Taquiner le poisson est un loisir pratiqué par des millions de personnes dans l’Archipel. Et ce, depuis bien longtemps.
Le Japon attire des millions de personnes du monde entier grâce à sa culture unique, sa cuisine délicieuse et sa nature spectaculaire. Cependant, peu de gens savent que le pays du Soleil-levant est aussi un paradis pour les pêcheurs. Tout d’abord, la diversité de son écosystème offre un environnement idéal pour la pêche. Des cours d’eau douce de montagne aux eaux océaniques, vous trouverez une variété impressionnante d’espèces de poissons. Les sites jouent bien sûr un rôle essentiel dans le plaisir que vous aurez à pêcher, et le Japon offre des sites à couper le souffle pour tous les types de pêche. C’est aussi parce que la plupart des pêcheurs locaux accordent la priorité à la conservation de la nature. Leur engagement en faveur d’une pêche durable garantit que les générations futures pourront continuer à en profiter. En d’autres termes, que vous soyez un pêcheur expérimenté ou un débutant, le Japon vous promet des aventures de pêche inoubliables.
La pêche au Japon a une longue histoire. Les premières traces de cette activité remontent à la période Kofun (250-538 après J.-C.) où, selon le Nihon Shoki, les chroniques du Japon rédigées au VIIIe siècle, elle était également utilisée comme rituel pour prédire l’issue d’une guerre. A la même époque, la pêche apparaît dans la littérature japonaise. En effet, elle est mentionnée à la fois dans le Kojiki (une chronique de mythes, légendes, hymnes, généalogies, traditions orales et récits semi-historiques) et dans le Man’yôshû (le plus ancien recueil de poésie japonaise classique). Selon un récit, par exemple, l’impératrice légendaire Jingu avait l’habitude d’aller pêcher le poisson ayu en utilisant des grains de riz comme appât.
Mais ce n’est qu’à l’époque d’Edo (1603-1867) que la pêche récréative est devenue populaire dans tout le pays et qu’elle a été adoptée comme passe-temps par les samouraïs et les gens du peuple. Plusieurs raisons ont conduit à ce phénomène, toutes liées à l’établissement du shogunat Tokugawa (voir Zoom Japon n°130, mai 2023). Nagatsuji Shôhei, auteur d’Edo no Tsuri – Mizube ni Hiraita Shumi Bunka [La pêche à Edo – un hobby qui s’est développé sur le front de mer, Heibonsha, 2003], explique que, pendant plus de 200 ans, il n’y a pas eu de guerres majeures. Les samouraïs, en particulier, disposaient de beaucoup de temps libre. Ils n’avaient pas seulement le temps de pêcher, ils vivaient aussi dans un environnement idéal pour s’adonner à leur passe-temps. En effet, la capitale shogunale disposait d’un vaste réseau de canaux et de moyens de transport par voie d’eau, et les lieux de pêche étaient omniprésents. La baie d’Edo abritait de nombreuses espèces de poissons et de crustacés. La zone côtière était bordée de fossés pour la gestion de l’eau et d’un réseau de voies d’eau artificielles qui constituaient un environnement idéal pour la pêche.
Un autre facteur lié à l’établissement de la ville d’Edo en tant que capitale de facto du Japon est le nombre croissant de naufrages dans la baie d’Edo. Pour la construction du château d’Edo, des navires transportaient constamment des pierres de la région de Shizuoka à Edo. Nombre d’entre eux ont coulé dans la baie, créant ainsi un récif artificiel. Les poissons tels que la dorade et le verdier s’y rassemblaient, ce qui en faisait un lieu de pêche idéal.
La seule chose qui manquait était une approbation morale de la pêche. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, les temples bouddhistes jouissaient à la fois d’un pouvoir politique et d’une influence religieuse sur la population. Pendant des siècles, les coutumes et les habitudes alimentaires des Japonais ont été influencées par le précepte du bouddhisme qui interdit de tuer et de manger des animaux (voir Zoom Japon n°135, novembre 2023). Cependant, les temples ont perdu une grande partie de leur pouvoir sous les Tokugawa. Les gens se mirent alors à pêcher.
Cette tendance fut temporairement stoppée par le cinquième shogun, Tokugawa Tsunayoshi (1680-1709). Fervent croyant et amoureux des chiens, il commença à publier, au début des années 1690, une série d’édits sur la compassion pour les êtres vivants, ce qui permit de faire revivre l’interdiction bouddhiste de tuer les animaux. Cependant, à sa mort, les édits furent abolis. La période sombre de 15 ans pour la pêche était enfin terminée, et la pêche recommença à prospérer.
Au cours du XVIIIe siècle, l’essor de la pêche de la période Edo conduisit à la publication de plusieurs livres et manuels sur le sujet. Le samouraï Tsugaru Unemenoshô, par exemple, écrivit, en 1723, un guide d’introduction à la pêche intitulé Kasenroku. Le premier tome couvre les lieux de pêche au large de la côte de Shinagawa à Tôkyô, et le second contient des informations sur les instruments de pêche et les appâts. D’autres ouvrages furent publiés en 1770 et en 1788, indiquant, entre autres, les noms des marchands locaux de matériel de pêche.
L’équipement de pêche de la période Edo était de très haut niveau grâce à l’application de l’artisanat militaire à l’usage civil. Par exemple, les techniques de traitement des arcs et des flèches, auparavant utilisées pour redresser les bambous et en faire des perches, ont été utilisées pour fabriquer des cannes à pêche. De même, la laque, utilisée depuis longtemps pour durcir les fourreaux des sabres japonais, a été appliquée aux cannes à pêche pour les rendre à la fois durables et belles. Même les balles de fusil en plomb étaient utilisées pour fabriquer des poids de pêche. En Europe, faute de bambou, on utilisait des cannes à pêche en bois, mais elles n’avaient pas la sensibilité des cannes à pêche japonaises en bambou. C’est ainsi qu’à partir de la période Meiji (1868-1911), le matériel fabriqué au Japon devint un produit d’exportation.
Au cours du XXe siècle, la pêche de loisir devint de plus en plus populaire. En 1973, l’Association japonaise pour la promotion de la pêche fut créée et, pour la première fois, on mena des enquêtes sur le nombre, la structure et l’orientation de la population de pêcheurs. Selon le premier recensement, la population de pêcheurs fut estimée à 14,5 millions et, en 1978, on recensa 17,61 millions de pêcheurs à la ligne et 42 000 bateaux guides de pêche récréative.
Cette augmentation considérable, associée à la pollution de l’eau et à la poldérisation liée au développement urbain, a entraîné un déclin de la population de poissons, tant à l’intérieur des terres qu’en mer. En conséquence, pour protéger les poissons d’eau douce, chaque préfecture a adopté des réglementations plus strictes en matière de pêche récréative, notamment en établissant des saisons de pêche, en interdisant certaines méthodes et en prenant d’autres mesures pour protéger les familles de poissons. Les pêcheurs devaient également payer des droits de pêche fixés par l’association servant à financer la reproduction et la protection des poissons.
Il n’existe pas de réglementation similaire pour les poissons d’eau salée. Toutefois, le gouvernement a imposé une interdiction temporaire de la pêche dans les zones où les jeunes poissons sont relâchés. L’Agence nationale pour la Recherche et l’Education en matière de pêche et les centres de pêche préfectoraux furent les premiers acteurs de ces mesures visant à protéger les familles de poissons.
Jusqu’au début des années 1990, le nombre de personnes pratiquant la pêche en tant que loisir n’a cessé d’augmenter, au point que l’on parlait d’environ 20 millions de personnes. Toutefois, à la suite de l’éclatement de la bulle financière et de la récession, conjuguées à d’autres facteurs, le nombre de pêcheurs à la ligne a commencé à chuter rapidement. Selon le livre blanc sur les loisirs du Japan Productivity Center, le nombre de pêcheurs récréatifs est tombé à 12,9 millions en 2006, à 7,1 millions en 2013 et à 6,2 millions en 2018.
Paradoxalement, ce loisir a connu un regain de popularité grâce à la pandémie de Covid-19. Dans un contexte de mesures de distanciation sociale, la pêche est redevenue populaire en tant qu’activité de loisir en plein air pouvant être pratiquée facilement avec un faible risque d’infection. En conséquence, les berges des rivières, les jetées et autres installations où l’on peut pêcher le long de la côte se sont à nouveau remplies de pêcheurs le week-end.
Le nouvel essor de la pêche a également attiré les femmes et les enfants. Il y a quelques années encore, ce loisir était associé au fait de se salir les mains et de sentir mauvais en touchant des vers de terre, des vers de vase et d’autres appâts vivants. Cependant, avec l’évolution du matériel de pêche et la diversification des méthodes de pêche, de plus en plus de femmes pratiquent désormais une pêche “intelligente” en utilisant des leurres artificiels. En effet, la pêche aux leurres a connu le plus grand succès ces dernières années. Les leurres sont fabriqués de multiples façons, y compris des turluttes métalliques colorées et des vers en caoutchouc, et sont utilisés pour attraper toutes sortes de poissons. D’une manière générale, le matériel de pêche est devenu plus petit et plus léger. Pour attraper de gros poissons avec des lignes de nylon épaisses, il fallait auparavant un gros moulinet, des poids lourds et une canne à pêche longue et lourde capable de les supporter, mais il est désormais possible de les attraper avec du matériel léger, ce qui rend ce passe-temps encore plus intéressant.
Le secteur de la pêche semble également bien se porter. Selon une enquête de l’Association japonaise de l’industrie des produits de la pêche, les ventes nationales d’articles de pêche ont augmenté d’un peu moins de 7 % en 2020 pour atteindre 149,13 milliards de yens, soit une hausse de 106,7 % par rapport à l’année précédente, et 156,82 milliards de yens en 2021. En janvier de la même année, le quotidien économique Nikkei Keizai Shimbun a publié un article indiquant que Globeride, une grande entreprise de matériel de pêche qui fabrique la célèbre marque Daiwa, allait construire une nouvelle usine au Vietnam. Cette nouvelle usine devrait permettre d’augmenter la capacité de production globale de 10 %.
Si, pendant de nombreuses années, les entreprises japonaises ont régné sur le marché mondial avec leurs voitures et leurs appareils électroménagers, peu de gens savent que le Japon est le numéro un mondial des ventes dans le secteur du matériel de pêche et que Globeride est la plus grande entreprise mondiale d’équipement de pêche. Le nom de cette entreprise basée à Tôkyô n’est peut-être pas aussi célèbre que celui de Toyota ou de Sony, mais son matériel de pêche se vend pour 100 milliards de yens dans le monde entier. Si la plupart de ses ventes se font au Japon (65 %), elle a également établi une forte présence en Asie (16,4 %), en Europe (10,5 %) et en Amérique du Nord (8,0 %).
Gianni Simone