Depuis qu’il a créé Domo l’un des personnages vedettes de la NHK, l’animateur enchaîne les succès.
U n nain japonais est en train de conquérir l’Occident, pays après pays, grâce à une variété de monstres et d’animaux tous plus mignons les uns que les autres. Le nain en question est le studio d’animation de Gôda Tsuneo. Depuis la fin des années 1990, il a créé de nombreux personnages populaires dont la notoriété a dépassé les frontières de l’archipel, atteignant l’Europe et l’Amérique. Zoom Japon est allé à la rencontre de Gôda Tsuneo, de son chef animateur Minegishi Hiro et de sa productrice Matsumoto Noriko dans les studios Dwarf situés dans la banlieue ouest de la capitale japonaise.
Vous êtes surtout connu pour Domo-kun, une créature aux yeux perçants qui montre toujours ses crocs. Mais il s’agit en définitive d’un monstre maladroit et généreux. Comment est-il né ?
Gôda Tsuneo : En 1998, quand je travaillais au sein du département création de TYO Productions Inc., la chaîne publique NHK était en quête de mascottes pour célébrer le dixième anniversaire du lancement de ses chaînes satellites. Jusqu’à cette époque, je n’avais jamais vraiment réfléchi à ce genre de chose, mais à l’issue d’une réunion nous avons décidé de proposer quelque chose. Je me souviens d’avoir passé une nuit blanche à réfléchir pour trouver une idée. Je ne cessais de dessiner des formes géométriques jusqu’au moment où j’ai tracé un rectangle. Domo-kun s’est ainsi matérialisé sous mes yeux. J’étais là, à trois heures du matin, à regarder cette chose. Puis petit à petit, j’ai imaginé une histoire. La première vision que j’ai eue était ce monstre dans une grotte plongée en train de regarder un écran de télévision.
Mais la NHK cherchait trois mascottes, n’est-ce pas ?
G. T. : En effet. La NHK disposait de trois chaînes satellites — BS1, BS2 et High Vision. Quant à moi, je me retrouvais avec cette drôle de créature (rires) et un lapin que j’avais conçu en même temps. J’avais besoin d’un troisième personnage. Comme l’histoire se déroulait dans une grotte, il était naturel d’ajouter une chauve-souris. Comme vous pouvez le constater, une histoire peut surgir de simples gribouillis. Quant à savoir pourquoi la NHK a choisi Domo-kun, je n’en sais fichtrement rien. (rires)
D’où vient son nom ?
G. T. : J’étais en train de me creuser la tête pour trouver un nom adéquat quand j’ai entendu un de mes voisins en train de parler au téléphone. Il ne cessait de répéter comme nous le faisons souvent “dômo, dômo, dômo, dômo” qui peut très bien vouloir dire “merci, ok, oui”. Et je me suis dit “ok, dômo”. (rires)
Depuis la création de Domo-kun, vous semblez avoir pris votre envol dans l’univers de l’animation.
G. T. : C’est vrai. J’ai commencé à utiliser de plus en plus souvent ces personnages. J’ai ensuite quitté la maison de production pour me consacrer à l’écriture de livres pour enfants et superviser la production de produits dérivés. Finalement, en 2003, j’ai créé les studios Dwarf.
Vous étiez seul au début ?
G. T. : Oui. J’ai loué un studio mais j’ai très vite compris que je ne pourrais pas tout faire seul. J’ai alors commencé à appeler des personnes avec lesquelles j’avais travaillé sur Domo-kun depuis 1998. C’est le cas du chef animateur Minegishi Hiro et de la productrice Matsumoto Noriko qui ont rejoint officiellement Dwarf en 2006.
A la différence de Gôda-san, vous avez étudié l’animation et travaillé dans le secteur depuis le milieu des années 1970. Celui-ci a beaucoup évolué.
Minegishi Hiro : Oui, en particulier le passage de la pellicule au numérique. Par ailleurs, à mes débuts, nous ne disposions pas de moniteur pour contrôler ce que nous faisions. Nous avions moins de possibilités de contrôler le processus. Désormais, nous faisons tout par ordinateur. Nous pouvons déjà travailler sur la prochaine image tout en contrôlant la précédente, ce qui nous permet de déplacer nos personnages au millimètre.
Comment trouvez-vous les histoires de Domo-kun ? Qu’est-ce qui vous inspire ?
G. T. : Comme Domo est un enfant, c’est un rêveur pour qui tout est nouveau et intéressant. Il me rappelle ma jeunesse quand j’ai exploré le monde autour de moi. Pour trouver des histoires, je n’ai qu’à me replonger dans mes souvenirs d’enfance.
Pouvez-vous me donner un exemple ?
G. T. : Par exemple, j’ai un frère aîné. Quand il était malade, mes parents prenaient forcément un peu plus soin de lui. Ça me rendait jaloux et je faisais semblant d’être malade aussi. J’ai fait jouer cette scène à Domo-ku et son compère Tâchan.
Domo-kun connaît un certain succès à l’étranger. Pourtant, il a un côté très japonais.
M. H. : C’est vrai que ses gestes ne sont jamais exagérés et qu’il s’emporte rarement. Comme beaucoup de Japonais, ses intentions ne sont jamais vraiment claires et sont sujettes à diverses interprétations. C’est au spectateur de remplir les cases, si je peux dire. C’est, en effet, très japonais.
Domo-kun est né un peu par hasard. Qu’en est-il de vos créations ultérieures ?
G. T. : C’est toujours un peu la même chose avec nous. (rires) L’un de nos personnages les plus populaires s’appelle Komaneko que nous avons créé pour le Musée de la photographie de la ville de Tôkyô. C’était une chance pour nous de braquer les projecteurs sur notre studio. Nous avons donc créé cette petite chatte prénommée Komaneko parce que c’est un chat (neko en japonais) dont l’histoire est racontée image (koma) après image. Cinema Rise à Shibuya l’a tellement apprécié qu’il nous a demandé de produire plusieurs courts-métrages qu’il projetait entre les séances. Puis, nous avons reçu des demandes pour des histoires plus longues et ainsi de suite. Nous avons suivi le mouvement.
Pensez-vous que Domo et Komaneko attirent des publics différents ?
G. T. : Je ne sais pas pour l’Europe, mais aux Etats-Unis, on traite Domo comme un ami. Il semble être populaire auprès d’un très large public. Au Japon, il s’adresse plutôt aux enfants. Ces derniers le considèrent comme un ami et les adultes le voient comme un gosse bizarre mais mignon. En tant que personnage, il est plutôt simple et il n’est capable que de dire “Dômo”. Cela laisse pas mal de place aux interprétations les plus diverses. C’est une des choses que je préfère chez lui. J’aime aussi le fait qu’il a des besoins extrêmement simples. Il veut simplement être heureux.
Matsumoto Noriko : Ce que nous avons noté, c’est le succès de Domo-kun aux États-Unis alors que Komaneko est plus populaire en France. Bien qu’ils aient été imaginés par les mêmes équipes, ils ont été reçus différemment à l’étranger sans que nous sachions vraiment pourquoi.
Votre dernier grand projet a été “By your side”. De quoi s’agit-il ?
G. T. : Juste après le tsunami du 11 mars 2011, le réalisateur Gregory Rood a lancé Zapuni dans le but de réunir des artistes japonais et étrangers pour qu’ils produisent des films pour les enfants frappés par la catastrophe. J’y ai participé en m’appuyant sur la chanson By your side de Sade. Les paroles “I’ll be there / Hold you tight to me” m’ont servi de point de départ. Je pensais à tous ces gens qui avaient tout perdu. Je ne pouvais pas l’ignorer et je voulais aider les enfants qui avaient tant de défis à relever.
Propos recueillis par Jean Derome