Cher Monsieur Gauthier,
Vous avez été mon dernier professeur de français langue étrangère, et je pense souvent à vous qui n’acceptiez jamais d’entendre “ok” à la place de “d’accord”. Grâce à vous, je me suis mise à acquérir sérieusement la langue de Molière. Or, Monsieur, aujourd’hui mon chef m’envoie des courriels commençant par “Hello la team”. De plus, mon lieu de travail propose le “team building” et ma cantine sert des plats “végétariens friendly”. Hélas, je dois donc m’adapter à ce langage vivant, en captant la tendance sinon je me fais vite étiqueter comme vieille.
Savez-vous que les anglicismes envahissent également la langue de Mishima ? Appelés gairaigo ou plus couramment katakanago, ces nombreux termes “japonglais” tels que kêki (cake) ou takushî (taxi) s’écrivent avec le syllabaire phonétique katakana retranscrivant des mots d’origine étrangère. A l’instar des mots franglais, les katakanago sont évidemment difficiles à saisir pour les anglophones et leur usage abusif s’accélère de plus en plus. Cette année, dans le cadre de la COVID-19, tandis que la responsable de la capitale japonaise a lancé le Tôkyô arâto (alert) pour décréter l’état d’urgence, le gouvernement a imaginé une campagne baptisée Gôtsû toraberu (Go To Travel) afin de relancer le tourisme intérieur et une autre pour sauver la restauration nommée Gôtsû îto (Go To Eat), on dirait la cousine d’Uber Eats. Récemment, l’économiste Takenaka Heizô, ancien ministre des Affaires intérieures, a suscité la polémique avec l’idée d’un bêshikku inkamu (basic income), revenu de base équivalent à 560 €. J’espère que ceux qui en ont besoin comprennent de quoi il parle, sans être intimidés par le terme.
Monsieur, ma maîtrise des anglicismes dans les deux langues me permet de faire semblant d’être à la pointe d’un nouveau “lifestyle” et pourtant, votre culture linguistique précise me manque. Monsieur, portez-vous bien malgré cette situation “gravement préoccupante”, comme dit l’Académie française.
Cordialement,
Koga Ritsuko