Les deux anciennes cités impériales sont chargées d’histoire, mais on leur doit une très longue tradition gastronomique.
Sur la ligne Kintetsu Nara très fréquentée reliant les deux anciennes capitales impériales, de nombreuses rames circulent. Parmi elles, vous pouvez emprunter le Shimakaze, un train pas comme les autres qui offre un confort extraordinaire grâce auquel le voyageur peut découvrir le paysage dans des sièges moelleux. Le Shimakaze dessert la région d’Ise-Shima au départ d’Ôsaka, Kyôto et Nagoya. Il s’adresse surtout aux voyageurs désireux de profiter d’un niveau de confort élevé pour effectuer les près de 3 heures de voyage qui les séparent du terminus, mais il mérite toutefois d’être emprunté même pour les 30 minutes entre Nara et Kyôto afin de se faire une idée de la qualité du service et des prestations proposées dans ce train baptisé justement Premium Express. Et puis, cela permet de se mettre dans les meilleures conditions pour partir à la découverte de Kyôto et de sa richesse gastronomique.
Le premier contact avec la ville est l’immense gare dont on va célébrer en 2017 les vingt ans de sa complète rénovation confiée au talentueux Hara Hiroshi. Ce dernier a créé un ensemble innovant de 238 000 m2 au sein duquel les installations ferroviaires ne représentent que 12 000 m2. Ce gigantesque complexe ferroviaire mérite à lui seul une visite. Mais pour l’heure, il s’agit de trouver un lieu agréable pour se restaurer. Même si la gare dispose de nombreux restaurants, ceux-ci s’adressent avant tout à des voyageurs pressés. La cuisine, la plupart du temps, de bon niveau. Lorsqu’on vient pour la première fois, il convient de choisir un restaurant d’une qualité à la hauteur de son glorieux passé et de ses joyaux architecturaux. Inscrite au patrimoine mondial, la ville de Kyôto ne manque pas d’établissements qui rendent hommage à la gastronomie japonaise, elle-même enregistrée sur les registres de l’Unesco comme patrimoine immatériel de l’humanité.
A une douzaine de minutes de la sortie centrale de la gare, se trouve Sushi Iwa, le restaurant tenu depuis 25 ans par Ônishi Toshiya. Dans son établissement dont l’ambiance rappelle les petites gargotes de certains quartiers populaires de Tôkyô, le maître sushi propose une cuisine raffinée où la variété et la qualité des poissons le distinguent d’un restaurant ordinaire de poissons crus. Si vous avez la chance de pouvoir être installé au comptoir, vous pourrez voir avec quelle dextérité le chef découpe et arrange son poisson sur de magnifiques assiettes en porcelaine qui valent à elles-seules le déplacement. Souriant et anglophone, l’homme répond volontiers à toutes les questions que le client peu averti peut se poser sur le poisson servi, mais il est aussi d’excellent conseil en matière de saké. La “boisson des dieux” est l’autre caractéristique de ce restaurant où il est préférable de réserver (tél. 075-371-9303, de 11h à 22h30, fermé le lundi) avant de s’y rendre. Derrière le chef, sont alignées des dizaines de bouteilles de saké dont certaines sont parfois dépourvues d’étiquettes distinctives. Et quand bien même, elles en posséderaient, il faut être un sérieux amateur pour s’y retrouver au milieu de cette grande diversité. Ônishi Toshiya est justement un amoureux et un connaisseur du saké pour qui “la dégustation de poisson cru ne peut se faire sans être accompagnée d’un excellent saké”. S’il ne vous le propose pas lui-même, n’hésitez pas à lui demander de vous faire goûter le Matsumoto dont il possède quelques bouteilles. Ce saké rare n’est disponible que dans quelques restaurants de la ville dont Sushi Iwa fait partie. Une pure merveille qui se marie parfaitement avec la cuisine de ce chef jovial grâce à qui la réputation des Kyotoïtes d’être parfois un peu trop hautains vis-à-vis des touristes disparaît complètement.
Selon l’heure du jour ou de la nuit à laquelle vous sortirez de ce charmant restaurant, vous pourrez soit marcher jusqu’à votre hôtel, si celui-ci n’est pas trop loin, soit faire une promenade digestive en direction du Palais impérial, en déambulant dans les petites rues qui abritent encore quelques artisans et petites boutiques. “Pour créer Kyôto, il a non seulement fallu des générations d’empereurs esthètes, d’architectes, de bâtisseurs, de jardiniers, de ciseleurs, de poètes, d’orfèvres, d’amoureux, d’émailleurs, de philosophes, d’urbanistes, d’artisans et d’artistes, mais encore il a fallu que Kyôto soit, dès son origine, si pure, si réussie que les gens de guerre les moins scrupuleux ont toujours reculé devant sa destruction”, rappelait le journaliste Marcel Giuglaris dans son livre Visa pour le Japon paru en 1958. Il suffit de se promener tranquillement pour le comprendre. La force d’attraction de la ville aux 1 600 temples bouddhistes, aux 400 sanctuaires shintoïstes et aux trésors inestimables a toujours joué et demeure active. “Kyôto est l’unique ville au monde où le passé et le présent se superposent avec tant de naturel. A Tôkyô, les anciens lieux ont tous changé et sont méconnaissables. Ici, chaque pierre, chaque arbre, chaque bruit, chaque animal sont restés les mêmes”, insiste un autre écrivain sensible à cette forme de permanence que l’on retrouve dans la multitude de lieux à visiter. Elle est aussi présente dans la cuisine et notre prochaine étape gastronomique en est l’une des meilleures illustrations.
S’y rendre
Au départ de Tôkyô, il suffit d’emprunter le Tôkaidô Shinkansen pour Kyôto. Il y a plusieurs départs par heure.
Si vous êtes à Ôsaka, les trains de la compagnie Kintetsu au départ des gares de Namba ou Ueômachi vous conduisent jusqu’à Kyôto. Si vous restez un ou deux jours, pensez à prendre un pass valable un ou deux jours
(1 500 et 2 000 yens) qui vous permettra d’emprunter autant que vous le souhaitez les trains de la compagnie et les bus de la ligne Nara Kôtsû.
Le Mankamerô (de 17h à 23h, réservation conseillée) s’inscrit parfaitement dans cette tradition culinaire dont Kyôto a été l’un des grands centres historiques. Le lieu lui-même rappelle ces auberges que l’on rencontre si souvent dans les films de samouraï. Pour peu qu’on s’y rende à la nuit tombée, il s’en dégage une atmosphère intrigante. Que peut-il se cacher derrière le grand noren (rideau de tissu sur le lequel figure le nom de l’établissement) qui masque l’entrée du restaurant ? Assurément, une très longue expérience qu’Ikama Masayasu incarne de la plus belle des manières. Il est le vingt-neuvième dans cette longue lignée de commerçants à diriger le Mankamerô dont la fondation remonte à 1722. Il est l’un des très rares chefs japonais à pouvoir exécuter la cérémonie du shikibôchô qui consiste à découper un poisson pour en faire une sorte de sculpture. Remontant au XIVe siècle, cette cérémonie était réservée à l’empereur. Aujourd’hui, elle reste un privilège mais le commun des mortels, certes chanceux, peut encore la voir dans ce restaurant spécialisé dans la cuisine yusoku, c’est-à-dire préparée pour les membres de la famille impériale. Aussi faut-il s’attendre à une addition salée à la fin du repas. Le raffinement des plats et le cadre dans lequel elle est servie se paient cher, vous devrez compter entre 80 et 240€ par personne en fonction du menu choisi. C’est évidemment une somme, mais l’originalité de cet endroit et sa très longue histoire en font un must pour les gourmets.
Si vous n’avez pas la fibre aristocratique et si vous voulez malgré tout découvrir un monument de la cuisine locale, ne manquez pas de vous rendre chez Hyotei (de 11h à 19h30, fermé le 2e et le 4e mardi de chaque mois, le jeudi pour son annexe) créé il y a environ 400 ans. A l’époque, il ne s’agissait que d’une maison de thé où les pèlerins en route vers le temple Nanzen-ji s’arrêtaient pour prendre un peu de repos. Il leur servait en plus du thé et des pâtisseries des œufs mi-cuits dont le secret de fabrication n’est jamais sorti de ses murs. Les fameux œufs de Hyotei sont encore une des spécialités de ce lieu où, au fil du temps, on s’est spécialisé dans la cuisine kaiseki. Tout comme le Mankamerô, le Hyotei est un endroit chargé d’histoire avec ces petites maisons de thé où l’on sert des repas composés d’une multitude de petits plats plus raffinés les uns que les autres. Le plaisir est tout à la fois dans la présentation que dans le goût. Si l’on y ajoute la beauté du lieu et la tranquillité de la nature environnante, ce sont ainsi tous les sens qui sont mis en alerte quand on s’assoit à la table de ce restaurant où les prix sont aussi élevés (environ 80€ le midi et 220€ le soir). Toutefois, on peut se rendre dans le restaurant annexe qui propose des bento tout aussi savoureux et beaucoup plus abordables (45€). Marque de fabrique de la tradition culinaire de Kyôto, le kaiseki est incontournable. Autant y goûter dans un lieu aussi enraciné dans le passé de cette cité. Comme l’écrit si bien Marcel Giuglaris, “on ne peut pas décrire Kyôto, on ne peut que s’y laisser guider, et surtout guider hors du temps”.
La cuisine constitue un excellent biais pour pénétrer dans l’histoire de Kyôto. Elle est suffisamment légère pour ne pas vous empêcher de poursuivre votre découverte des autres richesses architecturales, spirituelles, artistiques et historiques dont la cité regorge. Car vous ne serez jamais loin d’un temple, d’un sanctuaire ou d’un musée…
Odaira Namihei
Carnet d’adresses
Sushi Iwa
Shimojuzuyamachi-dori Ainomachi Nishiiru, Shimogyo-ku, Kyôto 600-8155
Tél. 075-371-9303 – www.sushiiwa.jp
Mankamerô
387 Ebisu-cho, Kamigyô-ku, Kyôto 602-8118
Tél. 075-441–5020 – www.mankamerou.com
Hyotei
35 Kusakawa-cho, Nanzenji, Sakyo-ku, Kyôto 606-8437
Tél. 075-771-4116 – www.hyotei.co.jp/en/