En annonçant son retrait de la coalition qu’il formait avec le Parti libéral-démocrate, le Kômeitô ajoute aux incertitudes déjà grandes dans le pays.

Alors que les Français se demandent quelle nouvelle coalition permettra de sortir le pays de la crise politique dans laquelle la France est plongée depuis plusieurs mois, les Japonais ont appris, le 10 octobre, que l’alliance entre le Parti libéral-démocrate (PLD) et le Kômeitô, la formation bouddhiste, qui leur a permis de gouverner le pays depuis octobre 1999, à l’exception des trois années de domination du Parti démocrate entre 2009 et 2012, appartenait désormais au passé. Malgré leurs divergences sur certains sujets sensibles comme la défense, les deux partis ont réussi à les surmonter en trouvant des terrains d’entente. Grâce à ces compromis, ils ont réussi à tenir les rênes du pouvoir pendant plus de deux décennies. Mais les défaites électorales successives à la Chambre basse il y a un an et à la Chambre haute fin juillet ont eu raison de leur association dans la mesure où leur coalition gouvernementale est devenue minoritaire. Le retrait du Kômeitô crée une situation difficile pour le PLD qui pourrait compromettre l’élection de Takaichi Sanae à la fonction de Premier ministre. Elue par les membres du parti le 4 octobre pour le diriger, elle doit en principe prendre la direction du gouvernement au terme d’un vote du Parlement réuni en session plénière.
Le départ du Kômeitô change quelque peu la donne dans la mesure où la formation bouddhiste ne semble pas disposer à soutenir Mme Takaichi. Au terme de sa rencontre avec la présidente du PLD, Saitô Tetsuo, qui dirige le Kômeitô, a déclaré que « si les réformes sont irréalisables, je ne pourrai pas voter pour Takaichi Sanae comme Premier ministre. Je voterai pour Saitô Tetsuo, président du Kômeitô. » Autant dire que son attitude met la pression sur le PLD car il modifie potentiellement les rapports de force. Si l’on examine le nombre de sièges à la Chambre basse, le PLD en compte 196. Même en ajoutant les 24 sièges du Kômeitô, il lui manque 13 sièges pour atteindre la majorité (233) et voir Mme Takaichi élue dès le premier tour, mais si le Kômeitô décidait de ne pas la soutenir, il lui en manquerait 37. Cela pourrait faire les affaires de l’opposition, notamment du Parti démocrate constitutionnel (PDC) qui, avec 148 sièges, en trouvant un terrain d’entente avec les autres formations d’opposition comme le Nihon Ishin no kai (35 sièges) et le Parti démocrate populaire (27 sièges), pourrait lui damer le pion.
Sans être aussi compliquée qu’en France, la situation politique nippone devient moins prévisible même si Saitô Tetsuo a indiqué que le Kômeitô n’entendait pas « s’opposer systématiquement à tout ». En effet, quelle que soit l’issue du vote pour l’élection du prochain Premier ministre, le parti bouddhiste aura une position d’arbitre dans un Parlement sans majorité absolue. Cela pourrait avoir des conséquences importantes sur la gestion du pays, sachant que, tout au long des 26 ans de leur alliance, le soutien du Kômeitô a été déterminant, y compris lorsque le PLD disposait d’une majorité confortable. Alors que le climat politique n’a cessé de se détériorer avec une inclinaison de plus en plus à droite de la part du PLD, le Kômeitô, présenté souvent comme le « parti de la paix », a permis d’éviter que le Japon adopte des positions trop radicales face à la Chine par exemple. Les deux partis se sont partagé les responsabilités de la gestion du gouvernement dans de nombreux domaines, allant de l’élaboration des lois à l’exécution du budget, en passant par la diplomatie et les élections. Takaichi Sanae a réagi à la décision du Kômeitô de quitter la coalition en la jugeant « extrêmement regrettable ». Elle a sans doute conscience que sa position est désormais plus fragile. Considérée comme la « Trump japonaise », elle a néanmoins infléchi, depuis son accession à la tête du PLD, certaines de ses positions, cherchant à donner une image plus conciliante.
Pour les Japonais, cette nouvelle donne pourrait signifier l’entrée dans une période d’instabilité politique, ce à quoi ils sont moins habitués que les Français. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et surtout depuis 1955, à l’exception de très courtes périodes, le PLD a dirigé le pays, assurant une impressionnante continuité politique. La fin de l’entente avec le Kômeitô crée une situation nouvelle et peu propice à redonner le moral aux Japonais. A la fin de l’année dernière, lorsqu’on les avait interrogés sur les perspectives de 2025 dans le cadre d’une enquête à l’échelle mondiale, ils étaient de loin « les plus pessimistes » du monde juste derrière les Français ! Il est fort probable que le sondage à venir donnera un résultat similaire.