
Installé à Shiga depuis une quinzaine d’années, le célèbre traducteur y poursuit son travail de passeur de culture.
Vétéran de la traduction, Jacques Lalloz vit depuis plus de cinq décennies dans l’archipel. Passionné de littérature et de manga, il a été l’un des fers de lance de la diffusion de la bande dessinée japonaise en France. Après avoir longtemps vécu à Kyôto, il a finalement décidé de s’installer à Shiga où il continue à traduire des œuvres qui sont souvent des coups de cœur.
Depuis combien de temps vivez-vous au Japon ?
Jacques Lalloz : Je suis arrivé en octobre 1972, envoyé par les Langues’O pour enseigner un an à l’Institut franco-japonais tout en étudiant la littérature prolétarienne à l’université de Kyôto (Kyôdai). A part me faire mettre en boîte par les étudiants de gauche qui abhorraient l’écrivain Nakano Shigeharu pour sa proximité avec le Parti communiste, je n’ai rien fait. Mais j’ai rencontré les mangas ! Au bout d’un an, on a reconduit mon contrat. Du coup, je suis resté six ans à temps plein et un poste de lecteur a été créé à Kyôdai. Parallèlement, j’avais deux classes de thème basées sur les mangas que j’aimais. C’est ainsi que j’ai lu et traduit Nagashima Shinji et Tezuka Osamu.
Après avoir vécu à Kyôto, vous avez déménagé à Shiga. Quelles ont été vos motivations ?
J. L. : J’ai beaucoup aimé Kyôto, y ayant vécu toutes ces années dans un quartier agréable et proche à la fois de l’université et au pied des montagnes menant au Hieizan. Je faisais beaucoup de vélo et moulte balades en montagne. Puis, j’ai déménagé à Yamashina, mais l’atmosphère y était polluée. Avec mon épouse, nous avions l’intention de quitter la ville une fois que je serais en retraite et notre choix s’est porté tout naturellement sur Shiga, accessible par le train notamment et plein de verdure. Nous avons dégoté un espace de rizières abandonnées où un constructeur voulait construire des lotissements mais il a fait faillite et nous avons pu acquérir l’endroit à bon marché. La maison vient du nord de Kyôto, à Miyama, où elle avait été démontée et conservée en entrepôt. Nous l’avons fait transporter jusqu’à Takashima et remonter tout en réduisant ses dimensions. Je voulais aussi trouver un air plus pur et retrouver la campagne que j’avais connue étant enfant, étant originaire de Luxeuil, en Haute-Saône.
Qu’appréciez-vous le plus dans le fait d’y vivre ?
J. L. : Le vaste ciel puisque devant la maison il n’y a que des rizières qui vont jusqu’à la ville puis reprennent jusqu’aux alentours du lac. Je peux faire du vélo sans souffrir, promener les chiens en les laissant en liberté. Côté culture, il y a peu d’événements, mais la région est riche en temples, en tumulus.
Est-ce que le déménagement a eu une influence sur votre travail ?
J. L. : Mon travail de traduction ? Je dirai que le retraité que je suis devrait travailler davantage mais je me disperse, et puis… j’ai une sorte de maladie du sommeil ! Cette impression d’avoir sommeil est très désagréable et m’empêche de conserver mon rythme d’antan. Mais bon, après tout, je viens d’avoir 79 ans, j’ai traduit des centaines de mangas et près de 30 romans. Je crois avoir eu une carrière bien remplie. Et surtout, j’ai mauvaise conscience, car en continuant à traduire, je prive les jeunes de boulot.
Votre dernière traduction publiée en France est un roman d’Inoue Hisashi. Qu’appréciez-vous chez cet auteur ? L’univers décrit par cet auteur fait-il écho à celui dans lequel vous vivez ?
J. L. : Inoue a été un des premiers auteurs qui m’ont intéressé, et le premier que j’ai essayé de traduire. Malheureusement, la réponse de l’éditeur m’a refroidi… Et puis les hasards de l’édition m’ont donné à traduire Les 7 roses de Tôkyô (voir Zoom Japon n°10, mai 2011), un récit qui se déroule pendant la guerre. Quant à La Bedondaine des tanukis (éditions Zulma, 2024, 25,90 €), je l’avais sous le coude depuis des années et je m’étais juré de le traduire. Un jour que je bricolais dessus, l’idée du titre m’est venue et alors je l’ai traduit à toute vitesse. Je crois que ça m’a pris au mieux 5 mois. Inoue était un gars passionnant à écouter, tout aussi prolixe que devant ses feuilles de manuscrit. Des idées que j’appréciais sur l’éducation, sur la politique, l’environnement. Quant à mon environnement… pas de tanukis, et c’est bien dommage ! Par contre, les premiers temps, nous étions envahis régulièrement par une horde de macaques. J’en ai compté une fois 51 ! Mais depuis que mon fils est venu s’installer avec ses deux chiens, ils ne s’approchent plus et je le regrette. La première année, il m’est aussi arrivé de voir de ma fenêtre une laie et ses trois petits ou des biches.
Shiga n’abrite pas de centrales nucléaires, mais la préfecture voisine de Fukui dispose de plusieurs réacteurs. Est-ce un sujet de préoccupation pour vous ?
J. L. : Nous vivons dans un rayon de 30 km des multiples réacteurs de Fukui, c’est vrai. On construit une route dont le but avoué est de faciliter la fuite des gens en cas d’accident, c’est dire. Par contre, rien n’a été entrepris concernant la traversée du lac vers Nagahama ou Hikone… C’est un sujet qui me préoccupe. Le nucléaire est une menace et quand j’ai eu lu le livre d’Ikezawa Natsuki, Atomic Box (à paraître à l’automne aux Editions d’Est en Ouest), un genre de thriller dystopique, j’ai compris que je devais le traduire.
Propos Recueillis par Gabriel Bernard