer la série dans un établissement renommé. Ensuite, j’ai beaucoup lu sur le sujet, j’ai rencontré des acteurs du monde universitaire – directeurs, professeurs, chercheurs, chargés de relations publiques et anciens fonctionnaires du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie – pour cerner les préoccupations actuelles de ce milieu. Le travail d’approche a été long, mais il en valait la peine.
Que diriez-vous de cette série à des gens qui ne l’ont jamais vue ?
K. N. : Eh bien c’est un programme avec un thème qui nous interroge, la manière dont on manipule le langage pour lui faire dire autre chose que la vérité, et parvenir à un résultat. Et puis il y a l’univers dans lequel il se déploie, le monde académique, qui est souvent vu comme une tour d’ivoire, où les étudiants sont coupés de l’extérieur. Mais ce n’est plus le cas. La tendance sociale à privilégier l’efficacité économique et à négliger les valeurs du service public a fini par toucher le milieu universitaire. Nous voulions montrer qu’il est en réalité beaucoup moins feutré, qu’on y voit des falsifications et le mépris des faits. Et ce genre de choses se passe partout au Japon. L’objectif de cette série, c’était de pointer les contradictions d’une société moderne, et les problèmes qu’elles font naître parmi ses membres.
Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec Watanabe Aya. Quelle est la force de votre collaboration ?
K. N. : Aya a une écriture forte, impactante, et qui en même temps a la capacité d’émouvoir le public. C’est une créatrice qui réfléchit profondément à l’essentiel, à quoi on s’intéresse le plus et à ce que l’on veut réellement exprimer. Le fait de travailler avec elle me permet de me poser continuellement des questions fondamentales : La production de l’ouvrage est-elle bien émouvante et excitante pour nous-mêmes ? Nous avons réussi à passer le message à travers les histoires ? Quelle est l’expression qui émeuve le cœur du public ?
Le rôle principal, celui du porte-parole de l’université, est tenu par un comédien très populaire, Matsuzaka Tôri.
K. N. : C’est notre troisième collaboration, alors je connaissais déjà ses talents d’acteur ! Dans le cas de la comédie noire, l’acteur a aussi besoin d’un certaine regard critique et d’intelligence, et quant à Matsuzaka Tôri, il comprend parfaitement le rôle de ce personnage qu’il incarne. C’est un comédien doué de beaucoup de profondeur, il peut tout jouer.
Dans le cadre de A la rencontre de NHK WORLD-JAPAN, la chaîne publique propose de découvrir la série How to be Likable in a Crisis en grand écran le 18 mars 2022 à la Maison de la culture du Japon.
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