Déborah Pierret-Watanabe appartient à la nouvelle génération des traducteurs. Elle expose sa méthode de travail.
Lauréate du Prix d’encouragement 2022 décerné dans le cadre du Prix Konishi de Traduction Littéraire pour sa traduction du roman de Nashiki Kaho, L’Eté de la sorcière, paru aux Editions Picquier (2021), Déborah Pierret-Watanabe est considérée comme une valeur montante de la traduction. Le jury a notamment souligné qu’elle “a su trouver le ton et le rythme nécessaires pour restituer l’atmosphère du texte”. Zoom Japon s’est entretenu avec celle dont on peut espérer qu’elle contribuera à “la relève de la traduction littéraire japonaise en France”.
Ce sont les Editions Picquier qui, ayant acquis le droit de traduction, vous ont demandé de traduire ?
Déborah Pierret-Watanabe : Pour le moment je ne fais que des traductions que l’on me commande. Je n’ai encore jamais proposé moi-même un livre à un éditeur. L’Eté de la sorcière était ma première traduction d’un roman de littérature générale. Jusque-là, j’avais surtout traduit des ouvrages pratiques, beaucoup de catalogues d’exposition artistiques aussi.
Quelle a été votre première traduction ?
D. P.-W. : Un ouvrage pratique : Danshari, L’art du rangement de Yamashita Hideko (Autrement 2016, Marabout 2017-2021). Ensuite, on m’a confié Kiki la petite sorcière de Kadono Eiko (6 volumes, Ynnis 2019-2022), en littérature jeunesse. C’était un pari important parce qu’il y avait 6 tomes et que cette série était très célèbre. Même si on parle de littérature jeunesse, ce sont aussi des lecteurs de ma génération qui ont grandi avec le dessin animé qui aiment le personnage de la petite sorcière, il fallait que la traduction soit accessible aux enfants, mais aussi que les adultes aient du plaisir à lire.
Comment avez-vous commencé ?
D. P.-W. : J’ai fait des études de japonais à l’Université Aix-Marseille. Ensuite, j’ai suivi un master de traduction et interprétation interculturelles. On ne travaillait pas sur une langue spécifique, on abordait surtout la théorie de la traduction. J’étais la seule à travailler sur une langue non-européenne et les théories n’étaient pas toutes très adaptées au japonais… En deuxième année de master, en 2013, j’ai participé au premier atelier franco-japonais de la Fabrique des traducteurs du Collège international des traducteurs littéraires à Arles. C’est vraiment ce qui m’a fait faire un bond en avant. Être en contact et échanger avec des traducteurs du japonais confirmés, Corinne Atlan, Patrick Honnoré, Dominique Palmé, Sekiguchi Ryôko, fut vraiment très intéressant.
Pourquoi avoir voulu étudier la traduction à l’université ?
D. P.-W. : Mon intérêt pour la traduction s’est imposé assez naturellement. Déjà en licence, je me suis rendu compte que les premiers exercices de traduction me plaisaient beaucoup : quand je traduis, je ne vois pas le temps passer… Je n’ai plus eu d’autre envie que de suivre cette voie. J’ai eu le sentiment que cette activité était faite pour moi : la satisfaction ressentie quand on trouve le bon mot, la bonne phrase, le plaisir de rendre vraiment l’atmosphère d’un livre, quand on arrive à sentir à peu près la même chose en lisant le texte français que ce que l’on a senti en lisant le texte original. On prend plaisir à lire un livre japonais et ensuite c’est très gratifiant que des lecteurs français prennent plaisir à en lire la traduction. Ce partage me plaît beaucoup.
Dans ce qu’on vous a proposé jusqu’à présent, quelle traduction vous a le plus apporté ce plaisir ?
D. P.-W. : Je ne saurais pas dire. A chaque fois il se passe quelque chose. J’aime beaucoup la jeunesse : par exemple dans Kiki la petite sorcière, il y a des jeux de mots, j’ai adoré réfléchir à la manière de les rendre en français. Pour L’Eté de la sorcière, j’ai pris beaucoup de plaisir à traduire les descriptions de la nature. C’était apaisant.
Comment avez-vous travaillé sur ce roman ?
D. P.-W. : Pas de manière différente des autres traductions. En fait, c’est peut-être une façon de faire un peu étrange, mais souvent je ne lis pas le livre en entier avant de commencer à traduire. Parce que je crois que je reste une lectrice et j’aime le plaisir de la découverte, quand je traduis, j’apprécie de garder la fraîcheur de la première lecture. Je fais vraiment un premier jet littéral au fur et à mesure de la première lecture. Et puis, pour la seconde traduction, là, je sais exactement ce qui se passe jusqu’à la fin, je peux donc modifier le premier jet, un peu comme un sculpteur qui taille au fur et à mesure dans la pierre. Je continue à regarder le texte japonais, mais je commence à m’attacher davantage à l’expression française. Je fais un troisième passage où je mets le texte japonais de côté et me concentre sur le français. Lors de la quatrième étape, je ne regarde plus que le français, je n’ai plus de doute quant à l’interprétation du japonais. Voilà ma méthode habituelle. Elle prend du temps…
Est-ce que les éditeurs vous laissent ce temps ?
D. P.-W. : Pas toujours… Maintenant j’arrive mieux à négocier, mais au début je n’osais pas car j’étais contente d’avoir un livre à traduire et je me pliais aux exigences de la commande. Mais après deux tendinites et des maux de dos à cause du temps passé devant mon clavier d’ordinateur sans repos, j’ai commencé à discuter… On arrive généralement à trouver un accord.
Est-ce que le Prix Konishi vous a été utile par rapport aux éditeurs par exemple ?
D. P.-W. : Pour le moment pas vraiment, mais, à titre personnel, il a constitué une étape importante dans mon travail. Ça a été une énorme surprise : je me souviens encore du moment où j’ai reçu le mail qui m’annonçait cette distinction, je l’ai relu plusieurs fois pour être sûre de ne pas me tromper. Là, je me suis dit, ça y est, je suis traductrice. Cette reconnaissance de la part d’experts, de personnes que j’ai lues et que j’admire, m’a confortée dans mon choix d’être traductrice.
Comment travaillez-vous avec les éditeurs ?
D. P.-W. : L’expérience est assez similaire avec la plupart des éditeurs. On a une certaine liberté, ils nous font confiance. La relation entre éditeur et traducteur doit être une relation de confiance, c’est ce que je pense. Le travail du correcteur est aussi important : après quatre étapes de travail, on ne voit plus le texte, on ne le lit plus parce qu’on le connaît trop, alors les suggestions du correcteur sont très utiles. Même s’il faut parfois faire attention à ne pas laisser le sens glisser car les correcteurs en général ne lisent que le texte français et n’ont pas accès à l’original. L’éditeur n’intervient pas directement, il peut parfois faire des commentaires et je suis toujours disponible pour répondre à des questions. Généralement c’est l’éditeur qui a le dernier mot pour le titre par exemple. Ma dernière traduction parue est Le Goûter du lion d’Ogawa Ito (Editions Picquier, 2022). C’est un honneur, mais aussi une responsabilité car c’est un phénomène en France et ses livres sont très attendus.
Je viens de rendre un nouveau recueil de nouvelles pour le même éditeur, dans une autre collection que celle sous la direction de Sekiguchi Ryôko dans laquelle j’ai traduit Je mange bien, ne t’en fais pas, Quatre récits de cœur et de cuisine, d’Inoue Areno, Mori Eto, Ekuni Kaori et Kakuta Mitsuyo (2021) et Les Herbes sauvages, récits d’un cuisinier, de Nakahigashi Hisao, avec Sekiguchi Ryôko (2022).
Vous ne voudriez pas proposer certains livres aux éditeurs ?
D. P.-W. : On me demande parfois des rapports de lecture avant décision de publication, mais personnellement je n’ai encore jamais apporté moi-même de projet à un éditeur. Il y a bien sûr des livres que j’ai lus et dont je me suis dit que j’aimerais bien les traduire. Toutefois, je ne me sens pas encore en position de les proposer, je préfère attendre encore un peu d’avoir plus d’expérience. Mais je lis autant que possible, je me renseigne aussi sur les livres qui paraissent, ceux qui ont un certain écho. Je me documente beaucoup par le biais des réseaux sociaux. Mon mari japonais aussi me donne parfois des informations sur ce dont il entend parler. Et quand on va au Japon, je passe beaucoup de temps dans les librairies et je rapporte beaucoup de livres en France.
Avez-vous une méthode de travail ?
D. P.-W. : Je m’impose un nombre de pages par jour. Le matin, je sors, je vais au marché, je prends l’air parce que c’est important de ne pas rester tout le temps devant un ordinateur. Ça permet de réfléchir en marchant. Et je travaille généralement de 13 h à 19 h. Ça dépend un peu des jours aussi. Si je n’ai pas atteint mon nombre de pages, je continue autant que possible, mais parfois c’est inutile de s’acharner, quand on est fatigué car on doit finalement reprendre le lendemain ce qu’on a fait la veille… Malgré tout, j’essaye de m’imposer un nombre de pages quotidien.
Comment vous êtes-vous fait connaître des éditeurs ?
D. P.-W. : Ça n’a pas été si facile. Ça s’est fait par le bouche à oreille : comme souvent je pense, une personne m’a présentée parce qu’elle ne pouvait pas elle-même faire un travail ce qui m’a permis de connaître peu à peu le milieu. Ça a pris du temps et j’ai parfois été un peu découragée et me disais qu’il faudrait faire autre chose mais je n’arrivais pas à abandonner parce que je crois que je suis faite pour ça. Mon mari m’a toujours soutenue aussi. Cela fait environ six ans que j’ai commencé à travailler régulièrement.
Un dernier commentaire ?
D. P.-W. : Je pense que c’est très bien de faire mieux connaître ce Prix Konishi qui a une longue histoire et est très stimulant pour ceux qui le reçoivent. Le soutien qu’il représente pour les traducteurs est très important mais il pourrait aussi être utile aux éditeurs des livres primés, aux auteurs de l’œuvre originale, devenir une référence pour les librairies, etc.
Propos recueillis par C. Q.