Pour Hara Takeshi, la crise sanitaire a peut-être porté le coup de grâce aux chemins de fer japonais.
La crise sanitaire a changé le mode de vie de nombreuses personnes. Elle a aussi affecté différents aspects de la société et de l’économie japonaises, y compris le système ferroviaire. Selon une récente enquête, environ 30 % des employés de bureau devraient continuer à travailler à distance même après la fin de la pandémie. Ce facteur aura un impact sur le trafic de banlieue dans les grands centres urbains. Outre la Covid-19, les récents changements démographiques (la baisse du taux de natalité et le vieillissement croissant de la population) ont un impact négatif sur les chemins de fer japonais. La question est donc de savoir si les compagnies ferroviaires seront en mesure de créer une nouvelle valeur adaptée dans les années à venir ? Zoom Japon a interrogé le professeur Hara Takeshi sur l’évolution du transport ferroviaire au Japon depuis la privatisation des chemins de fer il y a 35 ans. Chercheur en histoire de la pensée politique et auteur de nombreux articles sur les trains, il enseigne à l’Université ouverte du Japon, à Chiba.
35 ans se sont écoulés depuis la privatisation des chemins de fer nationaux japonais (JNR). Comment le transport ferroviaire a-t-il évolué depuis 1987 ?
Hara Takeshi : Les JNR ont été créés en 1949. Dans le Japon d’après-guerre, peu de gens avaient une voiture. Cependant, au cours des années de développement économique rapide des années 1960, de plus en plus d’autoroutes ont été construites et un large réseau routier a commencé à s’étendre à travers tout le pays. Dans le même temps, des voitures moins chères ont été mises sur le marché et le nombre de propriétaires d’automobiles a augmenté. Parallèlement, celui des lignes ferroviaires non rentables a donc augmenté en conséquence. Lorsque le gouvernement a privatisé les JNR en 1987, les sociétés JR nouvellement créées ont commencé par supprimer ces lignes déficitaires qui, bien entendu, étaient concentrées dans des zones peu peuplées et à la campagne. Hokkaidô (voir pp. 9-11), par exemple, a perdu beaucoup de lignes. En revanche, le besoin de déplacement des personnes qui se rendent régulièrement au travail ou à l’école est resté très élevé dans les grandes villes. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un point où il y a une grande disparité entre Tôkyô, Ôsaka et les autres grandes métropoles, qui ont encore un vaste réseau de lignes de train, et les zones rurales et les petites villes où les trains disparaissent rapidement. A ce stade, il convient de s’interroger sur la validité de la privatisation d’un système qui affecte la vie de nombreuses personnes. Lorsque le gouvernement gère un service public, sa priorité est de s’assurer que le plus grand nombre possible de personnes a accès
à ce service. Cependant, lorsque ce système est à la merci des forces du marché et que le profit devient le seul objectif de l’entreprise, les gens en souffrent forcément. Par exemple, pour les élèves des zones rurales, se rendre à l’école devient un problème, et les personnes âgées qui n’ont pas de voiture et vivent dans des endroits où il y a peu de bus sont privées du seul moyen de transport abordable. C’est un système sans pitié.
Lorsque j’étais étudiant, je voyageais beaucoup grâce au réseau ferroviaire national, vaste et abordable. Mais aujourd’hui, il serait difficile de faire la même chose. Ironiquement, de nouvelles routes et autoroutes continuent d’être construites, même au milieu de nulle part, bien qu’elles soient considérées comme un gaspillage de l’argent des contribuables. En revanche, les chemins de fer sont toujours remis en question quant à leur rentabilité. Je pense qu’il faut faire quelque chose pour résoudre ce paradoxe.
Un autre problème important à prendre en considération est la façon dont l’environnement naturel affecte le système de transport. La vie au Japon est rendue plus difficile par toutes sortes de catastrophes naturelles – tremblements de terre, inondations, typhons, etc. A l’heure actuelle, le Shinkansen est pratiquement le seul réseau ferroviaire longue distance disponible. Il est rapide et fiable. Cependant, il est étonnamment vulnérable aux catastrophes naturelles. Lorsque quelque chose se produit, tout s’arrête et il faut du temps pour que le service régulier soit rétabli.
Les récents tremblements de terre dans la région de Tôhoku ont à nouveau causé de tels problèmes. Après la triple catastrophe de Fukushima, par exemple, un tronçon de 320 km de long est resté hors service pendant plus de six mois. La même chose s’est produite du côté de la mer du Japon après qu’un fort séisme a frappé ces régions. Cela n’est pas arrivé aux lignes locales du Kansai après le grand tremblement de terre de Kôbe en 1995. Je veux dire que même après le terrible séisme du Kantô de 1923 qui a détruit Tôkyô, ou même pendant la guerre du Pacifique, aucune ligne ferroviaire n’est restée fermée aussi longtemps. En 1923, par exemple, le réseau national a été restauré presque entièrement en moins de deux mois, et lors du bombardement de Tôkyô en 1945, les trains ont recommencé à circuler partiellement dès le lendemain. Même lorsque la bombe atomique a été larguée sur Hiroshima, les trams ont repris leur service trois jours plus tard.
Prenons maintenant le nord-est du Japon. La ligne principale du Tôhoku, construite à l’époque Meiji (1868-1912) et parallèle à la ligne à grande vitesse, est en fait plus solide et, dans un sens, plus efficace que celle du Shinkansen. De plus, en cas de catastrophes naturelles, elle peut être réparée plus rapidement. C’est pourquoi il est essentiel de maintenir ces lignes ouvertes, en particulier dans les régions du Japon sujettes à ce type de situation.
De nombreux Japonais qui ont grandi à l’époque du Shinkansen ne pensent qu’en termes de vitesse. Ils veulent simplement aller du point A au point B aussi vite que possible. Cependant, la ligne principale du Tôhoku est, à certains égards, plus conviviale car elle s’arrête plus souvent. Par exemple, lorsque je veux aller de Tôkyô à Sendai, le Shinkansen est probablement la meilleure option car il est plus rapide. Mais si vous habitez à Utsunomiya, les trains s’arrêtent moins souvent, ce qui n’est pas très pratique. Dans tous les cas, le nord-est du Japon a de la chance car il dispose encore de la ligne principale du Tôhoku, mais si vous voulez aller de Tôkyô à Ôsaka ou Kôbe, votre seule option est de prendre la ligne à grande vitesse. Avant l’arrivée du Shinkansen, nous avions la ligne principale du Tôkaidô, mais elle a été divisée en plusieurs tronçons portant des noms différents, chacun étant géré par une compagnie différente – JR East, JR Central et JR West – et si vous essayez d’atteindre Ôsaka, vous devez effectuer de nombreuses correspondances en cours de route. C’est épuisant et cela prend des heures. C’est l’un des aspects négatifs de la privatisation. De plus, ils ne vendent plus d’ekiben (voir p. 16 et voir Zoom Japon n°34, octobre 2013) dans le train. Ce n’est pas drôle du tout. De nos jours, le seul train de passagers quotidien qui circule sur toute la longueur de la ligne est le train combiné de nuit Sunrise Izumo – Sunrise Seto.
Si l’on compare le Japon à d’autres pays asiatiques, on constate que la Chine, Taïwan et la Corée du Sud ont leur propre version du train à grande vitesse, mais qu’ils ont également conservé des trains ordinaires sur les lignes classiques. C’est, à mon avis, ainsi que les choses devraient être faites. Je trouve injuste qu’aujourd’hui, dans de nombreux cas, on ne puisse utiliser que le Shinkansen. Ils devraient faire revivre certaines des anciennes lignes de trains ordinaires.
Vous pensez manifestement que la vitesse et la commodité ne sont pas les seules choses que les chemins de fer doivent proposer. Pouvez-vous expliquer votre position à cet égard ?
H. T. : J’ai commencé à m’intéresser aux trains grâce à mon père. Il aimait beaucoup le chemin de fer et m’emmenait souvent en voyage dès mon plus jeune âge. Nous n’avions pas de voiture, les trains étaient donc notre seul moyen de transport. Nous partions généralement pour une excursion d’une journée dans la région de Tôkyô. Les paysages changeants étaient agréables, et j’ai fini par aimer ces petites aventures ferroviaires. C’est ainsi que je suis tombé amoureux des trains. Nous prenions les lignes des JNR et allions jusqu’à Shizuoka, Yamanashi ou Nagano. Depuis le train, je voyais toutes ces montagnes, ces rivières et ces vallées, et la mer, bien sûr, tout en mangeant des ekiben. Chaque gare vendait une variété différente et cela ajoutait une nouvelle couche de plaisir au voyage. Quand vous êtes un enfant, votre monde quotidien est assez petit, limité entre la maison et l’école. Mais ces voyages en train m’ont fait découvrir un monde plus vaste, complètement différent, et le paysage changeait tout le temps.
Plus tard, j’ai commencé à m’intéresser aux horaires. Au début, mon père planifiait nos voyages, puis j’ai commencé à le faire moi-même. Je passais des heures à comparer les trains et les horaires pour que nous soyons rentrés le soir. Puis, à l’âge de 11 ans, j’ai commencé à voyager seul. Le reste de ma famille vivait assez loin, dans la préfecture de Mie, et je lui rendais visite, tout seul, en empruntant la ligne principale du Tôkaidô, bien sûr. Pas question pour moi de prendre le Shinkansen. Bref, j’ai fait ce genre de choses.
Ce que j’essaie de dire, c’est que le voyage en train, c’est bien plus que d’aller d’un point A à un point B. La région du Tôhoku, par exemple, a un très beau paysage, surtout entre Fukushima et Sendai. Au printemps, vous pouvez voir des pêchers et des cerisiers en fleurs depuis la fenêtre du train. Malheureusement, personne ne regarde le paysage de nos jours, les passagers passent leur temps le nez sur leur smartphone. Et de toute façon, on ne voit rien depuis le Shinkansen parce qu’il est trop rapide, et que les tunnels et les écrans acoustiques bloquent la vue. Mais si vous n’êtes pas pressé et que vous prenez un train local, vous pourrez profiter correctement du paysage en mangeant votre ekiben.
Pourtant ces dernières années, les “trains croisière”, ces trains de luxe qui parcourent les régions à vitesse réduite, ont connu un véritable engouement.
H. T. : Oui, les trains de croisière sont très populaires au Japon en ce moment. JR East, JR West et même JR Kyûshû investissent beaucoup dans ce secteur car il est très rentable. Un voyage de trois jours et deux nuits à bord de ces trains peut facilement vous coûter un million de yens (7 500 euros). Je suis sûr que c’est une expérience formidable ; c’est un hôtel mobile de première classe avec tout le confort. Vous voyagez tranquillement tout en dégustant un repas raffiné, puis vous passez au salon où vous admirez le paysage tout en buvant un whisky ou autre. Mais c’est réservé aux riches. Combien de personnes ordinaires peuvent se permettre de dépenser un million de yens ou plus pour de courtes vacances en train ? Moi, je ne le peux certainement pas. Le paysage dont tout le monde devrait pouvoir profiter dans un train local est devenu un terrain de jeu réservé aux riches. Ce qui, dans le passé, était une infrastructure publique, c’est-à-dire un service public pour tous, est devenu un commerce exclusif ciblant une petite élite de la société. Et pourtant, personne ne critique les compagnies de chemin de fer, personne ne trouve rien à redire à cette évolution.
Aujourd’hui, tout a un prix, tout est fait pour le profit, et si cela n’a pas de valeur commerciale, on s’en débarrasse. Mais à mon avis, il y a des choses qui ne peuvent pas être quantifiées et dont la valeur va au-delà de la vitesse, de l’argent et du profit.
Vous avez mentionné le train de nuit Sunrise Izumo – Sunrise Seto. Existe-t-il actuellement d’autres trains de nuit au Japon ?
H. T. : Non, c’est le seul qui reste. La branche Izumo relie Tôkyô à la préfecture de Shimane tandis que la branche Seto va jusqu’à Takamatsu sur l’île de Shikoku. Encore une fois, il est dommage que ce soit la seule ligne de train de nuit qui subsiste. Dans le passé, il y avait beaucoup de trains de ce type, même à Kyûshû et Hokkaidô. Mais maintenant, comme je l’ai dit, ils ont été remplacés par des trains de croisière coûteux.
Ces lignes ont-elles été supprimées parce qu’elles n’étaient pas rentables ?
H. T. : C’est en partie le cas, mais c’est surtout lié à la privatisation des chemins de fer et à la division des anciens JNR en différentes entités régionales. Par exemple, de nombreux trains de nuit reliaient autrefois Tôkyô à Kyûshû. Cependant, le tronçon entre Atami et Maibara
est désormais géré par JR Central. Un train couchette couvrirait cette partie particulière au milieu de la nuit, et JR Central n’a donc rien à y gagner. Par exemple, ils ne peuvent pas gagner d’argent en vendant de la nourriture et des boissons parce que tout le monde dort. Ils ne fournissent donc pas de conducteur pour le service de nuit, ce qui rend difficile l’exploitation de trains de nuit sur cette ligne. Comme je l’ai dit, il y a maintenant cette attitude selon laquelle ils ne font pas fonctionner un train dont ils ne peuvent tirer profit.
Parmi les évolutions récentes, on a vu apparaître des wagons réservés aux femmes et des cartes à puce. Quelles sont les implications de ces nouveautés ?
H. T. : L’ajout de wagons réservés aux femmes a été la réponse à un phénomène honteux, à savoir les chikan (pervers) qui tripotent les femmes dans le train. Je suppose que la création de ces wagons était le moyen le plus simple de régler le problème. Bien sûr, cela n’empêche pas les chikan d’opérer dans les autres wagons, mais je suppose que c’est mieux que rien.
Ce problème est particulièrement vrai dans les centres des grandes villes où la densité dans les trains de banlieue, notamment aux heures de pointe, est très élevée. Effectivement, la population japonaise diminue et vieillit, mais beaucoup de jeunes quittent encore leurs petites villes pour aller à Tôkyô, Ôsaka et d’autres grands centres urbains à la recherche d’un emploi, donc je ne pense pas que la situation va changer dans un avenir proche. Cela dit, il est vrai qu’actuellement, les trains de banlieue ne sont pas aussi bondés qu’avant parce que la pandémie a poussé beaucoup de gens à travailler à domicile. Mais tant que des millions de personnes se concentreront au même endroit, il n’y aura aucun moyen de réduire la congestion des trains au-delà d’un certain niveau. C’est pourquoi les wagons réservés aux femmes sont là pour rester, du moins pour l’instant.
En ce qui concerne l’autre point que vous avez mentionné, je pense que les cartes ont été introduites afin de réduire la quantité d’argent liquide manipulé par les compagnies ferroviaires. C’est une question de commodité, tant pour les compagnies que pour les passagers qui n’ont pas besoin d’acheter un billet à chaque fois qu’ils prennent le train. À cet égard, l’introduction de ces machines est une bonne chose. Mais d’un autre côté, je crains un peu que l’automatisation croissante du système ne conduise à l’élimination progressive de l’élément humain. Cette tendance est visible partout dans le système ferroviaire. On entend dire, par exemple, que les compagnies vont se passer de conducteurs et que les trains seront sans personnel, mais je me demande ce qui se passera lorsque quelque chose ne fonctionnera pas et qu’il n’y aura plus personne.
Plus généralement, je n’aime pas le fait que les trains modernes ne soient pas un lieu où les gens peuvent communiquer comme ils le faisaient dans le passé. Les compartiments étaient idéaux pour encourager les gens à parler à des inconnus. Mais les sièges ont changé, les compartiments ont disparu, et il n’y a plus d’espace pour une communication occasionnelle en face à face. Chaque changement a ses avantages et ses inconvénients, bien sûr. Mais j’avoue que j’ai des sentiments mitigés à l’égard de bon nombre de ces innovations. Heureusement, il reste quelques lignes de train où l’on peut encore voyager à l’ancienne. Il suffit de les chercher, peut-être loin des grandes villes. Comme je l’ai dit, aujourd’hui, chaque entreprise agit différemment et la qualité du service de train régional reflète les priorités et l’approche commerciale de chaque entreprise. Le service de l’île de Kyûshû, par exemple, n’est pas si mauvais, et recherche activement des touristes amateurs de trains. Mais celui d’Hokkaidô n’est pas bon, ce qui est dommage car cette île du nord offre des paysages d’une beauté époustouflante.
J’aimerais que les compagnies ferroviaires consacrent plus de temps à réfléchir à la manière de rendre un voyage en train plus gratifiant et plus amusant. Idéalement, par exemple, les sièges des trains qui traversent de magnifiques paysages devraient être disposés de manière à ce que les passagers puissent réellement en profiter. Faire des bénéfices est important, mais il ne s’agit pas seulement de rendre les trains plus rapides et plus efficaces et les wagons plus légers et plus rentables. Il faut les considérer comme un environnement où les gens sont appelés à passer un certain temps – parfois des heures – et ils devraient pouvoir profiter de cette expérience.
Le thème principal de votre dernier livre, Saishû densha [Le dernier train, Kôdansha, inédit en français], est que la Covid-19 a changé le mode de vie de nombreuses personnes au Japon. En particulier, même lorsque la pandémie sera terminée, les chemins de fer japonais ne retrouveront pas leur aspect d’antan. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?
H. T. : Depuis 2019 et la crise de la Covid-19, le nombre de touristes entrants a chuté à presque zéro en raison de la politique restrictive du gouvernement envers les voyageurs étrangers. Le Japon a reçu beaucoup de critiques à ce sujet, car c’est l’un des rares pays qui rend encore excessivement difficile l’entrée des étrangers sur son territoire. Cette fois-ci, la pandémie en est peut-être la principale raison, mais il ne fait aucun doute qu’historiquement, ce pays a toujours eu tendance à s’isoler du reste du monde (voir Zoom Japon n°119, avril 2022).
Cette forte diminution des touristes étrangers est dommage, surtout en ce qui concerne les trains, car certaines lignes locales ont été redécouvertes et même sauvées par des étrangers curieux qui aiment voyager en train. Par exemple, la ligne Tadami relie les préfectures de Fukushima et de Niigata (voir Zoom Japon n°108, mars 2021). Elle offre une expérience de voyage unique car les trains traversent de magnifiques gorges et passent au-dessus des rivières. Cependant, pendant de nombreuses années, elle s’est éteinte à petit feu, comme beaucoup d’autres lignes locales, le nombre de passagers ne cessant de diminuer. Destinée à devenir une autre ligne abandonnée, elle a été découverte par des touristes chinois et taïwanais, et soudain, même les Japonais qui semblaient l’avoir oubliée sont revenus en masse sur cette ligne. C’est l’une de ces lignes où l’on peut admirer le changement des saisons, notamment les feuilles d’automne colorées et les montagnes couvertes de neige en hiver. Mais personne au Japon ne semblait le savoir.
C’est pourquoi les touristes étrangers sont importants pour la survie des lignes ferroviaires dites mineures. Ils vont au-delà des stéréotypes et du sens commun et n’ont pas peur d’explorer les coins cachés de ce pays que les Japonais ont oublié. Si les touristes étrangers étaient arrivés plus tôt, de nombreuses lignes de Hokkaidô
auraient probablement survécu au lieu d’être fermées car considérées comme inutiles et non rentables. Trop souvent, les Japonais considèrent leur pays comme acquis. Ils visitent toujours les mêmes endroits célèbres, comme Kyôto, Nikkô ou Hakone, et ne semblent pas se soucier d’être entassés dans un même lieu avec des centaines de personnes. Mais certains étrangers sont constamment à la recherche de nouveaux endroits peu connus. Ils sont plus aventureux. Ironiquement, il faut des voyageurs étrangers curieux pour que les Japonais regardent leur propre pays d’un œil différent. Par ailleurs, si vous êtes étranger, le voyage en train au Japon est un moyen relativement facile de découvrir l’endroit. Les chemins de fer japonais sont très conviviaux pour les voyageurs car ils sont efficaces et les trains circulent à l’heure. Les informations et les horaires sont facilement accessibles, même en ligne, et il est donc très facile de planifier un voyage en train. C’est pourquoi la Covid-19 a été un coup dur pour les compagnies ferroviaires. C’est très décevant car la pandémie a interrompu le flux croissant de touristes, et je me demande si le système sera capable de se remettre de cette calamité. Il est difficile de prévoir à quoi ressembleront les choses dans 10 ou 20 ans.
Quelle est votre vision de l’avenir du train au Japon ?
H. T. : Les compagnies ferroviaires doivent planifier l’avenir et créer de nouvelles valeurs adaptées au Japon post-covidien. Pendant la pandémie, les réunions à distance et les fêtes en ligne sont devenues la norme. Plus précisément, le tourisme virtuel et les visites en ligne se sont généralisés parce que nous ne pouvions pas nous rendre dans la plupart des endroits, surtout à l’étranger. Mais les gens ont plus que jamais envie de rencontres en face à face et de voyages réels. Je pense qu’ils en ont assez de regarder un écran d’ordinateur. Aucune technologie élégante ne peut remplacer l’excitation de voyager dans un lieu et de le voir de ses propres yeux.
C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de lieux moins connus. Les grandes destinations touristiques classiques comme Kyôto ou Nara sont facilement accessibles en ligne. Mais tous les beaux paysages cachés que l’on peut apprécier en voyageant sur une ligne de train locale ne sont pas aussi facilement visibles. Ces endroits rares et difficiles à trouver sont, à mon avis, les destinations sur lesquelles les compagnies ferroviaires devraient miser pour gagner de nouveaux clients. Et je ne parle pas seulement des touristes étrangers. La population japonaise vieillit rapidement et le train est un moyen de transport idéal pour les personnes âgées. Encore une fois, ils sont faciles à utiliser et à comprendre. Il suffit d’acheter son billet, puis de s’asseoir et de profiter des paysages changeants. Vous n’avez pas besoin de faire de la randonnée en montagne ou de faire du vélo pour découvrir de nouveaux endroits. Il suffit de monter dans un train et des paysages inédits apparaîtront les uns après les autres sous vos yeux.
Propos recueillis par Gianni Simone