Propriétaire du Rubber Soul, à Yokohama, Suzuki Yoshimasa défend avec force l’héritage des quatre de Liverpool.
Le paysage musical japonais est parsemé de boutiques, de cafés, de bars et de salles de concert ayant pour thème les Beatles, mais lorsqu’il s’agit d’excellence musicale et de connaissance rigoureuse, peu d’endroits peuvent rivaliser avec le Rubber Soul dans le quartier Tsurumi, à Yokohama. Etabli depuis plus de 30 ans, cet établissement compact ne peut accueillir qu’une vingtaine de personnes. Sa principale caractéristique est une arche en briques à l’arrière, un rappel au Cavern Club de Liverpool, que le propriétaire Paulo Suzuki a lui-même conçue et qui donne son cachet au pub.
Le propriétaire est célèbre pour être un grand spécialiste de la recherche sur le son des Beatles. Avant de devenir le Rubber Soul, le lieu abritait une boutique vendant des articles et des disques des Beatles. Il l’a transformé en un lieu de concerts qui accueille régulièrement des représentations de plusieurs groupes de reprises, dont le groupe maison du Rubber Soul, les Beatloose.
Suzuki Yoshimasa (son vrai nom) est tombé amoureux des Fab Four en 1970. “J’avais 9 ans à l’époque. Je regardais la télévision quand j’ai vu une publicité pour une chaîne stéréo qui présentait Let It Be. Quand j’ai entendu cette chanson, j’ai eu un choc comme si j’avais été frappé par la foudre. J’ai demandé à mon père de qui il s’agissait, et il m’a répondu : “Ce sont les Beatles. Ils sont encore meilleurs qu’Elvis Presley”. Ce qui est génial avec les chansons des Beatles, c’est qu’elles donnent l’impression que tout le monde peut les chanter. Ça semble facile alors qu’elles sont en fait assez difficiles à maîtriser. C’est ce qui les rend attrayantes. En voyant le nombre de personnes qui les aiment encore, je pense que les Beatles appartiennent à tout le monde”, estime-t-il.
Il a immédiatement commencé à apprendre la guitare et après quelques années, contre la volonté de ses parents, il a décidé de devenir musicien professionnel. Il a finalement réalisé son rêve en 1986, et 2 ans plus tard, il a été embauché par le Star Club, une salle de spectacle de Nagoya, sa ville natale, qui était une succursale du célèbre (et aujourd’hui disparu) Cavern Club de Tôkyô. C’est là qu’il a commencé à jouer le rôle de Paul McCartney (d’où son nom de scène Paulo).
“Le Star Club et le Cavern Club étaient tous deux fréquentés par des fans dans le sens le plus fort du terme. Ils connaissaient bien le sujet et ils ne toléraient aucune erreur. Le Cavern Club, en particulier, était situé à Roppongi, et attirait donc un bon nombre d’étrangers.”
L’étape suivante pour Suzuki Yoshimasa a été de déménager à Tôkyô, le principal centre musical du pays. En 1990, il s’est décidé à louer un local à Yokohama afin d’y créer le Rubber Soul. “Je voulais disposer d’un lieu qui traduise mon amour pour les Beatles, mais qui soit différent des autres lieux existants dédiés à ce groupe”, explique-t-il. Le Rubber Soul est rempli du sol au plafond d’instruments et de matériel de musique. Des livres et des magazines sur le thème des Beatles, des disques de tous genres et quelques autres objets de valeur garnissent ses étagères. Une petite scène occupe tout le mur du fond (ici, un œil expert découvrira un ampli Vox, le même modèle que celui utilisé par les Beatles). Une table de mixage, une chaîne stéréo et d’autres équipements s’entassent à l’avant de l’estrade. Bien que l’aspect général soit plutôt chaotique, l’endroit possède une excellente acoustique. En effet, le Rubber Soul a été classé parmi les petites salles de concert indépendantes du Japon disposant du meilleur son et du meilleur équipement.
Parmi les objets les plus précieux du propriétaire figurent ses guitares basses : une Hofner 500/1 Violin Bass, une Rickenbacker 4001S et une Fender Jazz Bass. Les deux premières, bien sûr, ont été utilisées par McCartney pendant toute sa carrière, et Suzuki Yoshimasa les manie avec son groupe de reprises.
“The Beatloose a été formé en 1989 par un groupe de musiciens amoureux des Beatles qui ne voulaient jouer que pour le plaisir. Cependant, ils se sont rapidement fait connaître des fans des Beatles lorsqu’ils ont remporté un concours national sur les Beatles en 1991 et ont ensuite été présentés dans l’émission Fight de la chaîne de télévision publique NHK”, raconte-t-il. En 1992, le bassiste d’origine quitta le groupe, qui cessa alors de se produire, jusqu’à ce que le patron du Rubber Soul le rejoigne. Profitant de son expertise, introduisit le look militaire “Sergent Pepper” dans leurs costumes de scène ainsi qu’un côté humoristique dans leurs performances, tout en améliorant leur son.
Parmi les nombreux objets disséminés à l’intérieur du Rubber Soul, on trouve un certificat signé par rien de moins que George Martin, le légendaire producteur des Beatles. “En 1996, nous avons participé au festival de musique des Beatles sponsorisé par le Beatles Club. Martin était le président du jury”, se souvient Suzuki Yoshimasa. Les Beatloose ont reçu le deuxième prix pour avoir interprété le difficile A Day in the Life tiré de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. “L’un de mes meilleurs souvenirs est d’avoir joué devant George Martin et sa femme et d’avoir reçu le prix directement de ses mains”, affirme le patron du Rubber Soul.
La popularité croissante de son groupe a incité Suzuki à lancer son propre label, Rubber Soul Records, et en 1997, il a publié leur premier album, Magical Dreamy Tour, qui a reçu de nombreux éloges non seulement au Japon mais aussi parmi les amateurs des Beatles à l’étranger.
Au cours des 20 dernières années, les Beatloose ont été le noyau dur du Rubber Soul tout en devenant l’un des meilleurs groupes du Japon dans leur genre. L’œuvre d’amour de Paulo Suzuki est soutenue par de nombreux fans des Beatles, et bon nombre de groupes et d’acteurs ayant débuté au Rubber Soul ont ensuite joué un rôle actif dans la scène florissante des Beatles. “Nous avons accueilli des spectacles de nombreux artistes de renom. Mais pour moi, le plus mémorable a été un concert de David Peel, un musicien de rue qui a fait la connaissance de John et Yoko lorsqu’ils ont déménagé à New York au début des années 1970. Il a même enregistré un disque pour le label Apple des Beatles, intitulé The Pope Smokes Dope”, explique-t-il.
L’artiste a été invité au Japon en décembre 2003 lorsque Suzuki Yoshimasa a organisé l’événement We Love John Lennon Free Concert qui s’est tenu au John Lennon Museum dans la préfecture de Saitama (le lieu a fermé en 2010). Il l’a convaincu de se produire dans sa salle et l’a même accompagné à la basse.
Les Beatles ne sont cependant pas son seul amour. Au Rubber Soul, il organise de nombreux événements chaque mois, notamment des séances d’écoute où l’on débat des mérites des disques de plusieurs artistes. Enfin, Suzuki Yoshimasa est un grand fan de rock progressif et un expert respecté d’Emerson, Lake & Palmer. Il a même un deuxième groupe, Goma Works, qu’il partage avec le célèbre compositeur et claviériste Nanba Hiroyuki, joueur de rock progressif original.
Jean Derome