A 700 kilomètres à l’ouest de Tôkyô, la préfecture de Tottori ne manque pas d’attraits pour les curieux.
Tout a commencé dans un train, un peu comme pour Nakahara Hiroshi, le personnage principal de Quartier lointain (Casterman). L’objectif était de partir à la rencontre de cette région qui a vu naître Taniguchi Jirô, l’un des dessinateurs japonais les plus connus en France, mais dont la notoriété au Japon n’est sans doute pas à la hauteur de son talent. Bordant la mer du Japon, la préfecture de Tottori n’est pas pour autant dominée par l’océan. La montagne n’est pas très loin, ce qui lui permet de proposer une diversité de paysages susceptibles de ravir les plus exigeants des voyageurs. La première étape de ce périple est Kurayoshi, une petite cité arrosée par les rivières Ogamo, Kou et Tenjin, dont le vieux quartier dominé par le mont Utsubuki est un des principaux éléments d’attraction. En sortant par la sortie sud (minamiguchi) de la gare, après avoir laissé ses bagages à la consigne automatique, on est loin de l’atmosphère de Quartier lointain. Pour la retrouver, il faut, comme le héros de l’histoire, prendre le bus (230 yens, descendre à Akagawara – Shirakabedozô) ou, si la météo s’y prête, se lancer dans une promenade d’une bonne trentaine de minutes qui permet ainsi de découvrir à quoi ressemble une ville de province japonaise. Il suffit d’emprunter la longue avenue face à la gare. Elle est caractéristique de nombreuses villes provinciales sans caractère. L’architecture n’est guère remarquable, mais si l’on est gourmand, c’est un lieu de passage incontournable. Taniguchi Jirô est un grand amateur de nouilles (voir pp. 28-29) comme il nous l’a confié. A Kurayoshi, les restaurants de râmen ne manquent pas. Deux établissements, cependant, se détachent des autres. Le premier se trouve sur la droite en descendant cette fameuse avenue. Situé dans le renfoncement d’un parking réservé aux clients du magasin Geo, Kôga fait partie des 66 meilleurs restaurants de râmen de la préfecture. Si son allure fait davantage penser à une cantine, il n’en propose pas moins une excellente cuisine dont le goût suscite, dit-on, la “nostalgie du bon vieux temps”. Ses fameux natsu uma râmen (550 yens, tél. 0858-26-7288) ont acquis une réputation qui dépasse largement les limites de la ville. Le plat se marie bien avec l’atmosphère qui se dégage des œuvres du mangaka. Sur le trottoir d’en face, un peu avant, Kôga, un autre restaurant de râmen s’est taillé une solide notoriété parmi les amateurs de nouilles. Depuis 2004, Gottsuo râmen propose des râmen préparés dans un bouillon à base de bœuf (650 yens, tél. 0858-26-3813) que l’on savoure jusqu’à la dernière goutte. L’atmosphère y est plus feutrée que chez Kôga et se prête davantage à un dîner.
Au bout de la longue ligne droite, il suffit de suivre la courbe de la route et de passer la rivière Tenjin. En avançant vers le mont Utsubuki que l’on aperçoit à l’horizon, on distingue sur la gauche un bâtiment de verre et de métal dont l’architecture n’a rien à voir avec le reste de la ville. Conçu par l’architecte américain d’origine argentine César Pelli, ce vaste espace abrite notamment le Nashikko kan, le musée de la poire. Un lieu étonnant où l’on peut tout apprendre sur ce fruit qui a fait la gloire de la région grâce à la variété XXe siècle (Nijûseiki nashi). A quelques centaines de mètres de là, on change totalement d’univers. A l’instar de Nakahara Hiroshi, on a l’impression d’avoir remonté le temps. Le Kurayoshi de Quartier lointain est devant vos yeux. Tout y est. Les anciens entrepôts aux murs blancs caractéristiques, les boutiques à l’ancienne avec leurs enseignes d’un autre âge et l’étroitesse des petites rues qui tranche avec les grandes rues du quartier proche de la gare. Cette plongée dans le passé a quelque chose de grisant même si l’exploitation touristique de ce quartier lui a fait perdre le côté humain qu’on trouve dans l’œuvre du mangaka. Toutefois, dès que l’on s’éloigne des anciens entrepôts transformés en boutiques de souvenirs, on arrive à retrouver l’ambiance de Quartier lointain. A proximité de l’arrêt de bus Akagawara – Shirakabedozô, se trouve un petit musée gratuit consacré au chemin de fer (Kurayoshisen tetsudô kinenkan). C’est le seul endroit où les visiteurs sont priés d’allumer et d’éteindre l’électricité en entrant et en sortant. Il n’est pas d’une grande richesse, mais les nombreuses photos présentées permettent d’apprécier une époque révolue quand la ligne Kurayoshi était encore exploitée entre Kurayoshi et Yamamori. C’est d’ailleurs une gare de cette ligne abandonnée en 1985, celle d’Utsubuki, qui a été transformée en musée.
Une fois achevée la promenade dans les petites rues qui longent la petite rivière Tama, l’ascension du mont Utsubuki ne manque pas d’intérêt. De loin, il donne l’impression d’être inaccessible tant la forêt semble dense. Mais en réalité, il regorge de nombreux trésors qui valent bien de prendre une bonne heure de balade. Au printemps, au moment de la floraison des cerisiers, c’est un émerveillement qui lui vaut de figurer parmi les cent plus beaux sites de l’archipel pour admirer ces arbres en fleurs. A une vingtaine de minutes de là en taxi se trouve la station thermale de Misasa (Misasa onsen) qui célèbre ses 850 ans d’existence. Lieu idéal pour se détendre et passer la nuit après une journée bien remplie, la petite cité thermale ne manque pas d’établissements pour satisfaire les amateurs de bains et de bonne chère.
L’une des particularités de Misasa est de posséder des eaux enrichies en radium et au radon, que la chimiste et physicienne française Marie Curie a découvert en 1898. Il n’est donc pas étonnant que cette dernière y soit célébrée. Les prix pour une nuit comprenant deux repas varient de 13 000 à 21 600 yens selon l’hôtel choisi. Parmi les plus agréables figures le Misasakan (tél. 0858-43-0311). Outre un tarif abordable (13 650 yens), cet établissement dispose d’un magnifique jardin japonais que l’on peut admirer pendant les repas ou dans le vaste hall d’accueil. Le service y est par ailleurs irréprochable, ce qui donne envie d’y rester plus longtemps. D’ailleurs, Misasa signifie “trois matins”. C’est, dit-on, le nombre de fois où il faut prendre un bain dans les eaux chaudes de la station thermale pour rajeunir et retrouver la forme. De retour à la gare de Kurayoshi par l’une des navettes gratuites qui desservent Misasa, on peut emprunter le train jusqu’à Yura à une dizaine de kilomètres. Avec un peu de chance, on peut tomber sur le train Conan à l’effigie du personnage de manga imaginé par Aoyama Gôshô. En plus d’être la région natale de Taniguchi Jirô, Tottori est aussi celle du créateur de Détective Conan et celle où a grandi le génial Mizuki Shigeru. La renommée internationale de ce personnage a transformé la vie de Hokuei qui, en dehors d’un musée consacré au mangaka, a décidé de mettre à l’honneur Conan. La gare de Yura a le surnom officiel de gare Conan avec un magnifique bronze de ce héros traduit dans le monde entier. A une cinquantaine de mètres de là, la bibliothèque est aussi aux couleurs du personnage comme les plaques d’égout. Pour se rendre au Gôshô Aoyama Manga factory (9h30-17h, 700 yens), il suffit de suivre une route balisée pendant une vingtaine de minutes, de traverser le pont Conan et d’admirer quelques dessins et autres sculptures.Le musée est reconnaissable à la coccinelle jaune qui est garée devant. A la différence d’autres lieux dédiés à des mangaka, il n’est pas interdit de photographier (sauf exceptions). La visite ravira les fans qui sauront tout de ce mangaka prodige.
Ensuite direction Tottori où Taniguchi a planté le décor du Journal de mon père (Casterman). Célèbre pour ses dunes (Tottori sakyû) qui attirent chaque année des centaines de milliers de personnes, la principale ville de la préfecture éponyme détruite en partie par un gigantesque incendie en 1952 a su conserver cette atmosphère intimiste qui se dégage des œuvres du mangaka. Deux endroits situés à proximité de la gare en sont la parfaite illustration. Le musée de l’artisanat (Tottori mingei bijutsukan, 10h-17h, fermé le mercredi, 500 yens) et le restaurant Takumi-kappôten (tél. 0857-26-6355) qui le jouxte. Dans ces deux lieux, on trouve des objets qui incarnent l’âme japonaise par leur simplicité et leur beauté. Et lorsqu’on s’y retrouve, on a l’impression d’être dans un rêve à l’instar de Nakahara Hiroshi. Le temps de déguster un gyûdon (mijoté de bœuf sur un lit de riz, 1 080 yens), il sera temps de reprendre le train vers d’autres régions chères aux yeux de Taniguchi comme les Alpes japonaises. Pour une aventure temporelle.
Gabriel Bernard