
Avec son nouveau roman, l’auteur de 1Q84 ne parvient pas à retrouver la magie de ses œuvres précédentes.
Pour la parution du nouveau roman de Murakami Haruki (voir Zoom Japon n°13, septembre 2011), le premier depuis 6 ans, son éditeur français a fait les choses en grand, entourant l’œuvre d’un grand secret avec un embargo jusqu’à sa sortie en librairie. Si la publication d’un nouveau titre du “maître Murakami” est en soi un événement, la manière dont celui-ci a été annoncé permettait de croire que nous aurions affaire à un chef-d’œuvre. Mais ce n’est pas vraiment le cas. Et cela est peut-être lié à ses origines. La Cité aux murs incertains est né d’une tentative de retravailler un récit éponyme de 1980, publié à l’origine dans la revue littéraire Bungakukai, que l’auteur, insatisfait, n’a jamais autorisé à rééditer ou traduire. “Pourtant, dès le début, j’ai senti que l’histoire contenait des éléments d’une importance cruciale pour moi. Malheureusement, à l’époque, je n’avais pas la capacité littéraire de travailler à une élaboration de ces matériaux qui soit appropriée”, reconnaît-il dans la postface pour justifier sa propre conviction “que quelque chose en sortirait” le moment venu après avoir vainement tenté, dans la continuité de la sortie de son premier roman La Course au mouton sauvage, en 1982, de le reprendre.
Ce n’est qu’en 2020, au moment de la crise sanitaire, qu’il trouvera les ressources de retravailler cette nouvelle pour en faire un long roman tripartite. S’il se sent “très soulagé d’avoir réussi à réécrire sous une forme nouvelle (ou à enfin achever) La Cité aux murs incertains”, le lecteur, pour sa part, peut ressentir une certaine frustration face à cette œuvre assez brumeuse et longue. Murakami Haruki nous a habitués à des œuvres touffues, mais elles n’avaient pas cette dimension autoréférentielle qui rend son nouveau roman difficile à s’approprier. L’histoire est racontée par un homme d’un âge moyen indéterminé. Dans la première partie, il évoque son premier amour : une jeune fille qu’il a rencontrée à l’âge de 17 ans lors de la cérémonie de remise des prix d’un concours littéraire inter-écoles. Leur romance sans sophistication et dévorante se déroule au cours d’un été parfait entre Tôkyô et la ville côtière du narrateur. Les amants échangent des lettres et se retrouvent parfois sur des bancs publics pour s’embrasser et discuter. Lorsqu’elle commence à lui décrire une ville mystérieuse entourée d’un haut mur, il est envoûté par la notion de ce lieu étrange. Cette ville fortifiée, dit-elle, est l’endroit où vit la “vraie elle”. Des mois plus tard, alors que la nouvelle année scolaire commence et que leurs rencontres se font de plus en plus rares, son amant disparaît sans explication.
Cette histoire d’amour se déroule en courts chapitres qui alternent avec un second récit, situé dans la ville fortifiée imaginée par la jeune fille. On y retrouve le narrateur, bien que d’âge mûr, et la jeune femme. Il travaille dans une mystérieuse bibliothèque, et elle est son assistante. La relation entre les deux telle que le romancier la rapporte laisse le lecteur un peu sur sa faim alors que les chapitres consacrés à la cité sont passionnants. Il mélange le fantasque et le menaçant à la manière d’un Miyazaki Hayao avec qui il existe une proximité que l’essayiste Ôtsuka Eiji a étudiée dans un excellent essai paru en 2009 chez Kadokawa. C’est la meilleure partie du livre qui rappelle les meilleures pages de 1Q84. Ensuite, lorsque le narrateur parvient à s’échapper de la ville fortifiée et prend un travail de bibliothécaire dans une obscure ville de province, le roman se perd dans un style méandreux avec des situations répétitives qui ne servent pas le récit et finissent par lasser. A la différence d’autres de ses romans, Murakami Haruki ne parvient pas totalement à emporter le lecteur dans son élan. Mais si cela lui a permis d’être “soulagé” et de se libérer d’un poids, on peut espérer que son prochain roman sera grandiose.
Gabriel Bernard
Référence
La Cité aux murs incertains (Machi to sono futashikana kabe), de Murakami Haruki, trad. par Hélène Morita avec la collaboration d’Ôno Tomoko, Belfond, 2025, 25 €.