Base navale de premier plan, la cité portuaire est imprégnée par la présence de la marine depuis plus d’un siècle.
Kyôto possède un autre site maritime digne d’intérêt : Maizuru. Son nom signifie “la grue dansante” et, en effet, la ville est pleine de grues, même s’il ne s’agit pas de ces majestueux oiseaux. En fait, l’histoire de Maizuru a été façonnée par son port et son chantier naval, et aujourd’hui, la ville est un quartier général important de la Force maritime d’autodéfense du Japon.
Je suis arrivé à Maizuru un dimanche et les grues ne dansaient pas. Lorsque j’ai visité Kure (voir Zoom Japon n°110, mai 2021), une autre base navale importante près de Hiroshima, elle était bondée de touristes et de passionnés de l’armée, je m’attendais donc à voir beaucoup de visiteurs. Maizuru, après tout, a sa part d’architecture de guerre et de musées d’histoire. Au lieu de cela, la ville était pratiquement déserte.
Maizuru se compose de deux parties, Nishi-Maizuru et Higashi-Maizuru, et occupe un vaste territoire le long d’une baie isolée. Cependant, le côté Higashi (Est) est de loin le plus intéressant, c’est donc là que je me suis rendu. Je me suis enregistré dans un hôtel près de la gare, j’ai déposé mon sac à dos et je me suis dirigé vers le port.
À la fin du XIXe siècle, la marine impériale japonaise a reconnu l’importance stratégique de Maizuru et son potentiel en tant que port militaire pour les opérations dans la mer du Japon, où le pays fait face à la Chine, à la Corée et à la Russie. La baie de Maizuru convenait à un port militaire en raison de ses eaux calmes et de la possibilité d’y ancrer de nombreux navires. Son embouchure étroite donnait également au port un avantage naturel en le rendant facile à défendre. En 1889, la ville a été désignée comme le siège du quatrième district naval, son port a été dragué et des installations d’amarrage pour les navires de guerre ont été établies. Le premier commandant du district fut Tôgô Heihachirô qui, en 1905, remporta une victoire décisive sur la flotte russe à Tsushima pendant la guerre russo-japonaise.
L’arsenal a été créé en 1903 et s’est spécialisé dans la construction de petits navires comme les destroyers et les torpilleurs. Aujourd’hui encore, de nombreux navires de guerre appartenant à la Force maritime d’autodéfense du Japon y sont ancrés. Le port militaire est bien sûr interdit d’accès, mais certains des navires peuvent être observés de loin depuis les clôtures ou de près lors d’une visite en bateau de la baie.
Bien que l’objectif initial du port ait été d’aider le pays dans son effort de guerre, sa place dans l’histoire est liée aux événements de l’après-guerre, lorsque Maizuru a accueilli environ 660 000 ressortissants japonais de l’étranger – en particulier des civils qui avaient émigré en Mandchourie dans les années 1930, lorsque le Japon avait été frappé par une récession, et des soldats qui, à la fin de la guerre, avaient été capturés par l’armée soviétique et envoyés dans des camps de travail en Sibérie.
A partir de septembre 1945, environ 6,6 millions de personnes ont été rapatriées des territoires que le Japon avait conquis pendant la guerre. A la fin de 1947, le rapatriement des districts militaires d’Australie, d’Asie du Sud-Est et de Chine était pratiquement terminé. Cependant, le rapatriement des soldats capturés par l’armée soviétique s’est avéré plus difficile. Pour faciliter le rapatriement, le gouvernement japonais a désigné 18 ports comme points d’entrée. A partir de 1950, cependant, Maizuru est devenu le seul port à conserver ce statut. Entre 1945 et 1958, la ville a reçu 346 navires transportant environ 660 000 personnes. Aujourd’hui, le musée du rapatriement raconte cette histoire à travers des milliers de lettres, de journaux intimes, de vêtements et d’objets de première nécessité. En 2015, 570 de ces objets ont été ajoutés au registre “Mémoire du monde” de l’Unesco.
Une femme, en particulier, est devenue un symbole de ces temps troublés. Il s’agit de madame Hashino Ise dont le fils Shinji avait rejoint l’armée en Mandchourie en 1944. Elle était convaincue que son fils avait survécu à la guerre et, pendant des années, elle a continué à se rendre à Maizuru pour assister à l’arrivée des navires de rapatriement dans l’espoir de retrouver Shinji, même après que les autorités aient émis un certificat de décès en 1954.
Finalement, l’histoire de Hashino-san a attiré l’attention et a été reprise dans de nombreux journaux. Elle est devenue célèbre sous le nom de Ganpeki no Haha (La mère du quai). Une chanson portant le même titre et interprétée par Kikuchi Akiko en 1954 est devenue un énorme succès et s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires. Une autre version a été enregistrée par Futaba Yuriko en 1972, tandis que son histoire a fait l’objet d’un film en 1976 et d’un téléfilm en 1977. Elle est décédée en 1981 à l’âge de 81 ans sans jamais avoir pu revoir son fils.
Outre les installations portuaires et les musées, l’un des principaux points d’intérêt de Maizuru sont ses nombreux bâtiments en briques rouges. Construits entre 1901 et 1921 et utilisés à l’origine à des fins militaires, ils rappellent la modernisation rapide qui a eu lieu à cette époque. Après la guerre, ils ont servi d’entrepôts pour des sociétés privées. Sur les 12 bâtiments d’origine, huit ont été désignés biens culturels importants et cinq sont désormais ouverts au public.
Les vestiges de l’histoire sont visibles dans l’architecture et les caractéristiques extérieures des bâtiments. La peinture noire, par exemple, est visible à la base de certains bâtiments. Ils étaient peints en noir pour les camoufler en cas de raids aériens. Le plus grand, le bâtiment n° 5, a été construit avec environ 500 000 briques et abrite une énorme grue utilisée pour déplacer les torpilles qui y étaient stockées. Chaque bâtiment est légèrement différent. Parmi eux, vous trouverez des expositions, des cafés, des restaurants, des studios d’art et une boutique de souvenirs. Le bâtiment n° 5 est aujourd’hui une salle de réception pour les foires, les expositions et les mariages. Le World Brick Museum, situé dans le bâtiment n° 1, présente des briques du monde entier et des expositions sur la production de briques et les techniques de maçonnerie.
A la fin de ma promenade, je suis retourné dans la rue principale pour dîner, mais tous les restaurants – du moins ceux qui avaient l’air suffisamment bons – étaient fermés. Je commençais à désespérer quand, à 50 mètres à peine au nord de mon hôtel, j’ai découvert un vieux bâtiment en bois, au toit de tuiles, grand et sombre, qui s’est avéré être un morceau d’histoire architecturale et gastronomique : le Shôeikan.
Maizuru étant depuis longtemps une zone portuaire, la région a développé une culture alimentaire unique basée sur la cuisine internationale privilégiée par la marine impériale pendant la période Meiji (par exemple, le ragoût de bœuf, le riz au poulet, le pudding, les gaufres). Le Shôeikan est un restaurant unique qui reproduit certaines des recettes les plus populaires de l’ancien Grand livre de cuisine de la marine (Kaigun Kappôjutsu Sankôsho). Cet ouvrage a été publié en différentes éditions entre 1908 et 1938 et témoigne des nombreuses façons dont les chefs de la marine ont imaginé de créer des plats savoureux et rassasiants tout en tenant compte des exigences particulières de la vie sur un navire. Par exemple, les tendons de bœuf et les restes de poulet utilisés pour faire la soupe étaient bouillis avec la viande et utilisés comme base pour le curry afin de réduire les déchets. Les légumes étaient à l’origine coupés en gros morceaux en raison des courtes heures de travail, et différentes méthodes de cuisson étaient utilisées pendant la vie à bord d’un navire. Il contenait même des instructions sur la façon de préparer une boisson gazeuse au citron fabriquée par la Royal Navy pour prévenir l’apparition du scorbut chez les marins lors des longs voyages.
L’un des menus les plus populaires du Shôeikan est le curry et le riz de la marine. Comme le Japon du XIXe siècle était fortement influencé par la culture anglaise, le curry est devenu un plat populaire (voir Zoom Japon n°107, février 2021). Le curry du Shôeikan est composé de huit sortes d’épices. Il est intéressant de noter que l’ensemble comprend d’autres aliments que les chefs de la marine ont choisis en raison de leurs valeurs nutritionnelles : le riz d’orge, qui était consommé sur les navires pour prévenir le béribéri, et le lait pour compléter le régime des marins avec du calcium.
L’un des points forts de cet établissement est son architecture, notamment son magnifique bâtiment annexe, construit à l’origine en 1897 comme auberge de la marine. Si vous faites une réservation, il vous sera possible de déguster votre repas dans le même espace où l’amiral Tôgô s’asseyait.
G. S.