
Dès la couverture, comme une ancienne photographie, la jeune Otama nous regarde, adossée à une balustrade, face à la Méditerranée, au milieu de grandes personnes coiffées de rubans et de chapeaux melon. Sourire timide, elle nous invite à découvrir son histoire, son amour et sa peinture. Dans un tome unique, entre le roman graphique et le manga, Otama se souvient. Au rythme de ses souvenirs, elle nous narre sa romance idyllique, idéalisée, qui lui fit connaître le nom des fleurs européennes, la vie mondaine italienne mais également le regard de l’immigrée et son sentiment d’abandon.
Ce fut comme si mon pays s’était matérialisé devant moi. À plus de 70 ans, il était plus agréable de savourer ma joie que d’attiser la colère qui couvait depuis si longtemps et qui était doublée d’une grande solitude.
Une véranda en bois, un jardin d’automne et des chrysanthèmes. Là, une jeune fille, kimono et cheveux noués, s’applique pinceau à la main. Ici, la première rencontre. L’homme qui l’aborde, Vincenzo Ragusa, est plus âgé, étranger, sculpteur, professeur, et de toute évidence, charmé. Très vite, Otama devient son modèle, son élève puis son épouse. Amoureuse mais surtout talentueuse, elle quitte le Japon pour suivre l’artiste sicilien dans son pays natal pour l’aider à y ouvrir la première école d’arts appliqués japonais. La narration nous emmène alors cinquante ans plus tard, dans le Japon de l’hiver 1936, où Otama, devenue veuve Eleonora Ragusa, est de retour. Artiste acclamée et figure militante malgré elle, elle y installera ses toiles et fera alors la rencontre d’Atsushi, un fils d’artisan, qui osera rêver à ses côtés alors que le froid souffle dans les rues de Tôkyô.
Si tu apprécies l’art, ne lui tourne pas le dos. L’art peut changer ta vie.
Avec délicatesse, Keiko Ichiguchi nous livre ici un récit à la fois intime et historique. L’art s’y dresse en étendard, en pont entre les générations, entre les classes sociales, entre les pays. Dans un monde qui change, qui lutte, qui tend à oublier, la vieille Otama s’accroche aux traits pour transmettre l’espoir, l’amour et la mémoire. La vie d’Otama nous permet de parcourir un pan de l’Histoire auprès des grandes oubliées de ses récits, les femmes. De celles qui s’émancipent par amour à celles qui se battent pour leurs droits, leur voix mérite d’être ainsi honorée. Bon voyage !
La vie d’Otama, de Keiko ICHIGUCHI et Andrea ACCARDI, Éditions KANA, 2024, 136p, 15,95 €
Fiona DANGLETERRE pour Zoom JAPON