Inspirée du roman Compléter les blancs (trad. par Corinne Atlan, Actes Sud, 2017), la série télévisée Fill in the Blanks (Kûhaku wo Mitashinasai) a enregistré les meilleures audiences parmi les feuilletons diffusés en VOD sur le site de la chaîne NHK. Auteur de l'œuvre originale, Hirano Keiichirô revient sur son travail. Evoquer des personnes décédées qui reviennent à la vie revient à faire de la science-fiction, mais la façon dont vous avez traité le sujet ressemble à la réalité et transforme l'histoire en un drame humain touchant. Pourquoi avez-vous choisi ce thème pour ce roman ?Il y a plusieurs raisons. Tout d'abord, mon père est mort à l'âge de 36 ans. Je n'avais qu'un an à l'époque, je ne l'ai donc jamais vraiment connu, mais et peut-être à cause de cela, j'ai développé une relation très étroite avec lui, et en grandissant, sa mort m'a toujours accompagné, à tel point que j'ai commencé à croire que je mourrais moi-même au même âge. Bien sûr, c'était une supposition très irrationnelle, mais je ne pouvais pas imaginer être plus vieux que mon père. Ainsi, lorsque j'ai fini par avoir 36 ans, j'ai décidé d'écrire un roman sur la mort pour surmonter cet âge.Puis, pendant la phase de planification de l'histoire, deux autres événements importants se sont produits : d'une part, plus de 10 000 personnes sont mortes à la suite du tremblement de terre et du tsunami du 11 mars 2011 et, d'autre part, mon premier enfant est né. En un sens, la vie et la mort se sont entremêlées.À cette époque, je me suis demandé quel était le sentiment le plus fort que les humains éprouvent à l'égard des morts, et j'ai réalisé qu'il se résumait au désir de les rencontrer et de leur parler à nouveau. Par conséquent, même si le cadre est très peu réaliste, je l'ai écrit en m'appuyant sur le désir très vif de vouloir rencontrer les défunts. En ce sens, je trouve que mon travail est en prise avec la réalité. Cliquer ici pour voir la série en français sur le site de NHK WORLD-Japan Vous ne craignez pas d'exprimer votre opinion sur les questions sociales et les difficultés des gens dans la vie, mais j'ai l'impression que dans cette œuvre, vous avez plutôt écrit sur la façon dont ils font face à leur propre moi, ou peut-être "l'autre moi". Cela est-il lié au concept de "bunjin" ("dividu", personnalité multiple) que vous avez développé ?Dans le roman, il y a effectivement un moment où le terme "dividu" est utilisé et expliqué, mais pour moi, penser à soi-même et penser à la société sont des choses inséparables. C'est parce que, dans de nombreux cas, nous avons tendance à intérioriser les idées qui existent dans la société et à les appliquer à la façon dont nous pensons à nous-mêmes. L'un des principaux thèmes de ce roman est donc la façon dont nous devons nous percevoir. Le suicide est, après tout, un problème fondamental de la façon dont nous traitons notre propre personne. Au Japon, par exemple, lorsque les jeunes terminent leurs études et entrent dans la vie sociale, on leur demande souvent quel genre de personne ils sont et quel genre de travail ils veulent faire. Beaucoup d'entre eux feront le même travail pendant environ 40 ans, à tel point qu'ils finiront par s'identifier à leur profession. Par ailleurs, on nous dit souvent que nous devons toujours être nous-mêmes. La société est pourtant composée de nombreuses personnes différentes, et si nous voulons établir une bonne relation avec ceux qui nous entourent, nous n'avons pas d'autre choix que de devenir différents nous-mêmes en fonction des personnes avec lesquelles nous sommes. C'est ainsi qu'est né le concept de "dividu" : avoir un moi différent pour chaque situation. Malheureusement, la société a tendance à considérer que le fait d'avoir plusieurs personnalités est faux et malhonnête.Ce concept est particulièrement important lorsqu'on envisage le suicide, qui est un autre thème que j'ai exploré dans mon roman. Pendant la période où j'ai travaillé sur cette histoire, le suicide chez les jeunes est devenu un problème majeur, et même autour de moi quelques personnes se sont données la mort. Pourquoi...