Dans un entretien exclusif accordé à Zoom Japon, Hamada Seiji dévoile sa stratégie pour booster la préfecture.
Comme il le fait chaque année à l’occasion de son numéro consacré à une préfecture, Zoom Japon s’est adressé au gouverneur, principal personnage politique, pour qu’il brosse un portrait de sa région. Fraîchement réélu, celui de Kôchi, Hamada Seiji, s’est prêté au jeu des questions-réponses.
Vous avez été récemment réélu à la tête de la préfecture de Kôchi. Que pensez-vous de ce résultat ? De quelle manière pensez-vous avoir gagné la confiance des électeurs ?
Hamada Seiji : L’élection a eu lieu en novembre et, bien que le taux de participation ait été inférieur à celui du scrutin précédent, j’ai obtenu plus de voix. Cela m’a rappelé que je devais faire de mon mieux pour diriger le gouvernement préfectoral au cours des quatre prochaines années. Pendant mon précédent mandat, j’ai eu beaucoup de mal à empêcher la propagation de la Covid-19 et à équilibrer les activités sociales. Cependant, je pense que les mesures que nous avons prises ont été bien accueillies.
Cette fois-ci, j’ai fait deux grandes promesses de campagne. La première est de rester à l’avant-garde des tendances actuelles, telles que la numérisation, l’environnement et la mondialisation. La seconde est aussi la plus importante à l’heure actuelle : il s’agit de répondre efficacement au déclin de la population. Je pense que ma réélection signifie que les citoyens de la préfecture sont d’accord avec mon programme.
Comment la préfecture de Kôchi a-t-elle vécu la crise sanitaire et qu’avez-vous retenu de cette expérience ?
H. S. : Il s’agissait d’une bataille mondiale contre un virus inconnu, et notre priorité absolue était donc d’empêcher la propagation de l’infection. Cependant, nous devions également veiller à ce que les activités sociales et économiques perdurent. Je pense que le plus important était de trouver un équilibre entre ces deux éléments. Nous avons pris des décisions au cas par cas. Toutefois, pour ce qui est de la prévention concernant la propagation du virus, la sûreté et la sécurité des habitants de la préfecture étaient notre priorité. Nous nous sommes donc efforcés de faire en sorte que le système de soins médicaux fonctionne correctement et que les vaccins soient accessibles à tous. Je peux dire que nous avons travaillé dur pour cela. D’autre part, en ce qui concerne les activités sociales et économiques, la mise en place de diverses restrictions pour limiter la propagation du virus a porté préjudice à de nombreux citoyens. Afin d’atténuer cet impact, la préfecture a créé son propre système de financement et de soutien, comprenant un large éventail de prestations. Au final, le nombre d’infections a été maintenu à un niveau extrêmement bas.
En ce qui concerne les enseignements tirés de cette période, étant donné qu’il s’agissait d’une pandémie sans précédent, nous avons compris que les mesures de prévention des infections devaient être prises sur la base de preuves scientifiques et que l’information devait être diffusée au sein de la communauté.
Quels sont les problèmes les plus urgents que la préfecture de Kôchi doit aujourd’hui s’efforcer de résoudre ?
H. S. : Notre plus grand défi actuel est de faire face au déclin de la population. La population de cette préfecture a atteint son pic en 1985. Depuis lors, son nombre n’a cessé de diminuer pour atteindre récemment un peu plus de 665 000 personnes. Ce qui est particulièrement choquant, c’est que le nombre d’enfants nés dans la préfecture l’année dernière a été le plus bas jamais enregistré, soit 3 721, ce qui est également le plus bas parmi les 47 préfectures du pays. La raison principale en est qu’au fil des ans, les jeunes ont quitté la préfecture pour s’installer dans les grandes villes à la recherche d’un emploi ou pour faire des études supérieures. Si cette tendance n’est pas inversée, nous allons perdre ceux-là mêmes qui peuvent nous aider à surmonter ce problème. C’est actuellement notre plus grand défi.
Actuellement, près de 36 % des habitants de Kôchi ont plus de 65 ans. J’aimerais connaître votre stratégie pour attirer les jeunes originaires d’autres préfectures d’une part, et celle pour réduire le nombre de départs de votre préfecture d’autre part.
H. S. : Nous devons nous attaquer à trois problèmes majeurs. Tout d’abord, pour attirer les jeunes de l’extérieur et faire revenir les autochtones à Kôchi, je pense qu’il faut avant tout augmenter le nombre d’emplois attractifs pour ces générations. Cela signifie, par exemple, se tourner vers l’innovation pour répondre aux tendances récentes en matière de numérisation et d’environnement. Nous devons également augmenter le nombre d’emplois rentables en exportant nos produits vers la région du Kansai (région d’Ôsaka) et même à l’étranger.
Deuxièmement, la vie dans la préfecture doit être attrayante pour les jeunes, c’est pourquoi nous devons améliorer le système éducatif et développer diverses mesures de soutien à l’éducation des enfants. Le maintien d’un bon environnement de vie doit devenir notre priorité.
Troisièmement, nous devons veiller à ce que Kôchi devienne un lieu sûr et sécurisé. On dit qu’un tremblement de terre majeur devient de plus en plus imminent chaque année, nous devons donc développer diverses infrastructures et mesures de prévention des catastrophes pour assurer la sécurité.
A la suite de votre “déclaration IkuBoss”, des efforts ont été consentis pour inciter les hommes à prendre des congés parentaux. Quelle est la situation actuelle ?
H. S. : Au Japon, les rôles des hommes et des femmes sont figés depuis longtemps. L’opinion selon laquelle les hommes doivent aller travailler et les femmes rester à la maison pour élever les enfants est profondément ancrée. J’aimerais résoudre ce problème rapidement et créer un système adapté à la nouvelle ère. En ce sens, je souhaite créer un environnement de travail où il est normal que même les hommes prennent un congé pour élever leurs enfants. C’est pourquoi j’ai fait la déclaration IkuBoss en 2020. En conséquence, le pourcentage d’employés masculins à la préfecture de Kôchi ayant pris un congé parental, qui était d’environ 18 % en 2019, a plus que triplé pour atteindre 61,2 % en 2020. Au cours de l’année fiscale 2022, le taux a encore augmenté pour atteindre 73,7 %. Je pense donc que nous avons atteint une certaine normalité dans ce domaine au sein de notre administration.
En revanche, le taux de congé parental pris par les hommes employés dans les entreprises privées, dont beaucoup sont des PME, n’est pas aussi bon même s’il est récemment passé à près de 30 %. C’est encore assez faible, mais je pense que nous avançons dans la bonne direction. A l’avenir, le gouvernement préfectoral continuera à encourager davantage d’hommes à prendre des congés de garde d’enfants.
C’est le genre d’environnement que nous voulons créer. En particulier, comme je l’ai mentionné précédemment, les jeunes, et surtout les femmes, quittent la préfecture de Kôchi. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le nombre de bébés diminue. Si nous voulons
attirer plus de femmes, nous devons leur montrer que la société locale est différente de ce qu’elle était auparavant et que les hommes se comportent mieux avec les femmes et les aident souvent à s’occuper des enfants.
Quel message, quel héritage voulez-vous transmettre aux générations suivantes ?
H. S. : Lorsque je pense aux meilleurs aspects de la préfecture de Kôchi, la première chose qui me vient à l’esprit est la richesse de notre environnement naturel. Le climat est doux, nous avons des centaines de kilomètres de côte face à l’océan Pacifique, puis de magnifiques rivières comme le Shimanto et le Niyodo, et des montagnes verdoyantes. En outre, la préfecture est entourée de montagnes, ce qui la rend géographiquement difficile d’accès depuis d’autres préfectures. En ce sens, elle a conservé une culture unique, libre d’esprit et ouverte. Personnellement, je pense que cet amour de la liberté est l’une des principales caractéristiques des citoyens de Kôchi. C’est une chose dont nous pouvons être fiers.
Cependant, alors qu’une culture unique s’est enracinée ici, en particulier dans les zones montagneuses, le dépeuplement et le vieillissement progressent et, comme nous l’avons déjà mentionné, le nombre de jeunes diminue. Par conséquent, les festivals (voir Zoom Japon n°52, juillet 2015), les méthodes traditionnelles de pêche en rivière et d’autres merveilleux exemples de la culture locale se perdent peu à peu. Je veux que les jeunes et les enfants en héritent. Je veux qu’ils réalisent leurs rêves et leurs espoirs ici.
Vous étiez chef de la division de la prévention à l’Agence de gestion des incendies et des catastrophes au moment du séisme du 11 mars 2011. Qu’avez-vous appris de cette expérience ?
H. S. : Il est désormais clair que les bâtiments ne sont plus aussi facilement endommagés ou détruits par les séismes eux-mêmes. Je pense que c’est une réussite pour le Japon dans son ensemble. D’un autre côté, lorsqu’un tsunami d’une telle ampleur frappe, les habitants des zones côtières sont vraiment engagés dans une course contre la montre, et la grande leçon que nous avons tirée est que si l’évacuation est retardée, de nombreuses vies seront perdues. C’est pourquoi il est très important de prendre des mesures pour que ces leçons ne soient pas oubliées.
Où en êtes-vous dans la préfecture en prévision d’un tremblement de terre lié à la fosse de Nankai ?
H. S. : Après le séisme de 2011, nous avons renforcé les contre-mesures. Une dizaine d’années se sont écoulées depuis lors et comme notre objectif est de ramener le nombre estimé de décès aussi près de zéro que possible, nous avons ajusté notre plan d’action tous les trois ans en fonction de l’évolution de la situation et d’autres nouveaux développements. D’une manière générale, nous devons envisager trois phases différentes. La première consiste à mieux protéger les vies ; la deuxième concerne le maintien des liens avec les survivants ; et la dernière porte sur les mesures destinées à la reprise des activités.
Tout d’abord, en ce qui concerne nos mesures de protection des populations, outre la construction de maisons antisismiques, si vous regardez les zones proches de la mer, vous remarquerez que nous avons développé un réseau de “tours d’urgence tsunami” où les personnes qui ne peuvent pas s’enfuir rapidement vers un terrain plus élevé peuvent trouver refuge contre le tsunami. Nous les construisons depuis dix ans et nous sommes sur le point d’achever le projet.
Ces tours mises à part, il est particulièrement important que les gens évacuent vers un terrain plus élevé dès que les secousses cessent, et nous devons donc faire comprendre aux gens qu’ils doivent prendre ces choses au sérieux et agir rapidement. Selon notre dernière enquête, environ 70 % des gens sont conscients de cela. Notre objectif est bien sûr d’atteindre les 100 %. Nous avons besoin que les habitants pensent positivement à ce sujet, c’est pourquoi nous travaillons dur pour les sensibiliser.
Une autre question à laquelle nous nous attaquons est celle de la prise en charge des nombreuses personnes âgées handicapées qui vivent dans la préfecture, d’autant plus que la population continue de vieillir et que nombre d’entre elles ne sont pas en mesure d’évacuer seules. Nous les désignons sous l’expression “personnes nécessitant une attention particulière” et nous élaborons un plan d’évacuation individuel pour chacune d’entre elles, y compris pour savoir qui aidera qui en cas de séisme et de tsunami. Nous travaillons actuellement avec les municipalités pour le mettre en œuvre.
La deuxième phase que j’ai mentionnée précédemment consiste à venir en aide à toutes les personnes touchées par la catastrophe. Pour ce faire, nous aurons probablement besoin d’une aide importante de l’extérieur de la préfecture. Nous sommes en train d’élaborer des mesures pour apporter sans heurts un soutien et une aide médicale et pour livrer les marchandises nécessaires. A l’avenir, il sera nécessaire de revoir périodiquement ces plans et de vérifier leur bon fonctionnement par des formations et des exercices afin d’accroître leur efficacité.
En ce qui concerne la troisième phase, celle qui est axée sur le redressement et la reconstruction après le tremblement de terre, nous nous intéressons particulièrement aux zones situées le long de la côte intérieure de la préfecture. Nous demandons actuellement à 19 municipalités de préparer ce que l’on appelle un plan de développement avant récupération, qui décrit la manière dont elles reconstruiront leurs villes en cas de tsunami. Bien entendu, nous leur fournirons un soutien solide.
Lors du séisme de mars 2011, nous avions estimé qu’environ 42 000 personnes pourraient mourir en cas d’un tremblement de terre catastrophique lié à la fosse de Nankai. Toutefois, à la fin de l’année 2021, ce nombre avait diminué d’environ 80 % pour atteindre 8 800 personnes, grâce aux diverses mesures que nous avons élaborées au cours des dix dernières années. Nous travaillons actuellement sur la cinquième phase de notre plan d’action, qui sera achevée à la fin de la prochaine année fiscale, et notre objectif est de réduire encore de moitié le nombre de victimes attendues, pour atteindre environ 4 300 personnes.
De nombreux navires de croisière font escale à Kôchi. Ils sont souvent considérés comme de gros pollueurs. Par ailleurs, quelle est votre politique en matière de tourisme durable ?
H. S. : De nombreux bateaux de croisière opèrent dans notre préfecture, y compris en provenance de l’étranger. En ce qui concerne les problèmes de déchets et de pollution environnementale que vous avez mentionnés, je ne pense pas qu’il y ait de problèmes particuliers à Kôchi, et les habitants n’ont pas d’inquiétudes majeures. Dans le secteur des croisières également, je pense que des efforts sont actuellement déployés pour prévenir la pollution de l’environnement et que le tourisme de croisière se développe d’une manière réellement durable. Cette préfecture est riche en sources naturelles, mais d’un autre côté, elle est éloignée des grandes villes comme Tôkyô et Ôsaka, et elle est à la traîne en termes industriels. Dès lors, le tourisme est une industrie très importante pour nous, et je suis très reconnaissant que Kôchi ait été choisi comme port d’escale par tant de navires de croisière. J’espère qu’ils créeront davantage d’occasions de découvrir notre belle région.
Vous avez également évoqué le tourisme durable. Je pense que nos zones rurales ont un grand potentiel dans ce domaine, et à partir de ce mois d’avril, nous lançons une nouvelle campagne qui met l’accent sur nos collines et nos montagnes. La façon dont le tourisme de masse s’est développé ces dernières années a amené les gens à reconsidérer la culture propre à la campagne et la valeur de ces ressources. Nous aimerions les mettre en valeur pour permettre aux gens d’expérimenter pleinement tout ce qu’il y a de bon dans notre nature et notre culture. Grâce à ces projets, nous souhaitons préserver les traditions et les atouts naturels uniques de Kôchi pour les générations futures.
Quelles mesures devraient être prises pour améliorer l’attractivité de Kôchi et attirer davantage de touristes, en particulier de l’étranger ?
H. S. : Les principales destinations touristiques du Japon sont Tôkyô, Ôsaka et Kyôto. Par rapport à elles, Kôchi est encore relativement peu connue des étrangers. Par conséquent, mieux faire connaître la préfecture à l’étranger est un enjeu majeur, et depuis 2018, nous essayons d’attirer davantage de touristes étrangers. En particulier pour ceux d’Europe et des Etats-Unis, nous essayons de fournir des informations qui se concentrent sur la vie des populations locales à travers des choses comme l’histoire et la culture de la nourriture naturelle qui est unique à notre région. En ce qui concerne la croissance du nombre de visiteurs étrangers, par rapport à l’année dernière, notre taux de croissance est le troisième plus élevé du pays, après Tôkyô et Tochigi.
En ce qui concerne les initiatives spécifiques, nous avons commencé, en mai dernier, à opérer des vols charters deux fois par semaine entre Taïwan et Kôchi, et j’espère que nous serons bientôt en mesure d’offrir des vols réguliers. Nous aimerions lancer des vols directs avec d’autres pays que Taïwan, d’autant plus que l’exposition universelle d’Ôsaka se tiendra en 2025 et que nous espérons attirer ces touristes.
L’alimentation et la gastronomie jouent un rôle important pour attirer les touristes. Quelle est votre stratégie dans ce domaine.
H. S. : La préfecture est dotée d’une nature abondante, qui produit une variété extrêmement riche d’aliments et d’ingrédients, parmi lesquels le saké (voir pp. 22-25), le yuzu (voir pp. 18-21) et le tataki de bonite. Ces produits sont très appréciés tant au niveau national qu’international. De plus, en raison de l’isolement relatif de Kôchi, une culture alimentaire unique a pris racine dans la campagne, comme l’inakazushi (voir p. 13), ces sushis de légumes particulièrement délicieux. Nous avons développé une campagne touristique qui met l’accent sur les ingrédients de saison et les personnes qui les cuisinent. Lorsque l’on parle de nourriture, il est important de présenter le contexte, les traditions et l’histoire de la culture alimentaire. Après tout, si notre nourriture est bonne, c’est aussi parce que les personnes qui la produisent, la cuisinent et l’accueillent sont passionnées.
La France est l’un de nos meilleurs marchés, car elle importe beaucoup de saké et de yuzu de Kôchi. Cette année, par exemple, un événement a été organisé à Paris, parrainé par le concours japonais de saké Kura Master, et j’ai entendu dire qu’il avait remporté un grand succès. En Allemagne, nous avons également organisé un événement sur le yuzu dans le cadre de l’une des plus grandes expositions alimentaires d’Europe.
Avez-vous un message particulier à adresser à nos lecteurs ?
H. S. : Bien que notre préfecture ne soit pas encore très connue à l’étranger, elle possède un charme qui rivalise avec les destinations touristiques les plus célèbres du Japon. Vous pouvez profiter de la nature, de l’histoire et de la culture, et surtout d’une cuisine délicieuse et d’une interaction avec les gens qui vivent ici. C’est pourquoi je serais heureux que des Français viennent à Kôchi pour en faire l’expérience. En ce qui concerne nos relations directes avec la France, la préfecture de Kôchi a recréé le jardin de Claude Monet dans le village de Kitagawa (voir Zoom Japon n°66, décembre 2016). C’est d’ailleurs le seul endroit au monde où la Fondation Claude Monet a donné l’autorisation d’utiliser officiellement le nom de Monet.
Si l’on considère la quantité de yuzu et de saké exportée vers d’autres pays, la France est notre premier acheteur de yuzu et le troisième importateur de saké de Kôchi. Enfin, notre préfecture et la France sont également unies par la danse. A Bordeaux et à Paris, deux troupes interprètent le Yosakoi, une danse originaire de Kôchi. En 2016, elles ont été nommées ambassadeurs du Yosakoi par notre préfecture et ont participé au festival du Yosakoi à Kôchi en août 2023 en tant que représentantes de la France. J’espère que tous ces échanges économiques et culturels contribueront à mieux faire connaître Kôchi en France.
Propos recueillis par Gianni Simone