
Avec Le Joueur de go, son sixième film, Shiraishi Kazuya livre une œuvre cohérente et très bien ficelée.
Il y a films de samouraï et films de samouraï. Il y a ceux qui privilégient les combats spectaculaires de sabre, un peu comme certains westerns que l’on regarde pour leurs duels ; et il y a ceux qui tentent de se rapprocher de la vie de ces samouraïs dont même les Japonais ne savent pas grand-chose, en dehors de ce que la littérature et le cinéma ont pu véhiculer comme clichés. Le Joueur de go (Gobangiri) réalisé par Shiraishi Kazuya appartient à cette deuxième catégorie, ce qui lui donne tout son intérêt. Plutôt que de chercher à créer un long-métrage d’action, le cinéaste a voulu remettre ces “guerriers” à leur place telle que l’a bien racontée Pierre-François Souyri dans son livre Les Guerriers de la rizière, la grande épopée des samouraïs (Flammarion, coll. Au fil de l’histoire, 2017). “A partir du XVIIe siècle et du retour à un régime stable et pacifié, (…) les samouraïs devinrent pour l’essentiel des urbains habitant les nouvelles villes “au pied du château”, qui bourgeonnèrent alors”, note l’historien.
“Leur condition n’était pourtant pas si aisée pour la plupart d’entre eux. Certains étaient fort appauvris”, ajoute-t-il. C’est exactement la situation de Yanagida Kakunoshin qui mène une vie modeste avec sa fille Okinu depuis qu’il a quitté son fief à la suite d’une sombre affaire de vol. Comme dans les romans de Fujisawa Shûhei, l’un des premiers auteurs à s’intéresser à la vie quotidienne des samouraïs, et à l’instar du réalisateur Yamada Yôji qui s’est attaché dans ses trois films – Le Samouraï du crépuscule (2002), La Servante et la samouraï (2004), et Love and Honor (2006) – à mettre en évidence la réalité sociale de ces hommes, Shiraishi Kazuya a construit un film d’où se dégage une vérité historique. Cette dernière permet de sortir des clichés cinématographiques habituels qui entourent les films en costume (jidaigeki) japonais.
On se plaît à suivre le quotidien du héros interprété avec brio par Kusanagi Tsuyoshi qui, pour subvenir à ses besoins, joue des parties de go. C’est ainsi qu’il fait la connaissance du marchand Genbei (Kunimura Jun) et entretient avec lui une relation à travers ce jeu jusqu’au jour où il est injustement accusé de vol. Homme d’honneur, il doit emprunter de l’argent à la tenancière d’un bordel du quartier des plaisirs de Yoshiwara et laisser sa fille comme gage. Bien décidé à obtenir réparation, il utilise ses compétences en tant que joueur de go, où il faut faire preuve de stratégie, et ses qualités de sabreur pour y parvenir. Sa quête l’amènera à renouer avec la première affaire qui l’avait obligé à abandonner son fief pour devenir un samouraï sans maître.
Shiraishi Kazuya mène son film d’une main de maître et entraîne le spectateur dans une aventure qui ne manque pas de rebondissements. Puisqu’il s’agit d’un film de samouraïs, on n’échappe pas à quelques scènes de combat, mais celles-ci ne tombent pas dans la caricature. On sent que le réalisateur a fait preuve de sobriété pour ne pas dénaturer l’ensemble du film. Il y a une cohérence dans la mise en scène, dans le jeu des acteurs et dans l’histoire. C’est ce qui en fait assurément un excellent film.
Odaira Namihei
Informations pratiques
Le Joueur de go (Gobangiri), de Shiraishi Kazuya. Avec Kusanagi Tsuyoshi, Kiyohara Kaya, Kunimura Jun. 2h09 – Couleur – Scope – 2024.