
Moins connu en Europe que son aîné Yoshiharu, il a aussi fait ses premières armes dans les mangas de location. Tsuge Tadao a commencé à réaliser des mangas pour les librairies de location à la fin des années 1950. / John Lander pour Zoom Japon T suge Tadao est entré dans la légende. Bien que, jusqu’à très récemment, il ait été pratiquement inconnu en dehors du Japon, ce vétéran de la bande dessinée a été l’un des pionniers du manga alternatif et un collaborateur clé du magazine d’avant-garde Garo (voir Zoom Japon n°43, septembre 2014) entre la fin des années 1960 et le début des années 1970. A la différence de son frère aîné Yoshiharu (voir Zoom Japon n°87, février 2019), Tadao a largement dépeint, sur un ton non sentimental, la vie sordide des gens ordinaires et leurs luttes quotidiennes dans le Japon de l’après-guerre. Quand avez-vous commencé à dessiner ?Tsuge Tadao : Quand j’étais en CE1, inspiré par mon frère, j’ai commencé à dessiner les personnages de Tezuka dans la rue avec un morceau de craie. Même à l’école, j’avais l’habitude de dessiner sur le tableau noir. Puis, quand j’avais environ 12 ans, mon frère a commencé à travailler professionnellement comme dessinateur de bandes dessinées. Je rentrais de l’école et il me demandait de l’aider pour les parties faciles, comme l’encrage de certains dessins. C’était l’époque où Tatsumi Yoshiharu repoussait les limites du manga avec ses histoires grinçantes de gekiga [manga réaliste] et où des revues destinées à la location comme Meiro, Kage et Machi ont fait leur apparition. J’ai soumis à l’une de ces revues une de mes histoires – elle faisait environ huit pages – et, étonnamment, elle a été publiée ! J’ai été payé 1 000 yens (± 7 €) – une somme considérable à l’époque, surtout pour un jeune homme comme moi - et j’étais définitivement accroché. Je n’arrivais pas à croire que je pouvais être payé tout en m’amusant. Vos premières bandes dessinées ont été publiées dans des collections de livres de location (kashihon manga) qui contenaient principalement des mangas de genre. D’après un essai écrit et publié par votre frère Yoshiharu en 1988, vous lui avez un jour montré le brouillon d’une de vos premières histoires, mais il l’a publié dans Machi comme étant sa propre œuvre.T. T. : J’avoue que je ne m’en souviens pas. Je n’ai jamais reçu le numéro où mon histoire était censée figurer, donc je ne sais pas ce qu’il en est advenu. Mais je me souviens avoir reçu les honoraires pour le manuscrit. Autant que je me souvienne, les premières histoires parues dans un kashihon manga étaient Tejô [Menottes] et Kaitenkenjû [Revolver]. C’était une période particulièrement prolifique pour moi. J’ai écrit Kaitenkenjû en 1959, et au cours des deux années suivantes, j’ai publié plus de 20 œuvres. Ensuite, je n’ai plus rien fait jusqu’à ce que je rejoigne Garo en 1968. J’ai lu quelque part que vous n’étiez pas particulièrement fier de vos histoires de shôjo manga.T. T. : Disons que ce n’était pas le genre d’œuvres que je voulais créer. Mais sur le marché des kashihon, il fallait donner aux lecteurs ce qu’ils voulaient, et les histoires pour filles étaient très populaires. C’est la réalité d’une économie capitaliste. Après tout, les shôjo manga représentaient près de 60 % de la production totale des mangas de prêt. Le shôjo manga typique des kashihon de l’époque raconte l’histoire d’une héroïne courageuse qui, malgré son malheur, parvient à une fin heureuse et dramatique. Pensez-vous que ces histoires ont été influencées par la situation d’après-guerre au Japon ?T. T. : Oui et non. Il est certain que les shôjo manga étaient très différents des mangas pour garçons. Les garçons aimaient l’évasion, qu’il s’agisse d’action, d’aventure ou de science-fiction. En revanche, le contenu des bandes dessinées pour filles était extrêmement réaliste. N’oubliez pas qu’à l’époque, il y avait 100 000 orphelins de guerre au Japon. Cela dit, ces histoires se vendaient bien notamment parce que les filles aimaient les histoires qui font pleurer. N’avez-vous jamais eu l’impression que la politique éditoriale des éditeurs de kashihon imposait trop de limites à votre art ?T. T. : Peut-être qu’au début, c’était comme ça. Tezuka avait établi les lignes directrices pour dessiner les mangas, et tous les artistes suivaient son plan. Les bandes dessinées étaient des pièces morales sur le bien contre le mal, et vous saviez que les bons l’emportaient toujours sur les méchants. Ces règles étaient gravées dans la pierre et considérées comme allant de ...