
Avec 1936 restaurants, Sukiya, fondé à Yokohama, est la principale chaîne de gyûdon au Japon. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Dès son ouverture au commerce, la ville portuaire a servi de passerelle avec les cuisines du monde. Les Japonais sont des mangeurs curieux et ont toujours accueilli à bras ouverts la nourriture étrangère. Aujourd’hui, ils alternent nonchalamment leur régime traditionnel de riz, de poisson, de cornichons et de soupe miso avec du pain, de la viande et un vaste éventail de plats venus de l’étranger. L’histoire d’amour du Japon avec la nourriture occidentale remonte à l’arrivée de Matthew Perry en 1853. Lorsque le commodore américain a invité la délégation japonaise à visiter l’un de ses navires, il a organisé une fête qui a laissé les quatre commissaires stupéfaits, ravis et très ivres. Dans Yankees in the Land of the Gods, Peter Booth Wiley raconte que “les délégués japonais ont été particulièrement impressionnés par quatre grands gâteaux portant leurs armoiries. Ce qui restait de nourriture était soigneusement emballé et rangé dans leurs kimonos.” On pourrait dire que les Américains ont gagné le cœur des Japonais grâce à leur estomac.Entre la fin du shogunat et le début de la période Meiji, avec le nombre croissant d’étrangers dans l’Archipel et les “gros ventres” des équipages des navires arrivant à Yokohama, leurs besoins alimentaires ont fortement augmenté. Ce que les Japonais ne pouvaient pas fournir, comme la bière, la viande, le lait, le pain et les légumes, devait être produit par les étrangers eux-mêmes.Ils ont commencé à cultiver des légumes dès les années 1860. L’un des endroits choisis était le Bluff où ils élevaient également des porcs. Plus tard, ils ont commencé à faire sécher des jambons dans le village voisin de Kashio, dans le district de Kamakura (c’est l’origine de la marque de jambon Kamakura, aujourd’hui très populaire), tandis qu’au printemps 1860, Eisler et Martindell ont ouvert la première boucherie de Yokohama. L’un des premiers plats populaires fut le gyûnabe (potée chaude au bœuf), une première version du sukiyaki à base de tofu, d’oignons de printemps et d’autres légumes. Selon certaines sources, ce plat était déjà consommé à Nagasaki dès 1854. Cependant, l’ouverture du port de Yokohama entraîna une augmentation de la demande, à tel point qu’en 1864, le shogunat approuva l’ouverture d’une ferme d’élevage dans la rue Kaigan et qu’un an plus tard, à la demande des étrangers, les autorités créèrent un abattoir à Kominato, à la périphérie de la ville.Les premiers gyûnabe ont été servis en 1862 à Iseguma, un izakaya du quartier d’Irefunechô. La femme du propriétaire avait des doutes sur ce plat exotique, mais il a fini par la convaincre et il a rapidement séduit les classes populaires en raison de son prix relativement bas. Comme le disait un vieux slogan, les clients pouvaient “goûter à la civilisation occidentale pour le prix d’un trajet en tramway”. Aujourd’hui, la meilleure façon de déguster ce plat à l’ancienne est de se rendre à Araiya (2-17 Akebonocho, Naka-ku, Yokohama, 11h30-15h et 17h-22h), qui existe depuis 1895. Au début, afin d’atténuer la forte odeur du bœuf, la plupart des restaurants cuisaient la viande dans une soupe miso. Araiya, cependant, préférait la sauce soja sucrée, qui est restée sa marque de fabrique jusqu’à ce jour.Si la nourriture occidentale et la viande, en particulier, étaient considérées comme un symbole de modernité et de civilisation, le riz restait l’aliment de base du Japon. Finalement, les deux ingrédients se sont rencontrés dans les années 1890 pour créer un autre plat extrêmement populaire, le gyûdon. Le nom dit tout : mettez du riz dans un grand bol (donburi en japonais) et recouvrez-le d’une généreuse portion de bœuf (gyû) et vous obtenez le gyûdon. Nous ne savons pas qui est la première personne à avoir eu une idée aussi simple mais ingénieuse, mais comme le gyûnabe, il s’est répandu comme une traînée de poudre, en particulier dans les quartiers ouvriers de Tôkyô. La première chaîne de restaurants de gyûdon au Japon, Yoshinoya, est née en 1899 et a attiré une clientèle fidèle grâce à sa devise : “Savoureux, bon marché et rapide”. La boulangerie Uchiki existe toujours. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Le gyûdon est peut-être né à Tôkyô, mais la plus grande chaîne actuelle, Sukiya, est née à Yokohama. Le fondateur de Zenshô Holdings, Ogawa Kentarô, travaillait chez Yoshinoya depuis 1978, mais en 1982, il a quitté l’entreprise et a ouvert un magasin près de la gare de Namamugi, dans le quartier de Tsurumi, ciblant les travailleurs de la zone industrielle de Keihin. Il a d’abord essayé de vendre des bentô mais s’est rapidement tourné vers les gyûdon. Aujourd’hui encore, alors que les autres restaurants de gyûdon se trouvent principalement devant les gares et dans les centres-villes, Sukiya se concentre sur les magasins de banlieue situés le long des routes principales.Bien que le siège de la société ait été transféré à Tôkyô en 2001, Sukiya conserve des liens forts avec Yokohama. Dans la mesure du possible, le magasin de banlieue typique de Sukiya arbore le même design standard, avec un mur rouge en briques et une tour d’horloge sur le toit. Le mur de briques rappelle les entrepôts de briques rouges de Yokohama, l’un des points de repère de la ville,...