Pêcheur invétéré, Ralph Nunez a décidé de faire sa vie au Japon pour y assouvir son amour de l’eau et du poisson.
Le Japon attire de plus en plus de pêcheurs étrangers. Ils viennent pour attraper des poissons impressionnants et se procurer du matériel de pêche fabriqué au Japon et connu dans le monde entier. Cependant, pour de nombreux étrangers, naviguer dans le monde de la pêche japonaise peut s’avérer difficile, surtout s’ils ne parlent pas et ne lisent pas la langue. Heureusement, ils ont trouvé en Ralph Nunez une source apparemment inépuisable d’informations fiables sur les poissons japonais, les coutumes de pêche et les magasins d’articles de pêche, devenant rapidement l’homme de confiance des voyageurs étrangers et des expatriés.
Il vit au Japon depuis 42 ans. “Je suis venu au début des années 1980 en tant qu’étudiant pour réaliser un projet de sociologie”, explique-t-il. “Il était prévu que je reste ici trois mois, que je rédige un rapport, que je réalise des entretiens, que je tienne un journal, puis que je retourne en Californie du Nord, mais je ne suis jamais reparti. J’ai vécu à Kyôto, Tôkyô et Nagano et je suis tombée amoureux du pays, des gens, de la langue, de la nourriture. J’ai trouvé un endroit qui me parlait”.
Lorsqu’il vivait aux Etats-Unis, il pêchait la truite et le saumon en Californie du Nord. Il a continué à pêcher en eau douce même après avoir déménagé au Japon. “Le Japon est composé à 80 % de montagnes et il y a beaucoup de lacs, d’étangs et de cours d’eau, petits et grands. L’un de mes terrains de pêche préférés se trouvait à Chiba, à l’est de la capitale. Un jour, je me suis essayé à la pêche en eau salée et j’ai attrapé un bar, cousin du bar d’eau douce. Ils mordent aux mêmes leurres, il faut juste une ligne et un matériel un peu plus lourds, mais ils font plus d’un mètre de long et sont délicieux. Je me suis dit qu’il était peut-être temps pour moi de passer de l’eau douce à la mer. J’ai donc commencé à sortir en bateau avec mes amis. Nous affrétions un petit bateau et allions à Manazuru dans la préfecture de Kanagawa, ou plus loin à Shimoda, Misakiguchi, ou jusqu’à Ibaraki. Nous partions à 1 ou 2 heures du matin, faisions 3 ou 4 heures de navigation et pêchions très bien, car plus on s’éloigne de Tôkyô, plus la pêche est bonne”, confie-t-il.
Aujourd’hui, Ralph Nunez ne pêche plus qu’en bateau. “Le coût d’une sortie sur un bateau de pêche sportive japonais est d’environ 10 000 yens [59 euros] par personne, ce qui est beaucoup moins cher que dans de nombreux autres pays. En Amérique, par exemple, il faut débourser entre 200 et 270 dollars [entre 186 et 251 euros] pour une journée. Les prix au Japon sont incroyables. Maintenant que beaucoup de gens viennent de pays asiatiques (Singapour, Hong Kong, Malaisie, Philippines) les capitaines et le personnel essaient de parler davantage l’anglais pour attirer les clients”.
“Je conseille toujours aux personnes qui viennent au Japon pour pêcher de manière récréative d’investir dans du matériel, mais vous pouvez aussi choisir un bateau qui vous prêtera tout ce dont vous avez besoin. Ils font de la publicité sur Internet. Si vous n’êtes pas sûr, vous pouvez toujours appeler et vérifier, et si vous ne parlez pas suffisamment japonais, demandez à quelqu’un d’appeler pour vous. Beaucoup de bateaux vous feront payer 1 000 yens pour utiliser la canne à pêche et le moulinet et vous offriront le reste de l’équipement (vêtements de pluie, bottes, gilet de sauvetage) gratuitement ou presque parce qu’ils veulent que vous deveniez un client. Tout ce que vous avez à acheter, ce sont les hameçons”, ajoute-t-il.
Il ne se considère pas pour autant comme un pêcheur sportif. “Ma pêche va au-delà des loisirs. Je pêche pour nourrir ma famille et rester sain d’esprit dans ce monde de fous. Les personnes qui pêchent régulièrement au Japon sont sérieuses. Ils pêchent pour le dîner, comme moi. J’ai le sentiment de devoir subvenir aux besoins de ma famille, car ce n’est pas un passe-temps bon marché et, à la fin de la journée, je dois montrer que je n’ai pas perdu mon temps”, assure Ralph Nunez.
“Je pratique la pêche toute l’année, car les poissons changent en fonction des saisons. En ce moment, c’est la fin de la pêche en eaux profondes, comme le vivaneau à œil d’or (kinmedai en japonais). Si vous allez au restaurant et que vous commandez un de ces poissons, vous devrez débourser 7 000 ou 8 000 yens. La saison du vivaneau rouge (medai en japonais) commence. Ils viennent frayer dans les eaux peu profondes. La pêche sera bonne à partir de maintenant et jusqu’à la fin de l’été.”
Ralph Nunez insiste sur le fait que le poisson pêché dans la baie de Tôkyô est délicieux. “Lorsque je suis arrivé ici dans les années 1980, il y avait beaucoup de pollution. Mais les lois ont changé, les usines ont réduit leurs rejets et l’eau est devenue beaucoup plus propre. Le fait que beaucoup de poissons soient revenus en est la meilleure preuve. Et ils ont bon goût ! Les gens pensent que la baie est trop sale, mais si vous pratiquez la pêche côtière, l’un des meilleurs endroits pour attraper du poisson se trouve près de l’aéroport de Haneda, juste à l’endroit où la rivière Tama se jette dans la baie. Tout le monde est surpris lorsqu’il entend cela, et l’eau semble effectivement sale, mais c’est parce qu’il y a beaucoup de plancton. C’est pourquoi le poisson est délicieux. Il est plus savoureux que tout ce que l’on peut acheter au supermarché ou manger au restaurant. Près de Haneda, on peut même pêcher des anguilles et des poulpes d’eau salée. Ils ne sont pas si difficiles à attraper une fois que l’on dispose des bonnes informations.”
“Le seul poisson que je relâche lorsque je sors dans la baie de Tôkyô est le bar. Même aujourd’hui, le bar n’a pas très bon goût. Si vous en attrapez un dans l’océan, c’est bon, mais près d’ici, ils sentent encore un peu parce qu’ils sont nés ici, se reproduisent ici et ne vont jamais dans une eau propre, ce qui fait qu’ils ont beaucoup d’impuretés.”
Lorsqu’on lui demande quel est son poisson préféré, Ralph Nunez répond qu’il a un faible pour le thon et d’autres gros poissons. “Ils sont puissants et se mangent très bien. Et pour moi, le thon représente l’été, qui est ma saison préférée. Je pêche également le vivaneau en eau profonde. J’adore les poissons d’eau profonde parce qu’ils sont délicieux. Ils sont tellement gras et huileux lorsque vous les coupez. Ils ressemblent parfois à de petits morceaux de steak d’aloyau. Plus le poisson est gras, meilleur est son goût. On ne trouve pas ce genre de poisson dans les restaurants. Et si on en trouve, on ne peut pas se le payer, du moins pas à Tôkyô”, note-t-il.
“J’aime aussi pêcher le marlin à la traîne. Ces poissons pèsent 150 ou 200 kg et il faut une équipe pour les attraper. On ne peut pas le faire tout seul. Notre équipe est composée de cinq personnes et nous avons tous une position. Pour attraper un poisson aussi gros en toute sécurité, sans se blesser ni se tuer, il faut travailler ensemble et rester calme. Et savoir ce que l’on fait”, résume-t-il.
L’Américain estime que l’approche des pêcheurs japonais s’est améliorée au cours des dernières années. “La dernière fois que j’ai vérifié, il y a trois ans, la population japonaise pratiquant la pêche récréative s’élevait à près de neuf millions de personnes, et vous serez surpris d’apprendre qu’il n’existe pas de permis de pêche. Et les gens se demandent comment les poissons peuvent survivre. Je veux dire, il ne peut plus y avoir de poissons ! Mais il y en a. J’ai parlé à de nombreux capitaines de bateaux de pêche et je leur ai demandé ce qu’ils pensaient de la mise en place d’un système de permis de pêche au Japon. Avec les recettes, ils pourraient travailler davantage sur l’environnement, apprendre aux enfants dans les écoles à garder les océans propres, à pêcher, etc. Une grande partie de cet argent pourrait être utilisée pour éduquer la prochaine génération de pêcheurs. La réaction habituelle des capitaines est : pourquoi ? Ils disent que ce sont nos îles, que c’est le droit que Dieu nous a donné de pêcher. Qui a besoin d’un permis ? Telle est l’attitude des Japonais. Le Japon a donc très peu de réglementations. Heureusement, la Japan Game Fishing Association (JGFA) a commencé à recommander des limites de prises, ce qui signifie qu’il ne faut pas remplir deux glacières de poisson, mais en prendre suffisamment pour quelques repas et rejeter le reste. La JGFA a également contribué à l’introduction de limites de taille. Rejetez les petits poissons. Il y a aussi des périodes où les poissons fraient et où les femelles sont pleines d’œufs, alors n’attrapez pas de poisson ruban en novembre, c’est à ce moment-là qu’elles sont pleines d’œufs. Et les Japonais pensent que ces œufs sont délicieux, vous savez, ils pensent avec leur estomac (rires). Mais aujourd’hui, de nombreux bateaux arrêtent de pêcher une espèce pendant la période de frai parce qu’ils veulent rester en activité. Ils comprennent que si l’on prend tous les poissons pendant le frai, leur avenir n’est pas très brillant. Ils deviennent intelligents, même en l’absence de réglementation stricte”, explique Ralph Nunez.
“A Aomori, où l’on pêche le thon rouge, la pêche sportive est désormais autorisée, mais il s’agit d’une pêche avec remise à l’eau. La limite est d’un poisson et seuls des capitaines et des bateaux spéciaux ont l’autorisation de la coopérative locale pour pêcher le thon rouge, et peut-être seulement un mois par an, afin que la population ne soit pas affectée”, ajoute-t-il.
L’éducation à la pêche et la formation de la prochaine génération de pêcheurs sont importantes, et Ralph Nunez a apporté sa contribution en créant un club de pêche pour les adolescents. “Je travaille pour une université depuis 23 ans. J’y enseigne l’anglais et je travaille avec des enfants de 12-13 ans jusqu’à 18 ans. Aujourd’hui, beaucoup d’enfants restent à l’intérieur à jouer toute la journée, et même lorsqu’ils sortent, ils ne savent pas comment jouer à l’extérieur. Ils vont au parc et s’assoient sur un banc pour jouer. Ils ne savent pas comment être actifs. J’ai donc créé un club de pêche dans mon école, qui compte aujourd’hui 18 garçons – 18 petits pêcheurs invétérés. Nous affrétons des bateaux et allons au large. Nous pêchons la bonite à ventre rayé, la limande à queue jaune, le vivaneau rouge et le sébaste. Une fois, nous avons péché par temps de typhon et certains d’entre eux sont tombés malades, mais ils avaient un seau dans une main et une canne à pêche dans l’autre. C’était des acharnés”, se souvient-il.
L’école de Nunez a non seulement donné son feu vert au club de pêche, mais elle lui a également accordé un budget pour qu’il puisse acheter du matériel pour les enfants. “Je suis très reconnaissant pour l’argent, mais il ne s’agit que de 150 000 yens pour l’année. Actuellement, il y a 18 garçons et je ne peux pas me permettre d’acheter grand-chose avec cette somme. Ils ont besoin de gilets de sauvetage, de cannes à pêche et de moulinets, d’une paire de bottes, d’une glacière et de vêtements de pluie. Heureusement, les gens me donnent des cannes à pêche parce qu’ils savent que je dirige le club. Par exemple, le grand-père d’un ami est décédé et il avait beaucoup de matériel de pêche, alors ils m’ont dit : ’Viens chercher ce matériel, tu pourras l’utiliser pour le club’. Aujourd’hui, j’ai tellement de cannes à pêche et de matériel de pêche dans ma maison que je ne sais plus combien j’en ai. Ma chambre est une zone dangereuse, ma famille ne s’en approche pas. Il y a des crochets sur le sol, il y a des cannes à pêche. Le lieu n’est pas sûr”.
Quelqu’un avec une telle passion pour la pêche doit avoir une femme très patiente. Ralph Nunez admet qu’il a trouvé la perle rare. “Je suis arrivé au Japon à l’âge de 19 ans, mais je ne me suis marié qu’à 34 ans. Mais lorsque j’ai décidé que j’avais besoin d’une partenaire pour la vie, j’ai rencontré cette femme, qui m’a dit qu’elle venait de la plage, que la maison de sa famille se trouvait au bord de l’eau à Chiba, près de Tateyama. Elle m’a ensuite dit que son père était pêcheur et que son grand-père avait été pêcheur commercial, et j’ai donc pensé qu’elle était la femme qu’il me fallait.” “Malheureusement, son grand-père est parti pêcher un jour et n’est jamais revenu, il s’est perdu en mer. Elle s’inquiète donc constamment pour moi. Sur quel bateau vas-tu ? Quel est le numéro de téléphone ? As-tu vérifié la météo ? As-tu ton gilet de sauvetage ? MAIS elle adore le poisson frais ! J’ai donc intérêt à en attraper quelques-uns, sinon je me fais sonner les cloches. Quand je ramène le poisson à la maison, je dois le nettoyer et le couper moi-même, mais je fais surtout des sashimis, donc c’est assez simple. Parfois, nous l’emmenons au restaurant et leur demandons de le cuisiner pour nous. Nous avons un dîner complet et ma femme est heureuse parce qu’elle sort de la cuisine et n’a pas à cuisiner, à faire les courses ou à faire la vaisselle”, explique-t-il.
“Ce que ma femme déteste dans ma pêche, c’est ce que je fais quand je rentre à la maison. Vous devez huiler et entretenir votre matériel fréquemment car, au Japon, tout rouille, même le plastique. Alors, quand je finis de pêcher, je prends tout mon matériel dans la douche – mon imperméable, mes bottes, ma glacière, mes moulinets, mes cannes à pêche – et je prends une douche avec. Ma femme se fâche toujours, mais si vous ne lavez pas l’eau salée, tout le matériel se corrode, et il n’est pas donné”, se défend Ralph Nunez.
Il affirme qu’il ne peut être heureux que s’il est près de l’eau. “Je me sens en paix. C’est la raison pour laquelle je suis resté au Japon. J’aime l’eau et c’est une grande nation insulaire. La culture de la pêche correspond à ma façon de penser et à ma passion. J’ai également appris beaucoup de choses sur l’histoire, la culture et les styles de pêche que je n’aurais jamais imaginés de ma vie ; des poissons que je n’ai jamais vus. Si c’est nouveau pour moi, je veux essayer de l’attraper. C’est comme les enfants qui essaient d’obtenir une carte Pokémon, vous savez ? Je suis toujours à la recherche de nouvelles expériences. C’est là tout l’intérêt.”
G. S.