Son objectif est de rendre les gens heureux. Mission accomplie pour Koyama Kundô grâce à sa mascotte.
Koyama Kundô est un scénariste qui ne manque pas d’autres talents. On lui doit de nombreuses émissions à succès et le scénario de Departures, film qui a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger en 2009. Plus récemment, il a joué un rôle clé dans le succès de Kumamon, l’une des mascottes les plus populaires du moment dans l’archipel. Il nous a reçus pour évoquer ce personnage qui représente la préfecture de Kumamoto sur l’île de Kyûshû.
Pensez-vous avoir quelque chose en commun avec Kumamon ?
Koyama Kundô : Les gens disent souvent que je lui ressemble. Nous avons la même tête. (rires) Je pense aussi que nous voulons rendre les gens heureux.
Pouvez-vous nous raconter les circonstances de sa naissance ?
K. K. : Avant d’aborder Kumamon, je voudrais évoquer le projet qui a mené à sa création. Il est né en 2010 comme élément de la campagne de lancement du train à grande vitesse sur l’île de Kyûshû. Il y avait beaucoup d’appréhension à cette époque. Les gens se demandaient si la préfecture ne serait qu’un point de passage où personne ne s’arrêterait pour se rendre à Kagoshima, au sud de l’île. Certains s’inquiétaient de voir le shinkansen servir aux jeunes pour quitter la région. C’est dans ce contexte qu’on m’a demandé de m’occuper de la campagne de communication de la préfecture. J’ai décidé d’organiser un grand festival.
Qu’avez-vous fait ?
K. K. : Je pensais que cela ne suffirait pas de montrer aux gens de l’extérieur ce que notre préfecture avait à proposer. J’étais persuadé que les habitants de Kumamoto devaient aussi être conscients des charmes de notre région. Au lieu de prendre les choses pour acquises, je pensais que chacun devait regarder les différents lieux avec des yeux différents pour être capable de comprendre quels seraient les endroits susceptibles de plaire le plus aux touristes. Le tourisme est souvent utilisé comme une baguette magique pour revitaliser une région. Mais nous devons faire attention à ne pas gaspiller l’argent dans des projets mal ficelés. Sinon le succès sera de très courte durée. Ce que nous voulions, c’était créer quelque chose de durable, y compris après la fin de la campagne elle-même.
Vous avez donc trouvé le slogan “Kumamoto surprise !”.
K. K. : Vous devez d’abord vous surprendre vous-même avant d’être en mesure de convaincre les autres que votre idée est bonne. Chaque citoyen peut devenir l’ambassadeur de sa région. Le slogan est fondé sur une expérience personnelle. Un jour où je me trouvais à Kumamoto, j’ai pris un taxi. Le chauffeur – une femme d’une cinquantaine d’années – a démarré en oubliant de mettre le compteur. Je lui ai fait remarquer et elle m’a répondu qu’il y avait un feu juste devant nous, que nous devions nous arrêter et qu’elle lancerait le compteur après. C’est ce genre de surprise qui transforme un simple trajet en quelque chose de mémorable. C’est le genre d’atout que nous devons mettre en valeur pour rendre les gens heureux. J’ai appris par la suite que c’était une pratique répandue à Kumamoto. A Tôkyô, c’est quelque chose d’impensable. C’est exactement ce que les gens du cru avaient à faire. Regarder ce qui est évident pour eux, mais qui ne l’est pas pour les visiteurs des autres préfectures.
A quel moment Kumamon a-t-il fait son apparition ?
K. K. : Disons que Kumamon est une autre surprise. Initialement ce n’était pas prévu. Mizuno Manabu, notre directeur artistique de Good Design Company, avait créé un logo pour la campagne et en a fait une mascotte comme une sorte de bonus. Un jour, il nous a montré cet ours noir au visage rond avec ce regard d’éternel étonné. Ce fut le coup de foudre chez les responsables de la préfecture. Au début, nous n’avions pas envisagé de créer un costume, mais les autorités locales ont exprimé l’envie d’en avoir. Nous avons suivi leur requête. A ce moment-là, il s’est passé quelque chose d’étonnant. Ce qui n’était au départ que le projet du département en charge du shinkansen a fait l’objet d’une demande générale de tous les départements. Ce niveau de collaboration entre différents départements est extrêmement rare au Japon quand des administrations publiques sont concernées. Mais même à ce niveau, Kumamoto est spéciale.
Comment Kumamon est-il devenu si populaire ?
K. K. : Tout d’abord, les responsables de la promotion de la préfecture ont convaincu les écoles maternelles d’accepter la présence de Kumamon. Ils l’ont ensuite envoyé à Ôsaka pour tester le marché. Sa popularité a gagné du terrain, peu à peu, dans la région du Kansai notamment grâce à Twitter et aux blogs. D’autres initiatives ont été lancées jusqu’au moment où les grands médias se sont emparés du phénomène. Entre-temps, les autorités ont délivré des licences gratuites pour que l’image de Kumamon soit utilisée sur leurs produits, contribuant ainsi à promouvoir la région.
D’après vous, pourquoi Kumamon est-il devenu si populaire ?
K. K. : Kumamon est évidemment une mascotte très mignonne et son apparence est un élément essentiel de sa popularité. En outre, beaucoup de gens aiment sa façon de marcher, sa maladresse. Un autre point important, c’est sa capacité à apprécier la situation qui l’entoure et son désir de rendre les gens heureux. C’est quelque chose au cœur de la culture japonaise. Cela fait partie de notre ADN. C’est à l’origine de notre sens de l’hospitalité. Mais c’est une qualité que l’on ne trouve pas toujours chez les autres mascottes.
Votre campagne de marketing n’est pas non plus étrangère à son succès.
K. K. : Bien sûr. Comme nous voulions le tester à Ôsaka, une ville connue pour son sens de l’humour, nous avions décidé de donner à Kumamon un côté amusant. Si notre cible avait été Tôkyô, nous lui aurions donné un côté plus stylé. Heureusement, les gens d’Ôsaka l’ont tellement apprécié que sa notoriété a gagné, petit à petit, le reste du pays. Par ailleurs, tous les industriels qui s’inscrivaient pouvaient utiliser Kumamon sur leurs produits. De cette façon, Kumamon est partout présent, sur des paquets de pâtes au porte-clés en passant par les avions et les sacs à main.
Les résultats prouvent que vous aviez raison. Selon la Banque du Japon, il a généré en deux ans un chiffre d’affaires de 880 millions d’euros pour la région.
K. K. : Des chiffres surprenants. Je n’avais jamais pensé qu’il générerait autant d’argent.
Pourquoi les mascottes sont-elles si populaires au Japon ? On a du mal à imaginer un tel phénomène en Occident.
K. K. : La longue tradition du manga et de l’animation au Japon est un terrain fertile pour le phénomène des mascottes. Par ailleurs, comme chacune d’elle est liée à un terroir, si on s’attache à l’une d’elles, cela revient à supporter votre équipe de sport locale. Au-delà de ces considérations, je pense aussi que les mascottes remplissent le vide laissé par la politique. Par le passé, les hommes politiques tissaient des liens très forts avec leur circonscription locale, mais au cours des dernières années, ils ont perdu cette relation. Je pense que les gens les ont remplacés par les mascottes.
Quatre ans après la naissance de Kumamon, est-ce que votre stratégie a évolué concernant son image publique ?
K. K. : Au début, nous cherchions des moyens pour attirer l’attention des gens du reste du pays. Ces derniers temps, nous nous sommes recentrés davantage sur Kumamoto. Nous voulons en particulier trouver des façons de stimuler le bonheur des gens et leur sens du bien-être. Nous avons donc créé un département du Bonheur et tout le monde est invité à contacter Kumamon via Twitter ou Facebook pour que les gens lui racontent leurs moments heureux les plus récents.
Quelle est la “touche magique de Koyama” dont tout le monde parle quand il s’agit de vous ?
K. K. : Je suppose que j’ai le talent pour redonner vie à des choses que d’autres considèrent trop souvent comme acquises. Je suis aussi bon pour faire travailler les autres. (rires) Je veux dire que sur chaque nouveau projet, je suis en mesure d’apporter l’étincelle qui va allumer le feu. Une fois que les gens ont accepté mes idées, je n’ai plus qu’à m’asseoir et les laisser travailler. (rires)
Quel est votre message avec Kumamon ?
K. K. : Kumamon est un véritable yuru kyara (personnage bancal) tant il est maladroit. Grâce à ça, les gens peuvent comprendre qu’il n’est pas indispensable d’être parfait pour être heureux.
Propos recueillis par Jean Derome