
Nous leur avions fait une promesse. Zoom Japon est retourné voir les habitants de la péninsule.
La ligne de train Nanao, endommagée par le violent séisme de magnitude 7,6 qui a dévasté la péninsule de Noto le 1er janvier 2024, a repris du service. Opérée par les Chemins de Fer de Noto, elle longe la côte découpée jusqu’à Anamizu et traverse de pittoresques paysages recouverts d’une fine couche de neige. Vue du train, la région semble inhabitée, seules les bâches bleues en plastique qui recouvrent de nombreux toits et pierres tombales rappellent qu’une catastrophe s’est produite. Puis, à mesure que l’on pénètre dans la péninsule, des quartiers rectilignes de petites maisons préfabriquées apparaissent, ce sont des hébergements provisoires bâtis à la hâte pour les rescapés du tremblement de terre qui a fait près de 500 victimes.

Après le train, seule la route permet d’atteindre le fin fond des vallées de l’Oku-Noto. Alors que la région souffrait du manque de neige l’année dernière, c’est le trop plein cette année, d’une neige étonnamment lourde et humide, au point que les arbres s’écroulent sous son poids. La famille de Shûden Katsuyoshi, 71 ans, riziculteur dans le village de Tôme, qui s’était retrouvée terrifiée par les violentes secousses de janvier (voir Zoom Japon n°139, avril 2024), n’a pas osé se réunir cette année dans la grande demeure familiale. L’année a donc débuté avec des fêtes du Nouvel an réduites au strict minimum, seul son fils aîné est venu passer une nuit dans la ferme centenaire.

A Tôme, le riz est cultivé depuis les temps anciens dans des rizières en terrasses, bâties au fond des vallées, en utilisant l’eau qui jaillit des montagnes (voir Zoom Japon n°114, octobre 2021). Les importants dégâts causés dans les rizières par le tremblement de terre de janvier 2024 avait, dans un premier temps, donné l’impression aux agriculteurs qu’il serait impossible de planter au printemps suivant mais, grâce au soutien de nombreux volontaires et au temps clément, ils avaient pu surmonter cette épreuve. Cependant, alors que le riz était juste sur le point d’être récolté, les pluies torrentielles des 21 et 22 septembre ont à nouveau provoqué des glissements de terrains, plus importants encore, qui ont enseveli les rizières en terrasses sous des montagnes de terre, de sable et de pierres.
Au moment où les riziculteurs semblaient enfin pouvoir se remettre du séisme, ces pluies diluviennes les ont pris au dépourvu. Les sols fragilisés par les secousses sismiques ont en effet cédé sous les trombes d’eau, il est tombé entre le 21 et le 22 septembre 500 mm de pluie. Alors que six mois avaient suffit pour réparer les dégâts causés par le tremblement de terre, il faudra au moins entre deux et trois ans pour remettre en état les rizières englouties par des torrents d’arbres, de pierres et de sable. Les habitants de cette région au climat rude, pourtant résistants de nature, sont gagnés par le désespoir. Il n’y a aucune chance que les rizières puissent être reconstruites rapidement, ni qu’il soit possible d’y planter du riz. Le village de Tôme, et ses riziculteurs sans rizières, risquent donc la disparition de ce qui a été leur fonction première, et leur raison d’être depuis des siècles, la culture du riz.
Shûden Katsuyoshi n’a pas été épargné, 85 % de ses rizières ont été détruites. “Mais, explique-t-il, ce sont les personnes dont la maison a été dévastée qui sont les plus affectées, elles n’ont pas la force de reconstruire ou de s’engager dans la remise en état des parties communes du village et se replient sur elles-mêmes.” La population de Tôme est en forte chute, sur 70 familles présentes avant les deux catastrophes, seules 45 demeurent. Certaines personnes patientent dans des logements provisoires, d’autres sont parties en maison de retraite, d’autres encore ont rejoint leur famille en ville. Un tiers des riziculteurs de cette petite communauté a déjà pris la lourde décision d’abandonner leur travail.
Ainsi Hoshiba Ieyoshi, 80 ans, un âge raisonnable pour la retraite, même au Japon, aurait bien aimé poursuivre son activité, mais il a dû renoncer. Sa maison a été très endommagée par le séisme, puis ses rizières détruites par les pluies diluviennes et les glissements de terrains qu’elles ont provoqués. Hébergé avec son épouse dans un logement provisoire, il résiste aux appels de sa famille de rejoindre la ville, Kanazawa, le chef-lieu de la préfecture d’Ishikawa, et aimerait pouvoir continuer à vivre dans le village.

“Les inondations ont été pires que le séisme”, affirme-t-il sans hésiter. “Les tremblements de terre, on a l’habitude à Noto, mais de telles pluies, on ne pensait pas que cela pourrait arriver ici.”
Si les critiques fusent parfois quant à l’action des pouvoirs publics, notamment les priorités de la reconstruction, tous s’accordent pour louer l’élan de solidarité de la société civile. Pas moins d’une dizaine de groupes de volontaires se sont succédés à Tôme. Des groupes religieux, bouddhistes comme le taïwanais Tzu Chi, ou la religion japonaise Tenrikyô mais aussi chrétiens. Ou encore des volontaires d’Ôsaka venus prêter main-forte pour réparer les rizières, et des étudiants de l’université de Kanazawa venus porter soins aux rescapés.


Les problèmes de ce petit village de Noto sont ceux d’une grande partie des zones rurales du Japon : vieillissement de la population, exode rural, isolement, désintérêt des jeunes pour le travail agricole. Ces sujets sont connus de longue date, mais les deux catastrophes naturelles les ont fortement amplifiés.
A défaut de jeunes désireux de s’installer dans cette région reculée, les villageois espèrent au moins attirer les gens de passage. Et comme il n’y a plus de lieu d’hébergement disponible, il a été détruit par le séisme, ils envisagent de réhabiliter le temple Gyônen et son kuri, le bâtiment adjacent au hall principal, autrefois utilisé comme résidence pour le moine supérieur, afin d’y créer une maison d’hôte pour les visiteurs. La grande bâtisse classée, et construite il y a plus de deux siècles, nécessite d’importants travaux de rénovation. Il a donc été décidé de lancer un appel au financement participatif afin de tenter de réunir les quelque 300 000 euros nécessaires à la réhabilitation complète du bâtiment.
Ne pouvant plus produire de riz, les agriculteurs de Tôme se sont lancés dans ce projet comme celui de la dernière chance. Le texte d’appel aux contributions financières explique ainsi : “Symbole du rétablissement après la double catastrophe, nous aimerions poursuivre dans l’esprit de nos prédécesseurs, qui avaient autrefois renforcé les liens de la communauté en reconstruisant le temple Gyônen, en faisant revivre son annexe et en créant un lieu d’échange avec de nombreuses personnes et une lumière d’espoir pour les habitants de la région.”

A Wajima, capitale de la laque et principale ville de la péninsule, souffle un vent violent et glacial qui rend la marche difficile, les rues sont désertées, de nombreuses enseignes sont fermées depuis le séisme et ne rouvriront probablement jamais. Malgré les efforts de nettoyage des autorités, les traces du tremblement de terre sont encore visibles à chaque coin de rue. Certaines maisons ont été déblayées aux frais de l’Etat d’autres, bancales ou éventrées, attendent encore leur sort. Les très fortes crues de septembre ont fait une dizaine de victimes dans la commune et neuf complexes d’hébergement temporaire pour les rescapés du tremblement de terre ont été inondés au-dessus du niveau du sol ; de nombreuses personnes évacuées à la suite du séisme ont été forcées de se réfugier dans d’autres abris.

Hamaguchi Yukio, 73 ans, professeur d’histoire de l’art à la retraite, que Zoom Japon avait rencontré il y a un an alors qu’il photographiait méthodiquement les restes calcinés du marché de Wajima (voir Zoom Japon n°139, avril 2024), s’estime très chanceux. Sa maison avait certes été endommagée par le séisme, mais beaucoup moins que celles, entièrement détruites, de ses voisins, et surtout il a pu emménager dans une nouvelle demeure plus vaste et solide que la précédente. “Je suis bien conscient de ma chance mais n’oublie pas un seul instant le malheur des autres”, confie-t-il. Les chiffres sont cruels pour Wajima. 40 % de la population, environ 2 000 familles, a déjà quitté la ville et l’exode risque de se poursuivre. Les crues, dans une ville qui se remettait à peine des blessures du séisme, semblent avoir porté le coup de grâce. Les habitants de Wajima ont certes envie de reconstruire le fameux marché emporté par les flammes, et faire ainsi revivre une tradition millénaire, mais ils n’ont pas encore réussi à s’entendre sur la nouvelle forme qu’il devrait prendre.

Comme le site du marché, dont Hamaguchi Yukio a accumulé des milliers de clichés, a été entièrement déblayé, il pointe désormais son appareil vers les nombreuses bâches de plastique bleues disposées sur les toits et murs endommagés de son voisinage, un quartier dont la plupart des maisons sont à terre. Il les photographie sous tous les angles pour une raison bien simple : “On ne met pas une bâche sur un bâtiment que l’on a l’intention d’abandonner”, explique-t-il. “Elles sont donc un signe d’espoir !”
Eric Rechsteiner
Financement participatif
Si vous souhaitez soutenir le projet des habitants de Tôme visant à réhabiliter l’un des bâtiments du temple Gyônen pour en faire un lieu d’accueil des visiteurs, vous pouvez faire un don en suivant ce lien : https://readyfor.jp/projects/148425?sns_share_token=34b8eb1fcaeea4ba9fa6.