Depuis 30 ans, la Fondation Konishi pour les échanges internationaux soutient la traduction franco-japonaise.
Créée en 1983, avec l’approbation du ministère des Affaires étrangères japonais, grâce au soutien de sociétés mécènes travaillant dans le domaine médical et pharmaceutique, à l’initiative de feu Konishi Jin-emon, alors à la tête de la société Nippon Zoki Pharmaceutical Co., Ltd, la Fondation Konishi pour les Échanges Internationaux a initialement été pensée pour soutenir la recherche scientifique internationale et la formation des personnes, en particulier entre le Japon, la Chine et la France. C’est sur le conseil de l’écrivain Inoue Yasushi, un des premiers administrateurs, qu’elle décida d’étendre le champ de ses activités à des programmes d’échanges culturels, surtout avec la France, et plus particulièrement par le biais de la traduction.
Les premiers projets soutenus furent la publication en français de deux anthologies de littérature contemporaine japonaise, l’une de nouvelles, l’autre de poésies, aux éditions Gallimard, à l’automne 1986. Inoue estimait pertinent de faire découvrir aux Français la littérature japonaise moderne, par ces formes littéraires qui “rendent particulièrement bien compte du regard qu’a un pays sur la vie et la mort” et témoignent de la créativité des auteurs japonais stimulés justement par des formes d’écriture découvertes à la lecture de traductions, notamment d’œuvres françaises. Il proposa alors un travail de traduction et de relecture mené en collaboration entre professeurs japonais et français pour assurer la meilleure transmission possible. Cet attachement à “l’excellence de la traduction” voulu par Inoue Yasushi restera un objectif spécifique de la Fondation lorsqu’elle créera, en 1993, le Prix Konishi de Traduction Littéraire auquel des écrivains tels que les regrettés Ôe Kenzaburô et Ôoka Makoto apporteront leur concours dès la première heure.
En même temps que la Fondation est reconnue d’utilité publique au Japon, en 2013, Mme Konishi Chizu, en prend la présidence et, lors des cérémonies de remise des Prix aux lauréats, elle exprime son plaisir de “découvrir chaque année la profondeur des échanges franco-japonais et de sentir chaque fois l’importance de la mission de la Fondation, à savoir que, grâce à ce Prix, le rôle du traducteur soit mieux compris et son travail considéré à sa juste valeur”.
Le Prix de traduction littéraire veut récompenser mais aussi faire mieux reconnaître le travail de ces personnes, qui, le plus souvent dans l’ombre, permettent aux lecteurs français et japonais d’accéder à d’importants écrits (voir Zoom Japon n°124, octobre 2022). Depuis sa création (à l’exception d’une interruption entre 2003 et 2006 qui a permis de vérifier combien il était précieux qu’il soit maintenu), il est annuellement décerné à une traduction de qualité, du japonais vers le français et du français vers le japonais, d’un ouvrage lui-même considéré de grande qualité, dans le domaine de la littérature ou des sciences humaines. Un Prix spécial peut également être décerné à un traducteur pour l’ensemble de son travail contribuant au développement de la traduction franco-japonaise. De plus, afin de préparer l’avenir, le comité français peut décerner un Prix d’encouragement destiné à un traducteur faisant preuve d’un talent prometteur, même si son expérience est encore limitée, et lui apporter un soutien pour poursuivre son activité de traduction. Enfin, attachée à être aussi en phase avec l’évolution des échanges entre la France et le Japon, la Fondation a créé en 2017 un Prix pour la traduction de manga japonais en français, lui aussi unique, remis chaque année au Festival de la bande dessinée d’Angoulême (Voir Zoom Japon n°77, février 2018).
La sélection pour le Prix est effectuée séparément par un jury japonais pour le Prix de traduction du français en japonais et par un jury français pour la traduction du japonais en français. La proclamation elle, se fait conjointement. La liste des lauréats depuis 1994 est impressionnante. Avec le recul, on voit combien le Prix a distingué des traducteurs qui n’ont jamais cessé ensuite leur travail de “passeurs essentiels” comme les nomme Philippe Forest et les ouvrages qu’ils ont rendus accessibles restent des œuvres particulièrement remarquables des littératures japonaise et française, classiques ou récentes, et forment un riche panorama de romans, poésies, sciences humaines ou essais.
Ce 1er avril 2023, les deux comités français et japonais ont annoncé leur choix des lauréats du
28e Prix. Le lauréat français est Morvan Perroncel (voir pp. 9-10) pour sa traduction de
Le Fascisme japonais de Maruyama Masao publié par Les Belles Lettres en 2021.
Renouvelé en 2022, le comité français, sous la présidence de Cécile Sakai, professeure émérite de l’Université Paris-Cité, rassemble la traductrice et auteur Corinne Atlan, le professeur à l’INALCO Emmanuel Lozerand et l’écrivain et professeure à l’Université Paris 8 Olivia Rosenthal qui prend le siège de Philippe Forest qui avait lui-même succédé à Michel Tournier. C’est en effet une tradition importante du Prix d’être décerné par un jury de japonologues et traducteurs éminents mais aussi d’un écrivain non japonisant, pour sa lecture de la traduction “comme s’il s’agissait d’une œuvre originale en français”.
Selon le jury, “plus de 70 ans après ces publications, cette excellente traduction permet de continuer à transmettre en France la pensée critique de Maruyama Masao. La qualité de ces travaux
traverse ainsi les décennies et les frontières. L’ouvrage est en outre très bien édité, avec un glossaire détaillé et un long commentaire scientifique du traducteur, par ailleurs spécialiste de la pensée politique japonaise. Le jury souligne le fait que son travail de traduction repose sur une parfaite maîtrise de l’histoire intellectuelle du Japon moderne”.
Le lauréat japonais est Mino Hiroshi pour sa nouvelle traduction de La Peste d’Albert Camus parue en édition de poche en 2021 aux éditions Iwanami. Le comité japonais actuel rassemble Sawada Nao, professeur à l’Université Rikkyô, l’écrivain et professeur à l’Université Waseda Horie Toshiyuki et le professeur à l’Université de Tôkyô Shiotsuka Shûichirô.
Le jury note que “La Peste a été publié au Japon en 1950 dans la traduction de Miyazaki Mineo et, depuis sa parution dans la collection de poche Shinchô Bunko, il est toujours resté très populaire [environ 600 000 exemplaires ont été vendus, entre 1969 et 2015, date de passage dans le domaine public au Japon] si bien que l’on peut penser que c’est avec une détermination et une attention toutes particulières que M. Mino a pris la décision de proposer une nouvelle traduction. Spécialiste de Camus de renommée internationale, il avait toute légitimité pour présenter une nouvelle traduction incluant les résultats de ses recherches, ce qui apparaît aussi dans les notes de traduction très complètes du livre qui contribuent, avec des illustrations et des cartes, à la compréhension de l’œuvre et permettent au lecteur de saisir des détails qui sans cela pourraient lui échapper.
Quant à la traduction, il va sans dire qu’elle est juste et précise, et un examen attentif en regard du texte original montre que chaque mot a fait l’objet d’un choix soigneux et ingénieux. A première vue, le texte japonais peut sembler être une traduction littérale, mais il reflète avec brio la complexité et la profondeur de pensée qui sous-tend l’œuvre originale, et saisit parfaitement ce qui en fait l’essence.”
Il “espère que cette nouvelle traduction d’une grande érudition permettra de faire connaître le chef-d’œuvre de Camus à un public encore plus large.” C. Q.
Les Prix Konishi de Traduction Littéraire 1994-2023
1ère édition 1994
Abe Yoshio pour les Œuvres com-plètes de Charles Baudelaire
Alain-Louis Colas pour Poèmes du Zen des cinq Montagnes
2e édition 1995
Nozawa Kyô pour les Œuvres complètes de Pierre Bayle
Dominique Palmé pour L’Eté de Nakamura Shin’ichiro
3e édition 1996
Sakazume Haruo pour La Vie mode d’emploi de Georges Pérec
Prix non attribué
4e édition 1997
Saito Ichirô pour Journal d’Edmond et Jules de Goncourt
Véra Linhartovà pour Sur un fond blanc
5e édition 1998
Kosaka Kazuhiko pour Mort à crédit de Louis-Ferdinand Céline
Jacqueline Pigeot et alii pour Œuvres complètes de Tanizaki Jun’ichirô
6e édition 1999
Yamada Minoru pour La Fiancée de Fragonard de Roger Grenier
René Sieffert pour Man’Yôshû
7e édition 2000
Nishinaga Yoshinari pour René Char
en ses poèmes de Paul Veyne
Cécile Mink-Sakai & Anne Bayard-Sakai pour Chemin de femmes d’Enchi Fumiko
8e édition 2001
Hoshino Moriyuki pour Le Testament français d’Andreï Makine
Tsukamoto Masanori pour Eau de café de Raphaël Confiant
Véronique Perrin pour Le Passeur de Furui Yoshikichi
9e édition 2002
Amazawa Taijirô pour Œuvres poétiques de François Villon
Ishii Yôjirô pour Œuvres complètes de Lautréamont & Isidore Ducasse
Jacques Levy pour Projection privée d’Abe Kazushige
10e édition 2003
Arita Tadao pour Stèle Odes Thibet de Victor Segalen
Akiyama Nobuko pour Œuvres complètes de Molière
Daniel Struve pour La Lune de ce monde flottant et Arashi, vie et mort d’un acteur d’Ihara Saikaku
Corinne Atlan & Karine Chesneau pour Chroniques de l’oiseau à ressort de Murakami Haruki
11e édition 2006
Ogasawara Toyoki pour La Pierre, La Feuille et Les Ciseaux de Henri Troyat
Tanaka Shigekazu pour L’Univers imaginaire de Mallarmé de Jean-Pierre Richard
Brigitte Koyama-Richard pour Rêves de Russie d’Inoue Yasushi
Alain Rocher pour Splendeurs et misères d’une favorite de Gofuka-
kusain-Nijô
Prix spécial Francine Hérail pour Notes journalières de Fujiwara no Michinaga
12e édition 2007
Watanabe Moriaki pour Le Soulier de Satin de Paul Claudel
Yves-Marie Allioux pour Poèmes de Nakahara Chûya
13e édition 2008
Ishi Seiichi pour Les Contes drolatiques d’Honoré de Balzac
Sylvain Cardonnel pour Bétail humain Yapou de Numa Shôzô
Jérôme Ducor pour Le Gué vers la Terre pure de Hônen
14e édition 2009
Prix non attribué
Brigitte Allioux pour Mon année de printemps de Kobayashi Issa
Jacques Lalloz pour Les 47 ronins d’Osaragi Jirô
15e édition 2010
Sawada Nao pour Sarinagara de Philippe Forest
Kasama Naoko pour Mon Cœur à l’étroit de Marie Ndiaye
Marc Mécréant pour Errances dans la nuit de Shiga Naoya
16e édition 2011
Suzuki Masao pour L’Inconnu sur la terre de J.-M. G. Le Clézio
Prix spécial Shimizu Tôru pour ses traductions de Valéry, de Mallarmé, de Butor et de Camus
Renée Garde pour Si on les échangeait : Le Genji travesti
17e édition 2012
Tsunekawa Kunio pour Œuvres de Paul Valéry
Patrick Honnoré pour La Tour de Tôkyô de Lily Franky
Michael Lucken pour La Peinture crue : Réflexions sur l’art et l’ukiyoe de Kishida Ryûsei
18e édition 2013
Miyashita Shirô pour Gargantua, Pantagruel de François Rabelais
Elisabeth Suetsugu pour L’Aiguillon de la mort de Shimao Toshio
19e édition 2014
Asahina Kôji pour L’Enfant de Jules Vallès
Mathieu Capel pour pour Odyssée mexicaine : Voyage d’un cinéaste japonais de Yoshida Kijû
Prix spécial Jean-Jacques Tschudin pour Errances sur les Six Voies d’Ishikawa Jun
20e édition 2015
Shiotsuka Shûichirô pour Les Enfants du limon de Raymond Queneau
Catherine Ancelot pour Jambes de cheval d’Akutagawa Ryûnosuke
Prix d’encouragement Myriam Dartois-Ako pour Le Restaurant de l’amour retrouvé d’Ogawa Ito
21e édition 2016
Hiraoka Atsushi pour Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux
Jacqueline Pigeot, Récits de l’éveil du cœur de Kamo no Chômei
22e édition 2017
Prix non attribué
Emmanuel Lozerand pour Un lit de malade, six pieds de long de Masaoka Shiki
Prix d’encouragement Miyako Slocombe pour Le Démon de l’île solitaire d’Edogawa Ranpo
23e édition 2018
Ishibashi Masataka pour De la Terre à la Lune de Jules Verne
Prix non attribué
24e édition 2019
Kato Kaori pour Petit pays de Gaël Faye
Sophie Bescond pour Le Vampire d’Edogawa Ranpo
25e édition 2020
Taniguchi Asako pour Trois contes de Gustave Flaubert
Jacques Joly pour Essais sur l’histoire de la pensée politique au Japon de Maruyama Masao
26e édition 2021
Sugaya Norioki pour Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert
Prix spécial Nozaki Kan
Prix spécial Yoshikawa Kazuyoshi pour A la recherche du temps perdu de Marcel Proust
Prix spécial Yoko Orimo pour Shôbôgenzô – La vraie Loi, Trésor de l’Œil de Dôgen
Prix d’encouragement Gérald Peloux pour Chroniques d’un trimardeur japonais en Amérique de Tani Jôji
27e édition 2022
Tanaka Jun’ichi pour La Boucle de Jacques Roubaud
Prix d’encouragement Déborah Pierret-Watanabe pour L’Été de la sorcière de Nashiki Kaho
28e édition 2023
Mino Hiroshi pour La Peste d’Albert Camus
Morvan Perroncel pour Le Fascisme japonais de Maruyama Masao