Chaque année, grâce au Taiwanese Maestro Masterpiece, les Japonais peuvent tisser des liens avec Taïwan.
Cette année encore, deux festivals consacrés au cinéma taïwanais ont eu lieu à Tôkyô : le Taiwanese Maestro Masterpiece (TMM) qui s’est tenu en juillet et en août, et le Taiwan Film Screening (TFS). Le TMM a été créé par le distributeur de films Suzuki
Hajime en 2014 tandis que le TFS est né en 2016 et est organisé par le Centre culturel de Taïwan. Zoom Japon a rencontré Suzuki-san de TMM et son assistante et conseillère, Kojima Atsuko, fondatrice du Taiwan Film Club, sur les films taïwanais au Japon et le festival de cette année.
Comment est né le TMM ?
Suzuki Hajime : A l’origine, les films chinois étaient distribués par Tokuma Shoten et d’autres sociétés. Puis, un jour, un ami taïwanais m’a dit qu’il avait des versions restaurées d’anciens films taïwanais et m’a demandé si je voulais les distribuer au Japon. C’était il y a 12 ans, peu après que je suis devenu un distributeur de films indépendant. Je connaissais déjà les films de Hou Hsiao-hsien et j’aimais la façon dont il montrait la vie quotidienne des Taïwanais. C’est ce qui m’a amené à lancer le TMM.
Les films de Hou Hsiao-hsien sont connus au Japon depuis longtemps.
S. H. : Oui, mais je travaille dans l’industrie cinématographique depuis 40 ou 50 ans et, par le passé, les films taïwanais n’avaient pratiquement pas de public au Japon. Nous présentions ces titres lors de festivals du film et obtenions un nombre décent de spectateurs, mais lorsque ces mêmes films sortaient en salles, presque personne ne s’y intéressait, à l’exception de La Cité des douleurs (Beiqing chengshi, 1989).
Dans ces conditions, cela ne doit pas être facile de promouvoir les films taïwanais au Japon.
S. H. : Les films taïwanais s’en sortent généralement bien en tant que films d’art et essai. De plus, quelques films commerciaux comme Taipei Story (Qingmei Zhuma, 1985) d’Edward Yang ont bien marché, et les films d’horreur sont maintenant également populaires. Ce n’est pas un grand marché, mais il y a une base de fans bien établie. Bien sûr, cela se limite au circuit des “petites salles” (voir Zoom Japon n°103, septembre 2020).
Comment choisissez-vous les films que vous voulez montrer au TMM ?
S. H. : Hou Hsiao-hsien, Edward Yang et Tsai Min-liang sont toujours à l’affiche. Ce sont de loin les réalisateurs les plus connus et ils attirent toujours un public plus nombreux. Ensuite, j’inclus de nouveaux films et d’autres œuvres intéressantes qui n’ont jamais été montrées au Japon. Par exemple, feu le critique de cinéma Satô Tadao m’a parlé d’un réalisateur appelé Wang Tong, très populaire à Taïwan. Cette année, nous avons donc projeté sa célèbre trilogie, Daocaoren (Strawman, 1987), Banana Paradise (Xiangjian tiantang, 1989) et Wuyan de shanqiu (Hill of No Return, 1992).
Quel est l’attrait des films taïwanais pour les Japonais ?
S. H. : Je pense qu’il y en a plusieurs. Tout d’abord, on trouve encore beaucoup d’éléments japonais à Taïwan en raison des relations et de l’histoire entre les deux pays. Ces éléments sont disséminés dans de nombreuses œuvres des années 1980 et 1990, ce qui est probablement intéressant pour le public japonais. Taïwan est relativement proche du Japon et les personnes plus âgées en savent probablement beaucoup sur son histoire, mais les gens comme moi, qui sont dans la quarantaine ou plus jeunes, ne savent pas grand-chose de l’histoire entre nos deux pays, et ils sont donc intrigués par la présence de tous ces éléments japonais dans des films d’un pays différent, comme les dialogues mêlant les langues chinoise et japonaise. De cette manière, ils comprennent progressivement l’histoire et la culture taïwanaises.
S. H. : Nous n’étudions pratiquement jamais l’histoire à l’école. En conséquence, nous ne savons presque rien de l’histoire commune du Japon et de Taïwan. L’ancienne génération en savait beaucoup plus que nous, car beaucoup d’entre eux ont rencontré des Taïwanais et ont eu des contacts avec eux. C’est le même phénomène avec la Corée en ce qui concerne l’histoire. A ceci près qu’aujourd’hui, nous sommes plus sensibilisés à l’histoire et à la réalité coréennes en raison de la popularité des téléfilms et des films coréens dans notre pays.
K. A. : De même, les œuvres coréennes arrivent au Japon dans une grande variété de genres, des drames sociaux et historiques aux divertissements. Il y en a pour tous les goûts. Cependant, lorsqu’il s’agit de films taïwanais, nous avons surtout des œuvres traitant de thèmes sociaux et politiques. Par ailleurs, les films commerciaux plus légers sont rarement importés. Récemment, nous avons vu plus de comédies et de films de genre, l’horreur étant très populaire. Toutefois, les amateurs de films d’horreur ne font pas de distinction entre les films taïwanais, thaïlandais ou coréens. Ils les placent tous dans une catégorie plus large de films d’horreur asiatiques. En d’autres termes, je ne pense pas qu’ils les regardent parce qu’ils viennent de Taïwan. Ils aiment l’horreur, quel que soit leur pays d’origine.
Parlez-nous de Wang Tong qui était au cœur du festival de cette année.
S. H. : A Taïwan, il est considéré au même niveau que Hou Hsiao-hsien. Il a remporté les prix du meilleur réalisateur et du meilleur film avec son premier film, et ses films sont très populaires dans son pays d’origine. Il n’a pas eu de chance, car quelques années après ses débuts, un groupe de réalisateurs un peu plus jeunes, comme Hou Hsiao-hsien, a fait son apparition et a été salué comme une sorte de nouvelle vague taïwanaise et a attiré toute l’attention des médias. Wang a été reconnu et respecté comme une sorte d’aîné dans l’industrie cinématographique taïwanaise, mais bien qu’il ait remporté un certain nombre de prix, il n’a jamais été reconnu dans les festivals de cinéma européens. L’un des “problèmes” est que ses œuvres mêlent souvent art et divertissement (l’humour est souvent un élément important de ses histoires) et qu’elles ont donc tendance à être négligées par les critiques et le public internationaux.
Pour les spectateurs japonais, ses films sont très intéressants parce que le Japon revient souvent dans son œuvre, en particulier dans la trilogie que nous avons montrée cette année. Certains films commencent même par des dialogues japonais. Les langues utilisées dans Daocaoren et Wuyan de shanqiu sont le taïwanais et le japonais.
K. A. : Il y a encore beaucoup de choses que nous, Japonais, ne savons pas sur nos échanges passés avec Taïwan. Lorsque nous visitons l’île, les Taïwanais sont très gentils avec nous et nous avons probablement tendance à prendre pour acquis que les Taïwanais sont favorables au Japon. A cet égard, je pense que les films de Wang Tong sont importants parce qu’ils montrent que leurs sentiments à l’égard du Japon sont en fait plus complexes que nous ne le pensons.
Propos recueillis par G. S.