Pas besoin de partir à la campagne ou de sortir en mer pour s’adonner à sa passion.
Je suis presque certain que lorsque les gens pensent à la pêche, ils imaginent un front de mer, une plage exotique ou un étang tranquille à la campagne. Personne, par exemple, n’associerait le centre de Londres ou de Paris à la pêche. Pourtant, à Tôkyô (et dans d’autres grandes villes japonaises), c’est exactement ce que vous pouvez faire.
La capitale japonaise compte plusieurs étangs de pêche artificiels régulièrement fréquentés par les amateurs et les professionnels, et les deux endroits les plus populaires sont situés en plein centre de la métropole : le Benkei Fishing Club se trouve près de l’hôtel ultra-riche New Otani, tandis que l’Ichigaya Fish Center (IFC) se trouve à côté de la gare d’Ichigaya, sur les lignes JR Chûô et Sôbu (voir Zoom Japon n°96, décembre 2019).
Bien que surplombé par des gratte-ciel et l’imposante voie express métropolitaine, le Benkei ressemble presque à un étang naturel grâce aux nombreux arbres qui l’entourent. Les clients peuvent pêcher le black bass, la truite arc-en-ciel, le bluegill, le snakehead et la carpe soit sur le pont (520 yens pour une demi-heure), soit en bateau (1 700 yens pour une heure).
L’IFC, quant à lui, est plus proche de la classe ouvrière. Vu d’en haut, il est également très impressionnant car il bloque presque complètement le cours de la rivière Kanda. Plus d’une fois, depuis le quai 2 de la gare d’Ichigaya, j’ai aperçu les pêcheurs rassemblés autour des bassins, totalement indifférents à la vie trépidante de Tôkyô qui se déroulait autour d’eux. La pêche urbaine me semblait à la fois attrayante et surréaliste. Par une chaude après-midi de printemps, je me suis donc rendu à l’IFC, impatient de mettre à l’épreuve mes piètres compétences en matière de pêche.
L’IFC dispose de six bassins de tailles différentes, dont la profondeur varie entre 1,5 et 2 mètres. Dans cinq de ces bassins, on ne peut pêcher que des carpes, tandis que le plus petit contient un mélange de poissons rouges, de petites carpes et de poissons de rivière et est principalement réservé aux enfants. Pendant les vacances, les petits peuvent aussi s’essayer à l’écopage des poissons rouges, un jeu traditionnel japonais.
A l’IFC, les adultes paient 780 yens (4,60 euros) pour une heure, 1 530 yens pour deux et 2 910 yens pour toute la journée. Vous pouvez apporter votre propre canne à pêche, à condition qu’elle ne dépasse pas trois mètres de long. Vous pouvez également apporter vos appâts, mais les appâts vivants ne sont pas autorisés. Dans tous les cas, vous pouvez louer une canne à pêche et les appâts en purée du magasin pour 100 yens chacun. Le matériel fourni est de bonne qualité et bien entretenu. Il y a des cannes à pêche longues et courtes.
Après avoir choisi une canne, j’ai pris une épuisette et me suis dirigé vers l’un des bassins. Il est très important de choisir les bons endroits pour pêcher, car cela peut influencer vos chances d’attraper l’insaisissable carpe. J’ai remarqué que de nombreux hommes (il n’y avait pratiquement pas de femmes ce jour-là) se rassemblaient dans les coins des bassins, tandis que d’autres endroits étaient complètement vides. J’ai appris plus tard que ce sont les meilleurs endroits pour pêcher. En effet, les carpes ne se contentent pas de nager tranquillement autour des bassins, mais ont tendance à se regrouper dans les coins. Un autre endroit qu’elles apprécient est la grille métallique d’aération. Pendant les vacances et les week-ends, l’endroit est bondé et il peut être difficile de trouver un bon coin de pêche, mais si vous le pouvez, choisissez l’un d’entre eux.
Il s’avère que le moment est tout aussi important que l’endroit, et pour maximiser vos chances d’attraper quelque chose, vous devez choisir avec soin le moment où vous allez pêcher. Apparemment, les poissons sont plus actifs tôt le matin et le soir, et le meilleur moment pour y aller est donc juste après l’ouverture ou avant la fermeture du magasin. En outre, il est plus facile de faire une grosse prise si le temps change, par exemple juste avant ou après la pluie, plutôt que quand le ciel est toujours dégagé.
Bien sûr, j’ai choisi une belle journée clémente pour aller pêcher. Sous un ciel bleu, je me suis assis sur une chaise qui s’est avérée être une caisse de bière, j’ai lancé ma ligne et j’ai attendu que quelque chose se passe, ne sachant absolument pas ce que j’étais censé faire. Au bout d’un moment, j’ai remarqué qu’un Japonais d’une soixantaine d’années me regardait d’un air amusé. “C’est la première fois que vous pêchez ici ?” Il a dû avoir pitié de ce gaijin (étranger) désemparé, car il m’a fait signe de rapprocher ma caisse de bière de son emplacement et a commencé à me montrer les finesses de la pêche en étang. “La pêche ici peut sembler facile, mais pour attraper quelque chose, il faut de la patience, des connaissances et quelques astuces. Il ne suffit pas de jeter une ligne dans l’étang pour garantir une prise. Ces carpes sont intelligentes et se contentent souvent de manger l’appât autour de l’hameçon sans mordre”, m’a-t-il dit.
“Tout d’abord, je voudrais que vous réfléchissiez aux habitudes alimentaires des carpes”. Je me suis fait une image mentale des nombreuses carpes qui vivent dans la rivière près de chez moi. Elles passent leur temps à flotter paresseusement, puis se précipitent sur l’une ou l’autre rive dès qu’elles voient un humain s’approcher, dans l’espoir qu’il leur jette une poignée de pain rassis ou d’autres choses comestibles. Mon maître de pêche a interrompu ma rêverie pour m’expliquer que les carpes se nourrissent généralement en aspirant la nourriture qui a coulé au fond de l’étang. “Il est donc important de placer l’appât le plus près possible du fond. C’est la méthode que j’utilise toujours”, a-t-il confié. Ensuite, il m’a montré comment fixer à l’hameçon l’appât que j’avais acheté à la réception. “Il ne faut pas se contenter de former une boule comme le font beaucoup de gens”, m’a-t-il expliqué. “Il faut lui donner la forme d’une pyramide. Et ne mettez pas trop d’appâts. La pyramide doit être aussi petite que possible, juste assez pour couvrir l’hameçon. Ainsi, l’appât se dissoudra plus facilement dans l’eau et les carpes se rassembleront rapidement à cet endroit. Pour la même raison, veillez à déposer l’appât toujours au même endroit. Ainsi, l’odeur de l’appât attirera plus de carpes à cet endroit, ce qui augmentera considérablement vos chances. En revanche, si vous déposez l’appât à plusieurs endroits différents, les carpes se disperseront et vous aurez moins de chances de les attraper”.
J’ai donc suivi ses instructions, j’ai lancé ma ligne dans l’étang et j’ai attendu une touche. Au bout d’une minute, j’ai vu mon flotteur s’enfoncer dans l’eau et j’ai tiré, mais seul l’hameçon est sorti de l’étang. “Dame ! Dame !” (Non ! Non !), a lancé mon compagnon de plus en plus irrité par mes erreurs. “Les débutants comme vous ont tendance à faire ça, mais si vous n’êtes pas patient, vous allez souvent rater votre coup. Si le flotteur bouge ou coule partiellement, il se peut qu’une carpe ait touché le flotteur. Il faut attendre que le flotteur coule complètement. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il faut relever rapidement la canne à pêche et tirer. Si vous avez bien accroché le poisson, vous devez sentir le poids de la carpe sur votre canne. A ce moment-là, ne laissez jamais la canne tomber et gardez-la en position verticale. Lorsque la carpe s’affaiblit et s’approche progressivement de votre poste, attrapez-la avec votre filet”, a-t-il tonné.
Inutile de dire que je n’ai pris aucun poisson. J’ai même envisagé de m’installer dans le petit étang aux poissons rouges, mais c’était un peu gênant d’être assis au milieu de tous ces petits enfants. Toutefois, si vous aimez la pêche, visiter l’un des nombreux étangs de pêche du pays est un bon moyen de découvrir une autre facette du Japon.
Jean Derome