Le paysage du manfra, le manga français, a bien changé depuis une dizaine d'années. Il commence à trouver sa place en librairie. Avouons-le, les premières et louables tentatives des années 2006-2008 des éditions Pika (avec Dreamland de Reno Lemaire en tête) et du magazine Shogun des Humanoïdes Associés n'ont guère porté leurs fruits, même si l'exception Dreamland, soutenue par ses lecteurs et un auteur très investi, est aujourd'hui un indéniable succès. Boris Vald, l'auteur de Catacombes publié chez Pika depuis 2008, a fait partie de ces "pionniers". Bien que la série ait rencontré son public, il sort épuisé de l'aventure et met un terme à la série avec le quatrième tome (sur six initialement prévus) qui sortira cet l'été. A qui la faute ? Christel Hoolans, responsable éditorial chez Kana, confirme que le lancement, l'année dernière, de Save Me Pythie de la talentueuse Elsa Brants est un pari. Il est encore trop tôt pour dresser un premier bilan des ventes, mais elle remarque que les attentes des lecteurs ont changé et que le nombre de projets "manga" de qualité est plus nombreux chaque année. Il n'est pas impossible que certains d'entre eux voient bientôt le jour chez Kana… Les éditions Ankama, qui s'appuient sur la manne financière du jeu Dofus et de ses nombreuses déclinaisons papier, ont lancé plusieurs séries à succès comme City Hall ou Radiant avec, aux commandes, des auteurs ayant déjà fait leurs preuves dans des formats d'albums classiques de 48 pages couleurs mais qui s'y sentaient à l'étroit. Ankama est satisfait de la réception de ces titres (Radiant de Tony Valente, qui n'a graphiquement rien à envier aux créations nippones, marche d'ailleurs de mieux en mieux), mais l’éditeur ne compte pour le moment pas publier plus d'une nouveauté par an. Il est aussi assez encourageant de constater que, chez Ankama en tout cas, les titres "hexagonaux" se vendent pour la plupart mieux que ceux achetées au Japon. Serions-nous à un tournant ? Si l'équilibre financier est plus difficile à trouver pour une série française (qui coûte plus cher à produire qu'une licence japonaise), il se murmure néanmoins que de “gros” éditeurs, pourtant encore assez réticents il y a peu, pourraient se lancer bientôt dans l'aventure. Parions qu'ils n'auront pas à le regretter. Save me Pythie, un manga moderne Pour avoir refusé les avances d'Apollon, l'accorte Pythie est punie par le dieu et est condamnée à prédire les pires catastrophes sans jamais pouvoir les empêcher… Save Me Pythie est sans conteste LA bonne surprise de l'année dernière. Qu'elle s'inscrive dans la veine manfra (manga français) est la cerise sur le gâteau. Dynamique, drôle et sans cesse surprenante, la série marie avec brio un humour saugrenu très nippon (grosse influence assumée de Rumiko "Lamu" Takahashi) et les personnages bien connus (ou pas) de la mythologie grecque. Mais Elsa Brants ne se contente pas d'une simple relecture du mythe, elle incorpore avec bonheur à son histoire des éléments contemporains souvent inattendus et toujours réjouissants –avec une mention spéciale au concours de talents "À la recherche de l'antique star". Les références franco-belges d'Elsa sont, sans surprise, à trouver du côté de la Rubrique-à-Brac de Gotlib ou de Fred (Philémon) et F'murr (Le génie des alpages)....