Fidèle à sa démarche de promotion du patrimoine cinématographique, Carlotta ressort trois chefs-d’œuvre d’Ozu Yasujirô.
Nous n’allons pas bouder notre plaisir de retrouver sur grand écran trois longs métrages du maître d’Ôfuna dont le plus célèbre d’entre eux Voyage à Tôkyô (Tôkyô monogatari, 1953). Considéré comme l’un des dix plus grands films de tous les temps, il met en scène un vieux couple (Higashiyama Chieko et Ryû Chishû) qui se rend dans la capitale à la rencontre de ses enfants. Surmenés et préoccupés par leurs seuls problèmes, ils ne réservent pas l’accueil que les deux parents escomptaient. L’indifférence dont les enfants font preuve les touche au plus profond. Seule leur belle-fille interprétée par Hara Setsuko, la pièce rapportée qui a perdu son mari à la guerre, exprime de l’attention à leur égard. C’est elle qui restera avec eux à leur retour chez eux lorsque la mère mourra. “Un de mes films les plus mélodramatiques”, dira Ozu dans un entretien accordé, en 1958, au magazine de cinéma Kinema Junpô, même s’il est exempt de tout effet sentimental. Dans Voyage à Tôkyô, on retrouve évidemment le thème des rapports familiaux si cher au metteur en scène. Il y montre comment le système familial japonais commence à se désintégrer sur fond de reconstruction du pays. Sorti un an après la fin de l’occupation de l’archipel par les Américains, on peut voir dans ce film les changements économiques et sociaux qui permettront quelques années plus tard au Japon de rejoindre le club des pays les plus industrialisés. Mais la réussite a un prix, celui de la déliquescence de la famille. La simplicité des dialogues combinée à l’art du cinéaste qui capte les regards et les attitudes des uns et des autres expliquent pourquoi il a su conquérir le public du monde entier.
Carlotta, distributeur dont on connaît l’attachement à défendre le patrimoine cinématographique mondial, nous offre la possibilité de revoir Voyage à Tôkyô en version restaurée le 3 juillet. Trois semaines avant, le 19 juin, il nous aura permis de découvrir le premier film parlant d’Ozu Yasujirô : Un fils unique (Hitori musuko, 1936). “Bien que je comprenne parfaitement que tout est différent dans un film parlant, le film avait le style du muet”, a expliqué le metteur en scène pour rappeler combien il avait eu du mal à abandonner le muet. Dans ce long métrage également, il raconte le voyage à Tôkyô d’une mère, Otsune (Iida Chôko), qui a tout sacrifié pour que son fils, Ryôsuke (Himori Shin’ichi), puisse faire des études et s’installer dans la capitale. Mais elle ne peut qu’exprimer une certaine déception en découvrant que son fils ne vit pas au cœur de Tôkyô, mais dans sa périphérie. Le taxi qu’elle emprunte à la gare de Tôkyô traverse la Sumida et se rend à Sunamachi (voir pp. 7-9) qui est alors une sorte de friche industrielle. Ryû Chishû exprimera une même déception dans Voyage à Tôkyô, concernant la situation de son fils, certes médecin, mais qui exerce loin du centre de la capitale. Diffusé pour la première fois à la Maison de la culture du Japon à Paris dans le cadre de Ozu x 36 = L’intégrale en 2007, Un fils unique reste inédit en salles et mérite que l’on fasse le déplacement pour y découvrir une étude sensible du rapport mère-fils. Le 3 juillet, en même temps que Voyage à Tôkyô, Carlotta proposera également la version restaurée haute définition de Le Goût du sake (Sanma no aji, 1962), le dernier film tourné par Ozu. Filmé en couleurs, ce long métrage explore une nouvelle fois l’évolution des mœurs dans un Japon qui a totalement changé depuis le périple de Higashiyama Chieko et Ryû Chishû en 1953.
Odaira Namihei