Même s’ils disparaissent peu à peu des bols des Japonais, les sauterelles et autres larves de guêpe restent des mets appréciés.
Entourés par la mer pourvoyeuse de sushi et de sashimi de poissons, peu de gens savent que certaines régions montagneuses du Japon ont aussi été consommatrices d’insectes, précieuses sources de protéines pour ceux qui vivaient loin de la mer.
A l’époque d’Edo, aux XVIIIe et XIXe siècles, plusieurs documents témoignent de ce type de consommation. Par exemple, sur les sauterelles, il est écrit que “les paysans mangent des sauterelles grillées” qui sont “douces comme de petites crevettes”. Les brochettes de sauterelles étaient “un plat de saison, les enfants en achètent beaucoup”. On y évoque aussi les larves de guêpes : “prélever les larves blanches dans le nid, assaisonner avec de la sauce de soja, puis, une fois que le riz est cuit, mélanger avec le riz : un plat qui fait toujours plaisir aux invités de valeur. La saveur des bonnes graisses grillées est délicieuse.” Un rapport sur la consommation des insectes rédigé en 1919 recense encore 55 sortes d’insectes pour la consommation culinaire et 123 sortes d’insectes à usage médical. Parmi eux, les larves de vespinae (une sous-famille de guêpe), les zazamushi (larves d’insectes d’eau douce, porte-bois, mouches de pierre et familles voisines), sauterelles, cigales, vers à soie sont les plus courants et sont encore consommés aujourd’hui.
Les insectes qui vivent de certains arbres ou fruits particuliers sont appréciés pour leur saveur, comme les vers de châtaignes, de chênes, ou encore ceux qui mangent les feuilles de cerisiers. Il y a bien sûr les sauterelles, l’insecte le plus consommé au Japon qui se nourrissent de riz avant la moisson. Leur régime alimentaire leur vaut l’image d’un insecte sain. En les mangeant, on faisait aussi d’une pierre deux coups puisqu’on en débarrassait les rizières.
Dans la médecine traditionnelle, les insectes étaient également utilisés comme médicament, et des documents des XVIIe et XVIIIe siècles rapportent l’utilisation de cafards, d’escargots, de cynops pyrrhogaster (une sorte de salamandre) grillés, de trichoptères mijotés…
Les insectes, mangeables ou pas, ont toujours cohabité avec nous. Même le cafard jouissait d’une image plutôt positive au Japon autrefois, puisque son existence dans une maison prouve une certaine abondance, démontre tout au moins qu’il y a à manger et que la maison est bien chauffée. C’est au cours de la modernisation du pays que certains insectes sont devenus “nuisibles”, et qu’ils ont été bannis pour permettre l’émergence de villes hygiéniques et d’une agriculture rationalisée. Par l’utilisation massive d’insecticides, le nombre d’insectes a fortement diminué et avec elle leur consommation. La naissance du Japon “propre” a marqué en même temps le déclin de la culture culinaire autour des insectes… Ceci dit, des statistiques de 2008 font état qu’une tonne de larves de guêpes en conserves est encore vendue par an et autant de sauterelles, ainsi que quelques centaines de kilogrammes d’autres insectes. Vous n’aurez aucune difficulté à en trouver si vous allez dans la préfecture de Nagano par exemple, à deux heures de train de Tôkyô…
Sekiguchi Ryôko