Les deux premiers romans de l’écrivain paraissent mi-janvier chez Belfond. Utiles pour découvrir ce qui va faire sa spécificité.
Après nous avoir proposés juste avant Noël un joli hors-d’œuvre, L’Etrange bibliothèque, nouvelle de MURAKAMI Haruki illustrée par Kat Menschik, les éditions Belfond reviennent, au mois de janvier, avec un plat de résistance signé du même auteur qui devrait ravir ses fans. Il s’agit de ses deux premiers romans enfin traduits en français et réunis en un seul volume. Il en existait une traduction anglaise réservée quasi exclusivement au marché japonais et le romancier avait longtemps refusé de nouvelles traductions, estimant que ces deux œuvres ne méritaient pas d’être soumises au regard des lecteurs étrangers. Pourtant Ecoute le chant du vent et Flipper, 1973 constituent les deux premiers volets de la trilogie du Rat close par La Course au Mouton sauvage (1990) qui marque, selon lui, “le véritable début de ma carrière de romancier” comme il l’écrit dans la préface.
Si le premier n’avait pas été couronné par le prix Gunzô, l’une des récompenses littéraires les plus connues du pays, Murakami Haruki reconnaît qu’il “n’aurait peut-être jamais écrit d’autre roman”. Voilà pourquoi il se devait de l’offrir avec le second à ses nombreux lecteurs qui apprécient tant son style. Evidemment nous avons affaire à des œuvres de jeunesse qui n’ont pas la qualité de ses romans plus aboutis comme Chronique de l’oiseau à ressort ou même 1Q84, mais elles possèdent déjà les germes de ce qui va contribuer à construire et alimenter le fameux style Murakami. On retrouve ainsi le rythme qui caractérise tant son écriture ainsi que les prémices de son désir de s’affranchir des codes japonais. C’est ce qui le distinguera d’ailleurs de l’autre grand Murakami, Ryû de son prénom, qui apparaît à la même époque mais qui conservera une dimension nippone dans son œuvre à la différence de celle de Haruki beaucoup plus universelle. C’est ce qui explique pourquoi l’auteur de La Ballade de l’impossible (1987) a réussi à conquérir plus facilement le monde entier avec ses romans que Ryû et ses Bébés de la consigne automatique (1980).
Dès les premières pages d’Ecoute le chant du vent, on sent s’affirmer cette volonté d’entraîner le lecteur dans un univers littéraire qui n’a rien à voir avec le Japon. Après tout, comme Murakami l’explique après coup, il voulait lui-même fuir son pays (il le fera d’ailleurs pour voyager en Europe et s’installer ensuite aux Etats-Unis) et échapper aussi à sa littérature ainsi qu’à son langage littéraire. D’où les références à un écrivain américain imaginaire, Derek Heartfield, ou encore le choix de l’assassinat de Kennedy comme élément chronologique clé plutôt qu’un événement purement japonais. Toutefois, on sent bien que c’est encore hésitant à cette étape de sa vie puisqu’en évoquant Jean-Christophe de Romain Rolland comme œuvre de référence chez Derek Heartfield, son mentor littéraire, le narrateur oublie que ce roman est surtout apprécié des Japonais alors même qu’en France, il a été malheureusement oublié. C’est par ce genre de détails que l’on prend la mesure des efforts que Murakami va devoir encore déployer pour parvenir à atteindre son objectif. Flipper, 1973 ne fait que confirmer cette orientation avec plus de force et de conviction encore. Il rejette le monde des “salary men” japonais qu’à titre personnel il n’a pas rejoint puisqu’avant de devenir romancier, Murakami s’était endetté pour ouvrir un bar de jazz. Voilà pourquoi ces deux courts romans sont intéressants. Ils mettent en perspective les recettes qui vont lui permettre de devenir le romancier à succès que l’on connaît.
Odaira Namihei
Références :
Ecoute le chant du vent & Flipper, 1973
de Murakami Haruki, trad. par Hélène Morita, Belfond, 21,50 €