
Deuxième communauté étrangère dans l’archipel après les Chinois, sa présence s’explique par de nombreux facteurs.
Les liens entre le Japon et le Vietnam sont assez anciens, mais leur histoire d’amour s’est considérablement développée au cours des 30 dernières années, même si elle s’apparente parfois davantage à un mariage motivé par des intérêts économiques. Au milieu des années 1990, par exemple, le Japon a rétabli son aide publique au développement (APD) au Vietnam, apportant son soutien dans des domaines tels que le développement des infrastructures, les soins de santé, l’éducation et le développement rural. Les Vietnamiens ouverts sur le monde ont, quant à eux, choisi le Japon comme l’une de leurs destinations préférées, et leur communauté au Japon s’est considérablement développée au fil des ans. En juin 2024, on comptait plus de 600 000 résidents vietnamiens au Japon. Cela en fait la deuxième plus grande communauté étrangère au Japon, juste derrière les Chinois (844 000).
Cependant, en ce qui concerne les travailleurs étrangers, les Vietnamiens constituent de loin la communauté la plus importante. Selon le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, en octobre 2023, 2 048 675 étrangers travaillaient au Japon, dont 518 364 Vietnamiens, soit environ 25 % de la main-d’œuvre étrangère (les Chinois venaient en deuxième position avec 19,4 %). Le Vietnam a dépassé la Chine en 2020, et l’écart en nombre n’a cessé de se creuser depuis.
Sur les quelque 520 000 Vietnamiens travaillant au Japon, le groupe le plus important appartient au programme de stage technique en entreprise (209 300 personnes, voir pp. 9-11). Le deuxième groupe le plus important est celui des techniciens/spécialistes en sciences humaines/services internationaux. Il comprend les ingénieurs et les directeurs commerciaux à l’étranger (84 700) et a été multiplié par plus de 20 en 10 ans.
De nombreuses préfectures japonaises tentent de bénéficier des services de ressources humaines talentueuses du Vietnam et d’autres pays pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre causée par le déclin et le vieillissement de la population. La demande de travailleurs est forte dans un large éventail de secteurs industriels, notamment l’agriculture, les soins infirmiers, le tourisme, les technologies de l’information, la fabrication et la construction. En février 2023, par exemple, 12 entreprises des préfectures de Shizuoka et de Yamanashi ont organisé une session conjointe d’entretiens de recrutement de personnel hautement qualifié dans un hôtel de Hanoï (les deux fois précédentes, en 2021 et 2022, elles s’étaient déroulées en ligne en raison de la crise sanitaire).
Les préfectures s’intéressent au Vietnam non seulement pour trouver de la main-d’œuvre pour l’économie locale, mais aussi pour soutenir l’expansion de leurs entreprises à l’étranger. Dans l’enquête de 2023 sur l’expansion des entreprises japonaises à l’étranger menée par l’Organisation Japonaise du Commerce Extérieur (JETRO), le Vietnam s’est classé deuxième pour la septième année consécutive en tant que future destination d’expansion commerciale. Les principales raisons pour lesquelles les entreprises aiment le Vietnam sont “la taille du marché et le potentiel de croissance” et “les faibles coûts de la main-d’œuvre et son abondance”.
Bien que les travailleurs constituent le segment le plus important de la communauté vietnamienne au Japon, ils ne sont pas le seul groupe. La colonie la plus ancienne est composée de réfugiés de guerre et politiques. La guerre du Vietnam, qui s’est terminée en 1975, n’était pas seulement un conflit contre les Etats-Unis, mais aussi une guerre civile entre le Nord et le Sud. Lorsque le Nord a gagné, beaucoup de ceux qui avaient combattu aux côtés du gouvernement sud-vietnamien (et des Etats-Unis) ont été persécutés politiquement et ont commencé à quitter le pays, en particulier à la fin des années 1970. La plupart des réfugiés sont allés en Amérique, mais beaucoup ont également émigré en France, en Australie, au Canada et au Japon.
Le Vietnam et le Japon ont un lien historique profond et, de manière générale (voir pp. 6-8), de nombreux Vietnamiens sont pro-japonais. Ils admirent également le Japon en tant que premier pays asiatique à avoir réussi sa modernisation. Ce sont là quelques-unes des raisons qui ont encouragé certains réfugiés à émigrer au Japon. Selon les statistiques du ministère des Affaires étrangères, le Japon a accueilli plus de 11 000 réfugiés vietnamiens.
Cependant, le chaos de l’après-guerre et la persécution politique n’étaient pas les seules raisons de l’exode des réfugiés du Vietnam. En effet, de nombreuses personnes ont quitté leur pays en tant que “boat people”, en particulier durant la seconde moitié des années 1980. Il s’agissait souvent de réfugiés économiques, contrairement aux dissidents politiques de l’immédiat après-guerre. Après la guerre, le Nord vainqueur a imposé un régime socialiste, mais l’économie a alors souffert de stagnation ce qui a provoqué le départ du pays de personnes fuyant les difficultés économiques. De nombreux réfugiés venaient de villages de pêcheurs, particulièrement pauvres.
On dit que les réfugiés vietnamiens et leurs familles vivent “au fond du baril” au Japon. Bien que les réfugiés de la première génération vivent dans l’archipel depuis longtemps, ils ont du mal à s’intégrer dans la société japonaise en raison de la barrière linguistique, de la culture et des différences de valeurs. Certains réfugiés de la deuxième génération poursuivent des études universitaires et trouvent un emploi, mais beaucoup ne parviennent pas à suivre leurs études, abandonnent le lycée et passent entre les mailles du filet. Les membres de leur famille venus du Vietnam sont également confrontés à des problèmes similaires.
Les personnes engagées dans le Programme de stage technique en entreprise (Technical Intern Training Program, TITP) constituent de loin le groupe le plus important au Japon. Comme indiqué sur le site web du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, “le but du TITP est de transférer des compétences, des technologies et des connaissances aux pays en développement et de coopérer au développement des ressources humaines qui mèneront à leur développement économique”. Ce système a été établi en 1993 sur la base d’un système de formation plus ancien datant des années 1960.
Les secteurs qui acceptent des stagiaires techniques sont variés, notamment l’agriculture, la pêche, la construction, l’agroalimentaire, la fabrication de textiles et de vêtements, la fabrication de machines et de métaux, les soins, etc. En termes de pays d’origine, les Chinois étaient autrefois les plus nombreux, mais aujourd’hui, les Vietnamiens sont les plus représentés.
Le TITP a fait l’objet de plusieurs critiques au fil des ans. Pour commencer, alors que la loi sur la formation technique des stagiaires stipule que, par principe, “la formation technique des stagiaires ne doit pas être utilisée comme un moyen d’ajuster l’offre et la demande de main-d’œuvre”, en réalité, les stagiaires techniques sont souvent utilisés pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, qui s’est rapidement accrue ces dernières années.
De nombreux cas d’exploitation et d’abus ont également été signalés, les stagiaires ayant déclaré avoir travaillé de longues heures, ne pas avoir et avoir même subi des violences physiques. Certains rapports sont même allés jusqu’à qualifier le TITP de forme de travail forcé ou obligatoire.
Le programme empêche également les stagiaires de changer de lieu de travail, ce qui peut les conduire à rester dans des environnements abusifs ou d’exploitation.
Au Vietnam, le TITP est une grosse affaire impliquant des politiciens corrompus, les agences d’envoi et la police. Il faut débourser environ un million de yens (6 100 euros) pour aller au Japon suivre une formation professionnelle. Cela pousse de nombreux jeunes vivant dans des zones rurales et souhaitant se rendre au Japon à s’endetter. On dit que venir au Japon avec une telle dette est l’une des raisons pour lesquelles certains stagiaires se tournent vers la criminalité.
Nguyen Thi Thanh Nhan, présidente du groupe AIC, a été impliquée dans plusieurs affaires très médiatisées liées à des violations de règles de passation des marchés et a fait l’objet de poursuites judiciaires. Malgré ces controverses, le gouvernement japonais lui a décerné l’Ordre du Soleil levant, décoration aux rayons d’or avec rosette, en 2018 pour sa contribution au renforcement des relations entre le Japon et le Vietnam. En 2022, elle a été reconnue coupable et condamnée à 30 ans de prison pour violation de la réglementation des marchés publics et corruption. Elle est en fuite depuis et est actuellement recherchée par les autorités.
Ces dernières années, le nombre de Vietnamiens venant au Japon en tant qu’étudiants internationaux a rapidement augmenté (voir pp. 12-13). Selon une enquête de l’Organisation japonaise des services aux étudiants, en 2018, on comptait 72 000 étudiants vietnamiens, soit 24 % de tous les étudiants internationaux. Cependant, leur nombre a diminué après la pandémie, et en mai 2023, ils n’étaient plus que 36 339. Cela fait toutefois toujours du Vietnam la troisième source d’étudiants internationaux au Japon, après la Chine et le Népal.
Certains étudiants vietnamiens viennent au Japon après avoir obtenu leur diplôme d’études secondaires ; d’autres sont transférés dans une université japonaise alors qu’ils sont inscrits dans une université de leur pays, ou entrent dans une école doctorale au Japon après avoir terminé l’université au Vietnam. De nombreux Vietnamiens viennent étudier la langue japonaise avant de s’inscrire à l’université.
Il n’existe pas de données précises sur les parcours professionnels que choisissent les étudiants internationaux vietnamiens après avoir obtenu leur diplôme dans des universités japonaises, mais il semblerait que beaucoup d’entre eux trouvent un emploi dans des entreprises japonaises au Japon. Certains retournent au Vietnam et travaillent pour des entreprises
japonaises qui y ont des bureaux, et d’autres deviennent professeurs de japonais au Vietnam. Apparemment, si vous avez étudié au Japon et que vous pratiquez la langue japonaise, il ne serait pas difficile de trouver un emploi à votre retour au Vietnam.
Gianni Simone
De nombreuses préfectures japonaises tentent de bénéficier des services de ressources humaines talentueuses du Vietnam et d’autres pays pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre causée par le déclin et le vieillissement de la population. La demande de travailleurs est forte dans un large éventail de secteurs industriels, notamment l’agriculture, les soins infirmiers, le tourisme, les technologies de l’information, la fabrication et la construction. En février 2023, par exemple, 12 entreprises des préfectures de Shizuoka et de Yamanashi ont organisé une session conjointe d’entretiens de recrutement de personnel hautement qualifié dans un hôtel de Hanoï (les deux fois précédentes, en 2021 et 2022, elles s’étaient déroulées en ligne en raison de la crise sanitaire).
Les préfectures s’intéressent au Vietnam non seulement pour trouver de la main-d’œuvre pour l’économie locale, mais aussi pour soutenir l’expansion de leurs entreprises à l’étranger. Dans l’enquête de 2023 sur l’expansion des entreprises japonaises à l’étranger menée par l’Organisation Japonaise du Commerce Extérieur (JETRO), le Vietnam s’est classé deuxième pour la septième année consécutive en tant que future destination d’expansion commerciale. Les principales raisons pour lesquelles les entreprises aiment le Vietnam sont “la taille du marché et le potentiel de croissance” et “les faibles coûts de la main-d’œuvre et son abondance”.
Bien que les travailleurs constituent le segment le plus important de la communauté vietnamienne au Japon, ils ne sont pas le seul groupe. La colonie la plus ancienne est composée de réfugiés de guerre et politiques. La guerre du Vietnam, qui s’est terminée en 1975, n’était pas seulement un conflit contre les Etats-Unis, mais aussi une guerre civile entre le Nord et le Sud. Lorsque le Nord a gagné, beaucoup de ceux qui avaient combattu aux côtés du gouvernement sud-vietnamien (et des Etats-Unis) ont été persécutés politiquement et ont commencé à quitter le pays, en particulier à la fin des années 1970. La plupart des réfugiés sont allés en Amérique, mais beaucoup ont également émigré en France, en Australie, au Canada et au Japon.
Le Vietnam et le Japon ont un lien historique profond et, de manière générale (voir pp. 6-8), de nombreux Vietnamiens sont pro-japonais. Ils admirent également le Japon en tant que premier pays asiatique à avoir réussi sa modernisation. Ce sont là quelques-unes des raisons qui ont encouragé certains réfugiés à émigrer au Japon. Selon les statistiques du ministère des Affaires étrangères, le Japon a accueilli plus de 11 000 réfugiés vietnamiens.
Cependant, le chaos de l’après-guerre et la persécution politique n’étaient pas les seules raisons de l’exode des réfugiés du Vietnam. En effet, de nombreuses personnes ont quitté leur pays en tant que “boat people”, en particulier durant la seconde moitié des années 1980. Il s’agissait souvent de réfugiés économiques, contrairement aux dissidents olitiques de l’immédiat après-guerre. Après la guerre, le Nord vainqueur a imposé un régime socialiste, mais l’économie a alors souffert de stagnation ce qui a provoqué le départ du pays de personnes fuyant les difficultés économiques. De nombreux réfugiés venaient de villages de pêcheurs, particulièrement pauvres.
On dit que les réfugiés vietnamiens et leurs familles vivent “au fond du baril” au Japon. Bien que les réfugiés de la première génération vivent dans l’archipel depuis longtemps, ils ont du mal à s’intégrer dans la société japonaise en raison de la barrière linguistique, de la culture et des différences de valeurs. Certains réfugiés de la deuxième génération poursuivent des études universitaires et trouvent un emploi, mais beaucoup ne parviennent pas à suivre leurs études, abandonnent le lycée et passent entre les mailles du filet. Les membres de leur famille venus du Vietnam sont également confrontés à des problèmes similaires.
Les personnes engagées dans le Programme de stage technique en entreprise (Technical Intern Training Program, TITP) constituent de loin le groupe le plus important au Japon. Comme indiqué sur le site web du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, “le but du TITP est de transférer des compétences, des technologies et des connaissances aux pays en développement et de coopérer au développement des ressources humaines qui mèneront à leur développement économique”. Ce système a été établi en 1993 sur la base d’un système de formation plus ancien datant des années 1960.
Les secteurs qui acceptent des stagiaires techniques sont variés, notamment l’agriculture, la pêche, la construction, l’agroalimentaire, la fabrication de textiles et de vêtements, la fabrication de machines et de métaux, les soins, etc. En termes de pays d’origine, les Chinois étaient autrefois les plus nombreux, mais aujourd’hui, les Vietnamiens sont les plus représentés.
Le TITP a fait l’objet de plusieurs critiques au fil des ans. Pour commencer, alors que la loi sur la formation technique des stagiaires stipule que, par principe, “la formation technique des stagiaires ne doit pas être utilisée comme un moyen d’ajuster l’offre et la demande de main-d’œuvre”, en réalité, les stagiaires techniques sont souvent utilisés pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, qui s’est rapidement accrue ces dernières années.
De nombreux cas d’exploitation et d’abus ont également été signalés, les stagiaires ayant déclaré avoir travaillé de longues heures, ne pas avoir et avoir même subi des violences physiques. Certains rapports sont même allés jusqu’à qualifier le TITP de forme de travail forcé ou obligatoire.
Le programme empêche également les stagiaires de changer de lieu de travail, ce qui peut les conduire à rester dans des environnements abusifs ou d’exploitation.
Au Vietnam, le TITP est une grosse affaire impliquant des politiciens corrompus, les agences d’envoi et la police. Il faut débourser environ un million de yens (6 100 euros) pour aller au Japon suivre une formation professionnelle. Cela pousse de nombreux jeunes vivant dans des zones rurales et souhaitant se rendre au Japon à s’endetter. On dit que venir au Japon avec une telle dette est l’une des raisons pour lesquelles certains stagiaires se tournent vers la criminalité.
Nguyen Thi Thanh Nhan, présidente du groupe AIC, a été impliquée dans plusieurs affaires très médiatisées liées à des violations de règles de passation des marchés et a fait l’objet de poursuites judiciaires. Malgré ces controverses, le gouvernement japonais lui a décerné l’Ordre du Soleil levant, décoration aux rayons d’or avec rosette, en 2018 pour sa contribution au renforcement des relations entre le Japon et le Vietnam. En 2022, elle a été reconnue coupable et condamnée à 30 ans de prison pour violation de la réglementation des marchés publics et corruption. Elle est en fuite depuis et est actuellement recherchée par les autorités.
Ces dernières années, le nombre de Vietnamiens venant au Japon en tant qu’étudiants internationaux a rapidement augmenté (voir pp. 12-13). Selon une enquête de l’Organisation japonaise des services aux étudiants, en 2018, on comptait 72 000 étudiants vietnamiens, soit 24 % de tous les étudiants internationaux. Cependant, leur nombre a diminué après la pandémie, et en mai 2023, ils n’étaient plus que 36 339. Cela fait toutefois toujours du Vietnam la troisième source d’étudiants internationaux au Japon, après la Chine et le Népal.
Certains étudiants vietnamiens viennent au Japon après avoir obtenu leur diplôme d’études secondaires ; d’autres sont transférés dans une université japonaise alors qu’ils sont inscrits dans une université de leur pays, ou entrent dans une école doctorale au Japon après avoir terminé l’université au Vietnam. De nombreux Vietnamiens viennent étudier la langue japonaise avant de s’inscrire à l’université.
Il n’existe pas de données précises sur les parcours professionnels que choisissent les étudiants internationaux vietnamiens après avoir obtenu leur diplôme dans des universités japonaises, mais il semblerait que beaucoup d’entre eux trouvent un emploi dans des entreprises japonaises au Japon. Certains retournent au Vietnam et travaillent pour des entreprises
japonaises qui y ont des bureaux, et d’autres deviennent professeurs de japonais au Vietnam. Apparemment, si vous avez étudié au Japon et que vous pratiquez la langue japonaise, il ne serait pas difficile de trouver un emploi à votre retour au Vietnam.
Gianni Simone