
Pour Nhuong, une étudiante originaire du Sud Vietnam, l’important est de ne pas oublier sa famille.
Les konbini, ces supérettes présentes partout, offrent une gamme étonnamment large de produits et de services. Selon les dernières estimations, ils seraient aujourd’hui environ 55 000 à travers le pays. Leur fonctionnement repose sur un afflux permanent de main-d’œuvre, qui comprend désormais davantage de travailleurs étrangers. En effet, on y dénombre actuellement plus de 80 000 employés étrangers. Ils représentent 10 % de tous les travailleurs à temps partiel, et leur nombre est toujours en augmentation. 70 % sont des étudiants internationaux qui fréquentent des écoles de langue japonaise, des écoles professionnelles ou des universités.
7-Eleven, la plus grande chaîne konbini du Japon, compte également le plus grand nombre de travailleurs étrangers à temps partiel, avec plus de 40 000 employés. Selon le service des relations publiques de l’entreprise, les trois principales nationalités représentées sont la Chine, le Vietnam et le Népal.
En 1986, le gouvernement vietnamien a lancé une politique de réformes, promouvant des initiatives socio-économiques visant à mener le pays vers une économie de marché à orientation socialiste. Dans un contexte de développement rapide, la population a commencé à rechercher une vie plus confortable et des revenus plus élevés, et ces dernières années, ils se sont progressivement éloignés de l’agriculture, cherchant du travail dans les villes et même à l’étranger. L’un des pays étrangers vers lesquels de nombreux Vietnamiens ont choisi de s’installer est le Japon.
Depuis les années 1990, le Japon suscite l’admiration des Vietnamiens. Les chaînes de télévision nationales diffusent souvent des images de pays dits développés et de grandes villes plus riches, ainsi on chante souvent les louanges du Japon pour avoir su se relever après la Seconde Guerre mondiale et avoir connu le développement économique le plus rapide d’Asie. En d’autres termes, l’intérêt des Vietnamiens pour l’archipel est davantage lié à la richesse du pays qu’à sa culture traditionnelle et à ses liens culturels. En tant que pays doté d’un niveau de vie élevé et de capacités technologiques, il est rapidement devenu une sorte de terre promise.
Cependant, le nombre d’étudiants vietnamiens venant au Japon a diminué de moitié par
rapport à la période avant la Covid-19. En raison de la faiblesse du yen et des prix élevés, le Japon est devenu un pays où il est difficile de gagner de l’argent, et les restrictions sur les heures de travail à temps partiel autorisées pour les étudiants internationaux sont devenues plus strictes. En conséquence, de plus en plus de personnes se rendent en Corée du Sud, où elles peuvent gagner des salaires plus élevés même avec un visa étudiant.
Nhuong, 21 ans, fait partie de la communauté étudiante vietnamienne de plus en plus petite au Japon. “Je suis née dans une petite ville à environ 100 kilomètres de Hô-Chi-Minh-Ville”, dit-elle. “Je suis venue au Japon avec mon cousin après avoir obtenu mon diplôme d’études secondaires. J’ai travaillé à temps partiel chez Lawson à Tôkyô pendant plus de deux ans. Mon rêve pour l’avenir est de devenir interprète.”
Les magasins de proximité japonais sont bien connus au Vietnam. MiniStop y a ouvert son premier magasin en 2011, suivi par Family Mart en 2013, Lawson en 2016 et 7-Eleven en 2017. “J’ai choisi de travailler chez Lawson parce que je pense que leur nourriture est la plus savoureuse”, assure Nhuong. Parmi les personnes qui travaillent dans le magasin de Nhuong, il y a des Vietnamiens, des Népalais, des Mongols et même un Sri-Lankais. “Quand j’ai commencé, le plus difficile dans ce travail était d’apprendre de nouvelles tâches, comme faire fonctionner la caisse enregistreuse, vendre des tickets, remplir la machine à café, nettoyer, etc. Mais avec le soutien de mes collègues, y compris le gérant du magasin, j’ai réussi à m’en sortir. Le nettoyage est particulièrement difficile, mais j’aime ça”, témoigne-t-elle.

Elle note tous les nouveaux mots qu’elle rencontre dans un petit carnet qu’elle a acheté dans le magasin où elle travaille, parmi lesquels les ingrédients de l’oden [sorte de pot-au-feu] ou le yakitori. “Au début, je ne savais pas que l’oden était un plat (rires).” Non seulement elle apprend des mots, mais aussi beaucoup de choses sur la culture et les coutumes japonaises. “Nous n’avons pas le mot ’bienvenue’ au Vietnam. Le personnel des magasins ne salue pas les clients, alors au début, j’étais gênée et je ne pouvais pas le dire à haute voix. J’ai aussi découvert l’ehômaki et la tradition du Setsubun en travaillant ici.” [L’ehômaki est un rouleau de sushi épais et long traditionnellement consommé pendant le festival de Setsubun début février.]
Pour Nhuong, s’adapter à la vie au Japon n’a pas été facile. “A Tôkyô, c’est difficile parce que personne ne vous aide. Par exemple, j’ai emménagé dans un appartement, mais quand je suis arrivée pour la première fois, il n’y avait ni électricité ni eau. Personne ne m’a dit que je devais contacter moi-même les entreprises pour obtenir l’électricité, le gaz et l’eau”, raconte-t-elle.
Originaire du sud du Vietnam, Nhuong dit en riant qu’elle déteste les hivers froids de Tôkyô. “Au début, ne pas pouvoir communiquer était également une source de frustration sans fin. Avant de venir au Japon, j’avais étudié un peu le japonais, mais pas à un niveau suffisant pour le parler dans la vie quotidienne. Le japonais est une langue difficile, surtout les kanji [caractères chinois]. Cependant, après quelques mois d’études, j’ai pu apprendre les bases du japonais nécessaires pour ce travail. Aujourd’hui, après environ trois ans, mon japonais s’est considérablement amélioré. Je peux tenir des conversations quotidiennes en japonais presque sans problème et écrire des e-mails simples. J’ai aussi appris des chansons japonaises et je les chante parfois au karaoké.”
Pour la jeune femme, comme pour beaucoup d’autres Vietnamiens, le plus difficile en venant au Japon a été de se retrouver loin de sa famille. “La famille est quelque chose de spécial pour nous. Bien sûr, on pourrait dire que la famille est importante pour les gens du monde entier, mais les liens familiaux des Vietnamiens sont particulièrement forts. Cela tient aussi au fait qu’au Sud-Vietnam, les relations avec les personnes autres que la famille sont relativement superficielles”, note-t-elle.
Bien que les Vietnamiens semblent avoir des liens familiaux forts, ils ne forment pas des communautés très soudées. “Je suis en bons termes avec certains de mes camarades de classe, mais je n’ai pas d’amis particulièrement proches au Japon. Il y a des Vietnamiens dans mon quartier, mais je leur parle rarement et nous ne sommes pas proches. Il y a une association bouddhiste vietnamienne à Tôkyô, et j’assiste occasionnellement à leurs événements, mais je n’y vais pas très souvent”, ajoute-t-elle.
L’un de ses objectifs est d’aider financièrement sa famille. “Au Vietnam, la famille est une valeur sur laquelle on peut compter. Cela signifie que nous sommes toujours prêts à nous entraider. Les parents élèvent leurs enfants et, lorsque ceux-ci deviennent adultes, ils prennent soin de leurs parents. Aujourd’hui, de nombreux jeunes quittent les petites villes et les villages ruraux pour les grandes villes et utilisent leurs revenus pour soutenir leur famille restée au pays. Dans mon pays, c’est considéré comme une chose naturelle. C’est quelque chose que nous tenons pour acquis. Mes parents ne sont pas riches. Ils ont dû travailler dur pour m’élever, alors j’ai l’intention de m’occuper d’eux quand ils seront vieux”, rappelle Nhuong.
Elle travaille environ quatre ou cinq fois par semaine et gagne environ 160 000 yens par mois. “J’aimerais vraiment travailler tous les soirs, mais je ne peux pas parce que je serais trop fatiguée pour étudier”, dit-elle. La loi japonaise limite encore davantage le nombre d’heures de travail de Nhuong. Les étudiants étrangers titulaires d’un visa valide peuvent travailler jusqu’à 28 heures par semaine pendant la période scolaire et jusqu’à 40 heures par semaine pendant les vacances de longue durée (par exemple, les vacances d’été et d’hiver). Le dépassement de ces limites peut avoir de graves conséquences, notamment la révocation du visa ou l’expulsion.
“J’aimerais avoir la vie facile comme ma cousine. Elle étudie à l’université Hôsei et travaille quelques heures au 7-Eleven, surtout pour rencontrer des gens et améliorer ses compétences linguistiques. Ses parents paient ses frais de scolarité et ses autres dépenses, donc elle n’a pas de difficultés financières. En général, les étudiants internationaux de pays comme le Vietnam ne disposent pas des mêmes moyens financiers”, explique-t-elle.
La vie au Japon en tant qu’étudiante internationale peut être difficile, mais Nhuong veut aider sa famille restée dans son pays d’origine. “Dès que je le peux, j’envoie un peu d’argent à mes parents avec ce que je gagne au Japon. C’est difficile parce que la vie à Tôkyô est chère, alors j’envoie juste ce que je peux. Chaque mois est différent. Mais c’est aussi quelque chose de naturel à faire pour un enfant.”
G. S.