Pour son grand feuilleton dominical, la NHK a choisi, cette année, de se focaliser sur l’auteur du Dit du Genji.
Hikaru kimi e (Dear Radiance pour les marchés étrangers) est le dernier feuilleton historique au long cours (Taiga dorama) diffusé par la NHK. Laissant de côté pour une fois le monde des samouraïs, illustré, l’an passé, par la série sur Tokugawa Ieyasu (voir Zoom Japon n°130, mai 2023), la chaîne publique japonaise s’est aventurée dans un territoire presque inconnu en explorant le monde brillant de la noblesse à la période Heian (794-1185) et la vie de Murasaki Shikibu, écrivain et dame d’honneur à la cour impériale, surtout connue comme l’auteur du Dit du Genji, considéré comme l’un des romans les plus anciens du monde.
Le drame est centré sur les liens étroits entre Murasaki Shikibu et Fujiwara no Michinaga, un homme d’Etat appartenant au puissant clan Fujiwara qui contrôlait la scène politique à l’époque. Michinaga serait également le modèle de Hikaru Genji, le personnage principal du Dit du Genji. Nous nous sommes entretenus avec la productrice Uchida Yuki et la scénariste Ôishi Shizuka de la NHK pour évoquer le feuilleton, la personnalité complexe de Murasaki et du monde peu connu de la période Heian. Uchida Yuki est connue pour son travail sur les asadora (feuilletons matinaux), des fictions télévisées diffusées chaque matin en épisodes de 15 minutes et généralement centrées sur la vie d’un personnage qui fait face à des défis tout en travaillant à la réalisation de ses rêves. Ôishi Shizuka est un auteur chevronné qui, depuis ses débuts en 1986, a principalement travaillé pour la télévision, remportant de nombreux prix pour ses séries.
Pourquoi avez-vous choisi la période Heian et Murasaki Shikibu comme protagoniste ?
Uchida Yuki : Dans la plupart des Taiga, les personnages principaux sont généralement des hommes. Lorsque nous avons planifié ce projet, le réalisateur Nakajima Yuki et moi-même avons décidé de mettre en avant une femme, pour la première fois en sept ans. Cela a posé un problème car, à l’époque des samouraïs, les femmes avaient tendance à occuper une position subalterne. Cependant, nous voulions que notre histoire se concentre sur une femme indépendante d’esprit qui prenait sa vie en main. Finalement, nous avons choisi Murasaki parce que son roman, qui a vraisemblablement été écrit entre 1000 et 1012, est connu de tous au Japon et qu’il y a très peu de personnes, hommes ou femmes, qui ont réussi un tel exploit.
En termes de sujet, il ne s’agit pas d’un thème typique pour ce genre de feuilleton. Quels défis avez-vous dû relever ?
U. Y. : Nous avons été confrontés à un certain nombre de problèmes. Le plus important est probablement que l’action se déroule au milieu de la période Heian, une époque que nous n’avions jamais traitée auparavant et pour laquelle la NHK ne disposait pas de décors ou de costumes. Nous avons donc dû partir de zéro et tout apprendre, de la nourriture et des vêtements aux objets qu’ils utilisaient, en passant par les coutumes sociales et un million d’autres choses. Nous avons constamment posé des questions aux historiens pour obtenir plus de détails. Il était également important que non seulement le personnel mais aussi les acteurs acquièrent une connaissance approfondie des costumes, du mobilier, etc. C’était un gros obstacle, mais travailler sur ce projet a aussi été extrêmement gratifiant.
Par ailleurs, s’il y a bien une histoire d’amour, un autre aspect important du programme est la lutte pour le pouvoir politique entre les aristocrates. En effet, c’est l’une des rares séries qui se concentre sur la société aristocratique et qui ne comporte pratiquement pas de batailles. Enfin, nous avons mis en scène un écrivain (donc pas de scènes de bataille tape-à-l’œil) pour lequel il n’existe pratiquement pas de documents historiques.
Nous sommes tombés d’accord sur le fait que si nous pouvions faire appel à Ôishi Shizuka pour écrire l’histoire, nous pourrions y arriver.
Ôishi Shizuka : Lorsque j’ai reçu leur offre, j’étais très heureuse de travailler une nouvelle fois pour un Taiga, mais je me demandais qui regarderait un drame sur la période Heian. Cependant, Uchida et Nakajima croyaient en ce projet et m’ont convaincue que nous pouvions réaliser une série intéressante que personne n’avait jamais vue auparavant. De plus, comme je vieillis, je pense que je n’aurai plus beaucoup d’occasions de participer à un autre projet de ce genre. Voilà pourquoi, j’ai franchi le pas. Uchida et Nakajima voulaient s’attaquer à un monde qui n’avait jamais été dépeint auparavant, et j’ai donc décidé de me joindre à eux pour créer un feuilleton qui surprendrait les téléspectateurs.
Uchida-san, vous êtes connue pour être en charge des asadora. Comment avez-vous abordé une production d’un an à gros budget ?
U. Y. : Il est évident que les asadora et les Taiga sont très différents. En même temps, les feuilletons matinaux sont généralement des histoires sur le destin d’une femme, donc on peut considérer Hikaru kimi e comme un asadora beaucoup plus ambitieux. En effet, il s’agit d’un projet de grande envergure et de nombreuses personnes sont impliquées dans sa production. Cependant, dans un Taiga, il est nécessaire de dépeindre non seulement l’évolution du personnage principal, mais aussi le contexte historique et les hauts et les bas de la société d’une manière plus dynamique. En fin de compte, c’est complètement différent.
Ô. S. : Mon travail de scénariste consiste à dépeindre des êtres humains, et la façon dont j’interagis avec eux n’est pas très différente des séries télévisées commerciales ordinaires et des séries historiques. En ce qui concerne le travail de représentation des personnes, la taille et le genre n’ont pas vraiment d’importance. Le plus grand défi pour moi était que je ne pouvais pas écrire sur la période Heian sans disposer de suffisamment d’informations, et mes connaissances sur cette époque se limitaient aux quelques éléments que j’avais appris au collège et au lycée. J’ai donc dû faire un gros travail de rattrapage.
Pensez-vous que la plupart des Japonais ne savent pas grand-chose de Murasaki Shikibu et du Dit du Genji ?
Ô. S. : Tous les Japonais ont entendu parler de Murasaki Shikibu et du Dit du Genji, et savent qu’il s’agit d’une histoire sur la vie romantique d’un bel homme nommé Hikaru Genji. Cependant, ils n’ont aucune idée de la situation sociale qui prévalait à l’époque Heian, et l’impression générale est que les aristocrates de l’époque menaient une vie tranquille, écrivant des poèmes et vivant des aventures romantiques. En ce sens, je suis sûr que les spectateurs ont été surpris par le monde dépeint dans notre histoire.
U. Y. : Dans les lycées japonais, on ne peut lire Le Dit du Genji que si l’on rejoint une classe spéciale ou un cercle littéraire. Sinon, on ne lit que quelques pages, généralement au début de l’histoire. Même dans les cours d’histoire, on n’apprend pas grand-chose sur la période Heian. Le fait que le clan Fujiwara ait eu un pouvoir supérieur à celui de l’empereur et qu’il ait fait épouser sa fille à la famille impériale pour mieux contrôler le pays n’est mentionné que dans certains manuels et je ne pense pas que beaucoup de gens le sachent. Mais lorsque la diffusion du feuilleton a commencé en janvier, les gens se sont montrés très intéressés. Après tout, la période Heian était une époque où les aristocrates étaient très élégants, et beaucoup de littérature et de culture sont nées à cette époque.
Je pense que dans ce cas, le pouvoir de la télévision peut être utilisé de manière positive. Il y a pas mal de gens qui, jusqu’à présent, n’avaient jamais vraiment pensé à lire Le Dit du Genji et ne connaissaient Murasaki Shikibu que de nom, mais après avoir regardé le feuilleton, ils se sont intéressés et ont décidé d’en apprendre davantage sur le sujet.
Quels sont les points forts de Hikaru kimi e ?
U. Y. : Il y en a beaucoup, mais je me limiterai à trois d’entre eux. Le plus important est Murasaki Shikibu elle-même. Bien qu’elle ait vécu il y a mille ans dans une société dominée par les hommes, cette femme avait un grand sens de l’observation et un sens critique aigu, et en se concentrant sur ce qu’elle voulait accomplir dans la vie, elle a pu réaliser ses rêves. Ce sont là des caractéristiques que l’on associe généralement à une femme moderne et indépendante. Sa vie, son déroulement et ses relations avec les autres personnages constituent une histoire passionnante. Quel genre de vie mène-t-elle et comment devient-elle un grand écrivain ? Ces éléments sont au cœur du feuilleton.
Le deuxième élément est sa relation avec Fuji-
wara no Michinaga. Il s’agit bien sûr d’une personne réelle qui est entrée dans l’histoire comme quelqu’un qui avait beaucoup de pouvoir. Il était probablement son protecteur lorsqu’elle a écrit Le Dit du Genji et ils ont eu une sorte de relation romantique. Ils ont toutefois entretenu une relation complexe, se rapprochant tour à tour l’un de l’autre et prenant des chemins différents.
Le troisième point fort, bien sûr, est le milieu aristocratique dans lequel évolue Murasaki. Alors que ces gens se disputaient le pouvoir, et que leur monde peut sembler si éloigné du nôtre, ils éprouvaient des sentiments de bonheur et d’inquiétude assez semblables à ceux de notre époque. A certains égards, c’est assez similaire au Japon d’aujourd’hui, alors j’espère que les gens qui regarderont la série penseront que nous partageons les mêmes désirs et les mêmes aspirations.
Ô. S. : Il est difficile de citer quelques points forts. Pour moi, toute la série est pleine de moments forts (rires) ! Cela dit, je trouve les décors superbes. L’équipe a fait un travail splendide. Ils ont réussi à transporter les téléspectateurs dans ce monde séduisant rempli d’histoires passionnantes. Le beau travail de la direction artistique transporte visuellement le spectateur dans la période Heian. Je pense que vous apprécierez à la fois l’histoire d’amour et l’histoire passionnante pleine d’intrigues.
Uchida-san, que pensez-vous du scénario d’Ôishi-san ?
U. Y. : Vous me demandez de faire l’éloge de son travail devant elle (rires) ! Blague à part, Ôishi-
san a dit plus tôt qu’à certains égards, il n’y a pas de différence entre les œuvres modernes et historiques, et je trouve qu’elle a vraiment réussi à créer une image vivante de ces personnages, de leur personnalité et du genre de vie qu’ils menaient à l’époque Heian. De plus, elle a évité de tomber dans les stéréotypes. Parfois, on voit quelqu’un à la télévision et on se dit que les gens ne sont pas comme ça dans la réalité. Ce n’est pas le cas dans Hikaru kimi e. Je pense que sa plus grande réussite a été de dépeindre des personnages tridimensionnels qui agissent et parlent comme de vraies personnes. De plus, le scénario est plein d’humour et il est donc agréable à suivre.
Dans l’histoire, Murasaki s’appelle Mahiro.
U. Y. : Oui, c’est le nom que nous lui avons choisi.
Vous voulez dire que c’est un nom fictif ? Et Shikibu ?
U. Y. : Tout d’abord, vous devez comprendre que nous savons très peu de chose sur la vie de Murasaki car les documents historiques la concernant ont été complètement détruits pendant la guerre d’Ônin en 1467. Ce que nous savons, c’est qu’elle est devenue connue sous le nom de Mura-
saki Shikibu plus tard dans sa vie. Nous avons donc dû lui trouver un nom, et nous avons fini par en choisir un – Mahiro – qui pouvait être donné à la fois à un garçon et à une fille, comme c’est parfois le cas au Japon. En ce sens, Mahiro n’est pas un prénom très féminin, mais un peu androgyne. C’était intentionnel : nous voulions imaginer une personne capable de tracer son propre chemin et de vivre pleinement sa vie sans être liée par les règles et les conventions sociales.
Murasaki Shikibu est-elle une sorte de nom de plume ?
U. Y. : Pas vraiment. Murasaki Shikibu est un nom descriptif. Comme je l’ai dit, son vrai nom est inconnu, mais il se peut qu’elle ait été Fujiwara no Kaoriko, mentionnée dans un journal de la cour de 1007 en tant que dame d’honneur impériale.
A cette époque, les femmes n’étaient pas appelées par leur nom. Une dame de cour, en particulier, prenait un nom faisant référence au rang ou au titre d’un parent masculin. Ainsi, Shikibu n’est pas un vrai nom mais fait référence à Shikibu-shô, le ministère des Cérémonies où le père de Murasaki était fonctionnaire.
En ce qui concerne Murasaki, les choses sont encore plus compliquées. Elle est née dans la famille Fujiwara. Le “Fuji” de Fujiwara signifie “glycine” qui est souvent colorée en violet ou en lilas. Or, en japonais, le mot “violet” se dit “murasaki”. Il semble que Shikibu ait commencé à être appelé Murasaki à la cour en référence à Murasaki no Ue, l’héroïne principale du Dit du Genji. En d’autres termes, le nom de Murasaki Shikibu lui a été attribué après qu’elle eut écrit le roman. Je sais, c’est assez déroutant.
C’est aussi extrêmement fascinant. En parlant de la période Heian, quelle approche avez-vous adoptée pour décrire cette époque ? Et que voulez-vous transmettre à travers cette série ?
U. Y. : Les fans de Taiga dorama ont l’habitude de regarder des histoires se déroulant pendant la période Sengoku (du XVe au XVIe siècle) et s’attendent à certains points culminants tels que l’incident de Honnô-ji (1582) et la bataille de Sekigahara (1600). Nous, au contraire, nous racontons une histoire que personne ne connaît, ce qui, d’un côté, est un grand défi mais, de l’autre, est très amusant parce que personne ne sait ce qui va se passer ensuite. Personnellement, je pense qu’une histoire d’un parcours humain est tout aussi passionnante qu’une guerre. En effet, cela peut être encore plus intéressant qu’une histoire où l’on sait déjà que Nobunaga va mourir lors de l’incident de Honnô-ji.
Hikaru kimi e propose des histoires d’amour palpitantes, des luttes de pouvoir intenses et des thèmes philosophiques. Je pense donc qu’elle plaira non seulement aux fans des Taiga traditionnels, mais aussi aux amateurs de drames historiques et de récits romantiques coréens.
Ô. S. : Il est assez difficile de le dire en quelques mots, car c’est un feuilleton qui s’étend sur une année entière. La période Heian est souvent perçue de façon négative comme le monde d’aristocrates paresseux et puissants qui passaient leurs journées à s’amuser. D’un autre côté, l’époque préférée des Taiga est la période Sengoku parce qu’elle est pleine de nobles guerriers célèbres, comme Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi ou Tokugawa Ieyasu, qui se sont battus vaillamment pour la suprématie. Cependant, je me demande souvent comment il est possible qu’une époque où les gens s’entretuaient en masse puisse être considérée comme noble et merveilleuse.
La période Heian, au contraire, n’a pas bonne réputation. Elle est souvent décrite comme une période d’intrigues et de luttes de pouvoir entre aristocrates privilégiés qui ne se soucient pas des gens ordinaires. Cependant, en travaillant sur notre scénario, nous avons obtenu l’aide de Kuramoto Kazuhiro, un éminent professeur d’histoire de la période Heian, qui nous a dit que même si certaines de ces choses sont vraies, c’était aussi une époque où tout pouvait être résolu par la discussion et la médiation. C’est un aspect que nous voulions souligner dans l’histoire. Après tout, ils ont créé un monde sans guerre majeure pendant 400 ans, ce qui témoigne d’un niveau politique élevé qui est toujours d’actualité. Le professeur Kuramoto a également déclaré qu’en cas de catastrophe naturelle, la classe dirigeante aidait les gens et construisait des huttes pour les sans-abri.
Le prochain point important est de savoir comment présenter Murasaki Shikibu. J’aimerais en faire une femme de condition sociale modeste qui, grâce à son sens de l’observation et à son esprit critique, s’épanouit en tant qu’artiste expressive. Son apparence rappelle celle d’une femme indépendante et moderne. A bien y réfléchir, le cœur des gens n’est pas très différent aujourd’hui de ce qu’il était il y a 1 000 ans.
Mais Hikaru kimi e ne concerne pas seulement l’aristocratie. Nous avons découvert qu’il n’y avait apparemment qu’un millier d’aristocrates pendant la période Heian, et je ne sais pas vraiment combien de personnes vivaient au Japon à cette époque, mais les aristocrates représentaient probablement environ 0,01 % de la population. Se concentrer uniquement sur leur monde serait un peu biaisé, et j’ai donc décidé qu’il fallait aussi montrer le point de vue des gens ordinaires. C’est pourquoi j’ai créé le personnage de Naohide, un membre de la troupe Sengaku qui joue des pièces satiriques dans les rues, critiquant avec humour les contradictions politiques et sociales de l’époque. De cette façon, nous avons pu montrer le mécontentement à l’égard du régime politique et l’opposition aux Fujiwara à travers les yeux des gens du peuple.
Vous avez souligné le fait que la vie de Murasaki Shikibu est entourée de mystère. Mais l’était-elle vraiment ?
U. Y. : On dit que Mahiro a perdu sa mère lorsqu’elle était jeune et qu’elle a vécu dans une relative pauvreté. Ces événements ont fait d’elle une femme très consciente du fait que la vie était un combat permanent. Tout en développant ses talents littéraires hors du commun, elle s’est rendu compte que pour parvenir à quelque chose, elle devait suivre son propre chemin dans la vie.
Non seulement elle était très intelligente, mais elle avait des aspirations différentes de celles des autres femmes. Bien qu’elle se soit mariée, elle ne voulait pas simplement être l’épouse de quelqu’un, comme la plupart des femmes aristocratiques de l’époque. En même temps, elle a développé des sentiments pour Fujiwara no Michinaga, mais bien que Michinaga lui ait demandé plusieurs fois de devenir sa femme, elle a refusé, estimant qu’elle ne voulait pas que leur mariage la distraie de sa mission.
Ô. S. : Les Taiga dorama reposent sur l’idée qu’ils ne doivent pas trahir les faits historiques sur lesquels ils sont basés. Par conséquent, même si les créateurs font de la fiction, ils doivent respecter leurs sources historiques ; l’histoire doit être crédible. Malheureusement, il ne reste absolument rien sur Murasaki Shikibu de la période Heian, en particulier sur son enfance et ses débuts dans la vie. Je dis “malheureusement”, mais ce problème nous a donné – à Uchida-san, au réalisateur Nakajima et à moi-même – beaucoup de liberté, ce qui nous a permis de créer une œuvre originale.
Mais pour répondre à votre question, bien que nous appelions Murasaki un auteur, elle n’était pas un écrivain professionnel dans le sens que nous donnons à ce mot aujourd’hui. Elle possédait néanmoins les qualités d’un écrivain. Elle a été exposée à beaucoup de choses différentes dans sa vie, mais elle a toujours essayé de rester fidèle à elle-même. Par conséquent, elle était probablement une personne complexe, qui ne cherchait pas à plaire aux autres. Si j’avais vécu il y a mille ans, je ne sais pas si nous aurions été amies. Mon scénario dépeint donc une femme très difficile. Cependant, l’actrice qui incarne Murasaki, Yoshitaka Yuriko, est très mignonne et charmante, et elle est suffisamment douée pour atténuer la dureté de son personnage et lui donner juste ce qu’il faut de charme.
Pourquoi l’avez-vous choisie pour incarner Murasaki ?
U. Y. : Lorsque nous avons commencé à créer le personnage de Mahiro, nous étions tous d’accord pour dire que nous ne voulions pas dépeindre une femme unidimensionnelle. Pendant la période Heian, les attitudes à l’égard du mariage et du divorce étaient à certains égards plus libérales qu’aujourd’hui. C’était aussi une époque où les maris et les femmes vivaient séparément. Le nom de famille des femmes ne changeait pas même si elles se mariaient, et leurs enfants étaient élevés avec leur mère. Cependant, les femmes n’étaient pas libres de faire ce qu’elles voulaient ou de choisir leur propre voie dans la vie, et le système patrilinéaire était toujours en vigueur.
Murasaki Shikibu, cependant, n’était pas du tout conventionnelle. Par exemple, elle vivait dans la maison de son père. Lorsque le moment est venu de choisir notre actrice principale, je me suis demandée qui serait capable d’incarner une femme au caractère bien trempé, désireuse de vivre un certain type de vie en dépit de certaines restrictions sociales. Finalement, nous avons convenu que Yoshitaka Yuriko correspondait parfaitement à l’image que nous avions en tête.
Je dois également souligner à quel point elle est à l’aise dans les costumes de la période Heian. Elle correspond à l’image de la femme japonaise typique de cette époque, avec ses longs et beaux cheveux, et je trouve que le jûnihitoe [cette superposition de douze tuniques traditionnelles est une robe de cour formelle portée par les femmes nobles et les dames d’honneur à la Cour impériale japonaise] lui va à ravir.
Ô. S. : Yoshitaka a un côté yang très brillant et énergique, mais elle a aussi le côté yin de la tristesse et de la solitude, et cet équilibre du yin et du yang explique le côté grincheux de Murasaki.
Un autre personnage important est Fujiwara no Michinaga, interprété par Emoto Tasuku. Quelle relation entretiennent-ils dans la série ?
Ô. S. : Historiquement parlant, nous savons qu’ils n’étaient pas mariés, mais qu’ils ont peut-être eu une relation amoureuse. Ce que nous savons, c’est que leurs âmes étaient tellement liées qu’ils ont pu continuer leur vie parce qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre. Historiquement, ils ont vécu dans un petit quartier de la même ville, un environnement dans lequel il ne serait pas surprenant qu’ils aient eu une relation amoureuse. Disons qu’ils ont un lien émotionnel qui va au-delà de l’amour. Ils ne s’entendent pas toujours, et leurs sentiments l’un envers l’autre sont parfois contradictoires, mais ils en sont venus à se considérer comme deux moitiés qui, ensemble, forment un tout.
U. Y. : Une autre chose importante à propos de Michinaga est que de nombreux commentateurs ont tendance à donner l’impression qu’il était un homme extrêmement arrogant et dictatorial. Cette information figure même dans les manuels scolaires des collèges et des lycées. Les gens pensent que le clan Fujiwara était tyrannique dans sa pratique politique. Là encore, cela ne semble pas être le cas. Selon le professeur Kuramoto Kazuhiro, Michinaga était un excellent politicien capable de maintenir la paix en orchestrant et en contrôlant habilement les différentes factions et leurs relations avec l’empereur. J’espère que ce feuilleton permettra de changer notre perception de la période Heian.
C’est probablement une question qui devrait être posée aux acteurs, mais pour vous, est-il difficile pour des interprètes modernes d’incarner des personnages de l’époque Heian ?
U. Y. : Je pense que le scénario d’Ôishi est écrit de telle manière que les acteurs se sentent à l’aise pour jouer des personnages d’il y a 1 000 ans. Plus que le jeu lui-même, je dirais que la chose la plus difficile pour les acteurs a été de s’habituer à bouger et à jouer en portant ces lourds costumes de la période Heian.
Ô. S. : C’est aussi mon avis. Je pense que le cœur des gens n’a pas changé avec le temps. Quand on y pense, les sentiments que l’on éprouve pour ses parents, ses frères et sœurs ou la personne que l’on aime sont toujours les mêmes, quel que soit l’âge de ces personnes.
Après avoir regardé Hikaru kimi e, on a l’impression qu’un nouveau public, notamment féminin, était visé pour cette série au long cours.
U. Y. : Je pense que vous avez raison, du moins en partie. Comme je l’ai dit, les Taiga dorama ont tendance à se concentrer sur les guerres et à mettre en scène des samouraïs de la période Sengoku qui plaisent généralement aux spectateurs masculins. Cette fois, je voulais créer quelque chose que les femmes se sentiraient à l’aise de regarder. En même temps, nous ne voulons pas perdre notre base de fans traditionnels, c’est pourquoi j’ai demandé à Ôishi de s’occuper de cet aspect de l’histoire également.
Ô. S. : J’ai entendu dire que d’après les études menées par la NHK, cette année nous avons beaucoup de téléspectatrices, mais je dois reconnaître que je ne suis pas trop préoccupée par cet aspect. Lorsque je crée quelque chose, je ne pense pas à un soi-disant public cible, ou à quel groupe démographique nous devrions nous adresser. Même cette fois-ci, je n’ai pas spécialement pensé aux femmes en écrivant mon scénario. Pour être plus claire, mon travail consiste à trouver une histoire intéressante et à la tisser avec des dialogues vivants. Et je crois que si l’histoire est intéressante, tout le monde la regardera, quel que soit le sexe ou l’âge.
Propos recueillis par G. S.