Bien que l’intérêt pour ce sujet décline avec le temps, l’historien Kishi Toshihiko continue de battre le fer.
Que reste-t-il aujourd’hui des relations du Japon avec la Mandchourie, cette région chinoise qui, il y a 90 ans, a occupé une place cruciale dans son histoire ? Pour éclaircir le “mystère mandchou”, Zoom Japon s’est tourné vers le professeur Kishi
Toshihiko, chercheur au Centre d’études de l’Asie du Sud-Est de l’Université de Kyôto, dont les recherches portent sur l’histoire de l’Asie au XXe siècle, les études régionales de l’Asie de l’Est et l’étude des médias.
Avez-vous le sentiment que les Japonais ont une quelconque connaissance de l’histoire de la Mandchourie sous occupation japonaise ?
Kishi Toshihiko : Je dois reconnaître que l’intérêt pour l’histoire de la Mandchourie est faible. Tout d’abord, le nombre de personnes ayant une expérience directe de cette période est en forte diminution, et la plupart des générations d’après-guerre savent très peu de choses sur la Mandchourie et le Mandchoukouo. Pour les jeunes générations, non seulement le Mandchoukouo, mais aussi l’histoire d’avant-guerre et les souvenirs liés à la guerre sont considérés comme un passé lointain. D’autre part, en ce qui concerne les chercheurs et le monde de l’édition, les jeunes générations ont tendance à aborder la réalité de la Mandchourie sous l’angle du post-colonialisme et du colonialisme moderne. Je pense que ceux dont les parents (par exemple, leurs grands-parents) ont vécu en Mandchourie, et les deuxième et troisième générations d’orphelins restés en Chine après la guerre, sont particulièrement intéressés. C’est pourquoi, en tant que chercheurs, nous essayons de trouver des moyens de transmettre ces souvenirs aux générations suivantes.
Je me demande ce que les étudiants de l’université de Kyôto pensent de ce sujet.
K. T. : On peut dire que nos étudiants sont un peu différents des autres jeunes de leur âge. Tout d’abord, ils sont très bien informés et s’intéressent beaucoup à ce sujet et à d’autres thèmes similaires. En outre, comme vous le savez, alors que l’Université de Tôkyô a une approche plus orthodoxe de l’histoire, nous faisons les choses différemment et nos étudiants ont tendance à sortir des sentiers battus. Ils trouvent ici l’endroit idéal pour poursuivre leurs intérêts, car l’université de Kyôto est au cœur de la recherche sur les études mandchoues.
Cette année marque le 90e anniversaire de la fondation du Mandchoukouo. Que pouvons-nous apprendre de ce chapitre de l’histoire du Japon ?
K. T. : L’État du Mandchoukouo a duré 13 ans, de 1932 à la fin de la guerre. Cette période a connu de nombreux bouleversements, mais il ne fait aucun doute que les groupes d’intérêt à l’origine de la création de cet État fantoche (le gouvernement japonais, l’armée du Kwantung, le monde des affaires) avaient pour objectif de créer une nation expérimentale contrôlée par l’État qui deviendrait plus tard un modèle de premier plan pour la mise en place du système de mobilisation nationale du Japon lorsque la guerre du Pacifique a éclaté en 1941 ; une société dotée d’une économie contrôlée par l’État et d’un système de censure strict né de la relation étroite entre les entreprises, l’élite politique et l’armée. Je pense que l’expérience du Mandchoukouo est une bonne étude de cas dont nous pouvons tirer de nombreux enseignements sur les Etats autoritaires et les dictatures à parti unique d’aujourd’hui. A cet égard, les recherches portant sur le développement du Mandchoukouo peuvent nous aider à comprendre le fonctionnement des systèmes politiques et sociaux de la Chine et de la Russie.
Quelle fut la motivation du Japon pour envahir la Mandchourie ?
K. T. : Les Japonais ont tendance à obéir aux ordres et à suivre ce qui vient d’en haut. Les figures d’autorité sont traitées avec déférence, et ce qu’elles disent est souvent accepté sans critique et devient un slogan derrière lequel les gens se rallient. Dans ce cas particulier, trois jours avant l’incident de Mukden, Matsuoka Yôsuke a proclamé que “la Mandchourie est la ligne de vie de notre pays”. Ancien directeur adjoint de la Société des chemins de fer de Mandchourie du Sud (Mantetsu), ses propos ont joué un rôle décisif dans la détermination de la suite des événements en Chine. Il est devenu le porte-parole de tous les groupes qui considéraient la Mandchourie comme la nouvelle frontière du Japon : les élites politiques et commerciales, par exemple, visaient à acquérir des ressources et à développer l’industrie chimique lourde du pays ; l’armée voulait renforcer les défenses du Japon contre le communisme soviétique et la République de Chine, et la bureaucratie prévoyait de mettre sur pied une économie dirigée comme en temps de guerre. Les élites n’étaient pas les seules à considérer favorablement l’expansion en Mandchourie. Les médias, qui luttaient pour exister sous le régime de la censure, voyaient dans l’expansionnisme japonais en Mandchourie un moyen d’accroître leur lectorat. De même, les travailleurs salariés rêvaient de gagner des salaires élevés en travaillant à l’étranger pour la Mantetsu et d’autres entreprises. Plus généralement, de nombreux Japonais étaient animés par le désir de voir leur pays emboîter le pas des Etats impérialistes occidentaux. C’était une époque où pratiquement tout le monde croyait que le Japon avait raison, et chacun était désireux de soutenir une telle politique étrangère. Cette mentalité a duré jusqu’à la défaite.
Je suppose que les attentes des Japonais en matière d’emplois et de nouvelles opportunités économiques ont joué un rôle décisif ?
K. T. : Il faut garder à l’esprit qu’après le krach de 1929, l’économie mondiale a fortement été ébranlée. Dans les années 1930, le Japon avait un taux de chômage élevé, conséquence de la terrible récession, et tout le monde voulait que les choses s’améliorent rapidement. Jusqu’au début des années 1920, il y avait eu une forte émigration japonaise. Cependant, aux États-Unis, elle a pris fin en 1924, lorsque le Congrès a adopté la loi sur l’immigration, interdisant l’entrée du pays aux émigrés japonais, à l’exception d’un petit nombre symbolique. Ensuite, les migrants japonais se sont tournés vers l’Amérique latine, et beaucoup se sont installés au Mexique, au Brésil et au Pérou, mais la détérioration de la situation politique dans le monde a rendu ce mouvement de population de plus en plus difficile. En fin de compte, seule la Mandchourie est restée. C’est pourquoi, dans les années 1940, tant de Japonais étaient impatients de se rendre en Chine.
Quel rôle la Société des chemins de fer de Mandchourie du Sud a-t-elle joué ?
K. T. : Loin d’être uniquement une société de transport, la Mantetsu était également impliquée dans d’autres aspects de la vie économique, culturelle et politique de la Mandchourie. Elle était notamment responsable de la production d’électricité (charbon, gaz naturel et pétrole) et du transport de produits de base tels que le soja et le blé, et s’efforçait de former des ressources humaines pour ses activités. Elle était également un puissant institut de recherche, contribuant au développement technologique dans des domaines tels que l’industrie chimique, l’agriculture et la construction. A l’époque, elle opérait également comme société de commerce et maître d’ouvrage. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il s’agissait d’une énorme entreprise de publicité. En effet, on pourrait dire que l’image du Mandchoukouo que les gens ont jusqu’à aujourd’hui a été principalement façonnée par la Mantetsu en collaboration avec le personnel militaire et les bureaucrates.
A en juger par ce que vous venez de dire, la Mantetsu a sans doute eu une grande influence sur la politique japonaise ?
K. T. : Comme je l’ai mentionné précédemment, les partis politiques et l’armée au Japon avaient les mêmes intérêts, et la Mantetsu est devenue une sorte de courtier, entre ces deux cliques influentes. Après l’incident de Mukden en septembre 1931, le cabinet dirigé par le leader du Parti démocrate constitutionnel, Wakatsuki
Reijirô, a démissionné après avoir échoué à contrôler l’armée et à arrêter son avancée en Mandchourie. Son successeur, Inukai Tsuyoshi,
était beaucoup plus proche des militaires et a grandement fait évoluer la position du gouvernement vis-à-vis de la Chine. La mise en place d’un système autoritaire grâce à l’alliance étroite entre les politiciens et les militaires a fini par conduire à l’effondrement du régime parlementaire démocratique.
Peut-on dire que la Mantetsu a contribué à la fondation du Mandchoukouo ?
K. T. : Il est vrai que lorsque l’ensemble du réseau ferré de Mandchourie est passé sous l’influence du gouvernement japonais et de l’armée du Kwantung en 1937, l’autorité administrative locale n’était plus nécessaire, et la zone située le long de la ligne ferroviaire est passée sous le contrôle du Mandchoukouo. Même les enseignants et les ingénieurs qui travaillaient pour la Mantetsu ont été transférés à l’administration du Mandchoukouo. Cela dit, je pense que la Société des chemins de fer de Mandchourie du Sud et l’armée du Kwantung ont joué un rôle en tant qu’institutions de premier plan dans l’acquisition d’intérêts dans cette partie de la Chine par le biais d’un système civilo-militaire japonais.
En ce qui concerne l’armée du Kwantung, quel a été son rôle dans la création du Mandchoukouo ?
K. T. : L’armée du Kwantung a d’abord été créée pour défendre la zone administrative exclusive le long du chemin de fer de Mandchourie. Cependant, après l’incident de Mukden, elle est devenue active sur une zone plus large, car les multiples affrontements avec l’armée chinoise nécessitaient une augmentation des activités militaires. Il faut dire que les relations entre l’Armée du Kwantung et les autorités centrales n’ont pas toujours été bonnes. En particulier, elle a été brièvement engagée dans une bataille pour l’hégémonie avec l’armée japonaise mais, finalement, elle a été reprise par les autorités militaires. A mon avis, l’armée du Kwantung ne doit être considérée que comme l’avant-garde de la volonté expansionniste du Japon en Asie et de ses efforts de construction d’un empire contre la Chine et la Russie. C’est juste que le récit d’après-guerre tend à surestimer le rôle qu’elle a joué.
Peut-on établir un parallèle entre la situation en Mandchourie à cette époque et ce qui se passe en Ukraine aujourd’hui ? Après tout, le Japon, comme la Russie aujourd’hui, était isolé au niveau international et soumis à des sanctions économiques.
K. T. : Saviez-vous que la Mandchourie était autrefois appelée la péninsule balkanique de l’Asie ? En effet, elle a été au cœur de la première guerre sino-japonaise (1894-1895), de la guerre russo-japonaise (1904-1905), de l’incident de Mukden (1931), de la deuxième guerre sino-japonaise (1937-1945) et de l’invasion soviétique juste avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. A cet égard, elle est bien sûr différente de l’Ukraine d’aujourd’hui. Toutefois, il est vrai qu’il existe des similitudes entre les deux situations. Par exemple, en 1933, deux ans après l’incident de Mandchourie, le Japon s’est retiré de la Société des Nations après que la commission Lytton eut conclu qu’il avait envahi à tort la Mandchourie et que le territoire mandchou devait être rendu aux Chinois. Toutefois, si l’on lit attentivement le rapport Lytton, on constate que le gouvernement japonais avait largement la possibilité de faire des compromis. C’est le Japon qui a décidé d’adopter une ligne dure. Après cela, Tôkyô n’a plus eu à se conformer aux règles internationales, et la guerre sino-japonaise a éclaté, bien que la guerre du Pacifique ne soit pas une conséquence directe du conflit en Chine.
La Russie est maintenant sur la même voie de l’isolement international. La communauté internationale continuera à imposer des sanctions économiques à Moscou, mais cela ne signifie pas que les Russes vont immédiatement entrer en guerre contre les nations occidentales. Toutefois, la situation peut évoluer de telle sorte que l’ordre mondial né après la Seconde Guerre mondiale soit profondément bouleversé. Une trentaine d’années seulement se sont écoulées depuis la fin de la guerre froide, mais il est possible qu’un rideau de fer se dresse à nouveau entre l’Est et l’Ouest.
L’engagement du Japon en Mandchourie a-t-il eu des conséquences culturelles sur le Japon ?
K. T. : Pendant la guerre du Pacifique, la culture japonaise n’a pas pu s’épanouir car le contrôle de l’État et la censure sont devenus plus stricts. Dans ces circonstances, de plus en plus de créateurs et d’intellectuels ont tenté de se rendre en Mandchourie et à Shanghai pour poursuivre leur activité artistique et culturelle. À cet égard, la Mandchourie était une sorte de sanctuaire culturel pour ces personnes ; elle était plus tolérante que le Japon puisqu’elles pouvaient travailler relativement librement. Les enfants de ces immigrants ont grandi sur le continent dans une telle atmosphère. Ce sont ces personnes qui, à leur retour au Japon après la guerre, ont eu un impact sur la culture nationale, car elles n’avaient pas été affectées par la censure du temps de guerre. Ils ont ramené les tendances modernistes qui s’étaient épanouies au Japon dans les années 1920, mais qui avaient été réprimées par les autorités dans les années 1930 et 1940. Comme le prouvent des recherches historiques récentes, cela a eu un effet positif sur tous les aspects de la culture japonaise, du cinéma au jazz et à la danse en passant par la peinture, les mangas et la littérature.
En d’autres termes, l’influence culturelle de l’expérience japonaise en Mandchourie s’est fait sentir après, et non avant ou pendant la guerre, n’est-ce pas ?
K. T. : C’est exact. Les personnes qui vivaient au Japon dans ces années-là n’étaient pas libres du tout. De plus, le contrôle de l’État, la censure et la suppression de la liberté d’expression, qui étaient déjà répandus à la fin des années 1930, sont devenus encore plus stricts pendant la guerre du Pacifique. Dans cette situation, il n’était pas possible de s’engager dans des activités culturelles importantes. On dit souvent que le Japon a cessé de rire pendant ces années-là.
Que pouvez-vous me dire du principe des “Cinq ethnies vivant ensemble en harmonie” ?
K. T. : Il est vrai que plusieurs groupes ethniques coexistaient en Mandchourie. Les “cinq ethnies” auxquelles vous faites référence étaient les Mandchous, les Chinois Han, les Mongols, les Coréens et les Japonais. Cependant, le terme “Mandchou” ne se référait pas au peuple mandchou mais au peuple Han qui vivait en Mandchourie, il s’agissait donc d’un groupe ethnique qui s’apparentait au peuple Han qui vivait en Chine. De même, certaines affiches incluaient parfois les Russes blancs parmi les “cinq ethnies”, de sorte que ce concept était extrêmement vague. En outre, même si le slogan “Cinq ethnies vivant ensemble en harmonie” donnait l’impression que les cinq communautés étaient égales et partageaient les mêmes droits, les Japonais étaient en fait la race dominante. En d’autres termes, il s’agissait d’un slogan populiste qui n’avait rien à voir avec le concept moderne de symbiose multiethnique.
La présence du Japon en Mandchourie est souvent associée à des choses comme l’Unité 731 et la cruauté militaire généralisée. Pensez-vous que suffisamment de mesures ont été prises au Japon pour préserver la mémoire de ces sujets ? Si non, que faudrait-il faire ?
K. T. : Le problème de l’Unité 731 et du Massacre de Nankin en décembre 1937 est qu’il s’agit de sujets hautement politisés, et qu’il n’est pas facile de clarifier la situation réelle, et encore moins d’en gérer la mémoire. Personnellement, je pense que les dommages de guerre en Chine continentale ne devraient pas se concentrer uniquement sur ces deux questions. Les effets de la guerre, y compris les bombardements de Chongqing, étaient plus étendus, et le nombre de victimes était encore plus important. Je pense qu’il est nécessaire de se concentrer sur l’idée de la guerre en général et des désastres qui l’accompagnent dans son ensemble. Nous devons éviter l’idée que certaines guerres sont justes et que d’autres ne le sont pas. Je ne pense pas que nous parviendrons à progresser avec ce genre d’approche.
Comme je l’ai dit, les jeunes générations ne sont plus intéressées par la guerre elle-même, nous devons donc leur parler des dommages, de la tristesse et de la souffrance causés par la guerre. Je trouve que la culture pop est un bon véhicule pour exprimer ces choses. Les films, les émissions de télévision, les mangas et les jeux sont très populaires, en particulier parmi les jeunes générations, et des films tels que Le Tombeau des lucioles (Hotaru no haka, 1988) de Takahata Isao et Dans un recoin de ce monde (Kono sekai no katasumi ni, 2016) de Katabuchi Sunao (voir Zoom Japon n°73, septembre 2017) ont touché le cœur de nombreuses personnes. Nous vivons aujourd’hui à l’ère du numérique, et pour que les jeunes s’intéressent davantage à ces sujets, nous devons les impliquer par le biais de ces modes de communication. Je pense également que le processus de transmission des souvenirs et les activités visant à transmettre ces valeurs, comme l’organisation de réunions et de discussions avec des personnes âgées qui ont directement vécu ces événements, comme cela se fait actuellement dans de nombreux musées, sont merveilleux. L’important est de trouver des outils de communication capables d’atteindre le public cible.
Vous avez publié Nijusseiki Manshû Rekishi Jiten [Dictionnaire historique de la Mandchourie au XXe siècle, éd. Yoshikawa Kôbunkan, 2012, inédit en français] il y a environ 10 ans. Y a-t-il eu un changement dans le traitement de ce moment de l’histoire japonaise depuis lors ?
K. T. : L’intention de notre groupe éditorial n’était pas de se spécialiser uniquement dans le Mandchoukouo, mais d’aborder les problèmes survenus dans la région mandchoue dans le cadre de l’histoire du XXe siècle, les événements qui ont précédé l’établissement du Mandchoukouo et son effondrement final. Nous avons voulu aborder le sujet sous plusieurs angles afin de parvenir à une compréhension plus complexe, tant du point de vue de la partie occupante que de la partie occupée, tout en reliant ces événements aux développements historiques ultérieurs.
Nous souhaitions également briser l’idée de confiner le problème mandchou uniquement à l’histoire du Japon. En d’autres termes, il semble étrange de limiter l’histoire du Mandchoukouo aux relations entre le Japon et la Mandchourie. Cette région, après tout, fait partie de la Chine. Elle était également à la frontière de l’Union soviétique. Par conséquent, nous avons voulu relier son histoire aux relations plus larges entre toutes les nations qui l’entourent. Ce n’est que de cette manière que l’on peut vraiment comprendre ce qu’était le Mandchoukouo.
Il semble que nos intentions aient été mieux comprises à Taïwan et en Corée du Sud, peut-être parce que ces pays ont connu des régimes autoritaires similaires. La Manchurian Society de Corée a même révisé notre encyclopédie. En revanche, au Japon, je ne pense pas que notre approche ait été comprise. Trop de gens veulent voir le Mandchoukouo comme un “pays à part” et trouvent inacceptable de relier son histoire à celle de la Chine socialiste. C’est idéologiquement inacceptable pour les gens de gauche comme de droite. À cet égard, penser à la Mandchourie au XXe siècle est assez difficile, pour être honnête, et cette mentalité n’a pas beaucoup changé.
Comment les jeunes historiens japonais abordent-ils ce sujet ?
K. T. : Ils s’intéressent beaucoup à des thèmes particuliers. La littérature mandchoue et la musique mandchoue, par exemple. Ils aiment beaucoup l’histoire des artistes de manga qui sont nés en Mandchourie. Mais il faut toujours garder un œil sur l’ensemble, sinon on risque de confondre le particulier avec le tout. C’est du moins mon avis, mais ces jeunes ne semblent pas être d’accord avec moi. Ils sont toujours occupés à rechercher des aspects étroits et spécifiques de l’histoire de la Mandchourie, mais à mon avis, peu importe le nombre de thèmes individuels que vous étudiez, vous n’aurez jamais une image complète. Je continue de penser que la tentative que nous avons faite avec notre dictionnaire était très importante et que, même aujourd’hui, elle offre un point de vue valable pour réfléchir à ce qu’était réellement la Mandchourie. Quoi qu’en pensent les autres (rires).
Propos recueillis par Gianni Simone