A quelques semaines de la sortie en France de Shokuzai, le réalisateur revient sur son parcours et le tournage de ce film très prenant. Kurosawa Kiyoshi est l'un des réalisateurs japonais les plus appréciés à l'étranger. Bien que ses films soient fortement liés à des conventions de genre, ils défient souvent l'interprétation facile. Il a ainsi fait de ses films d'horreur et de suspense des réflexions philosophiques sur la position de l'homme dans le monde. Ses récits elliptiques, parfois obscurs s'attaquent à des questions existentielles et à des problèmes sociaux comme la solitude à l'ère électronique, la crise de la famille, l'environnement et la mauvaise communication entre les individus. Lorsque vous êtes entré à l'Université Rikkyô, vous avez étudié avec le célèbre critique de cinéma Hasumi Shigehiko. A cette époque, aviez-vous déjà décidé de devenir cinéaste ? Kurosawa Kiyoshi : Non, pas vraiment. Je n'avais aucune idée claire de ce que je voulais faire. Il est vrai qu'à l'époque, j'étais déjà un grand cinéphile. Quand je vivais à Kôbe, ma ville natale, j'avais pris l'habitude d'aller au cinéma presque tous les jours. Après mon déménagement à Tôkyô pour mes études, j'ai fait appel à mes nouveaux amis pour tourner des films en 8mm. Mais je considérais cela plus comme un passe-temps qu'autre chose. Comme beaucoup de réalisateurs japonais, vous avez commencé votre carrière cinématographique avec des films pour adultes, ce qu'on appelait des pink eiga (films roses). K. K. : En effet. C'était très courant à l'époque. Dans les années 1970 et 1980, les films pour adultes n'étaient pas enfermés dans des ghettos de la même manière qu'ils l'ont été au cours des années ultérieures. L'un des principaux producteurs de ce genre était la Nikkatsu, l'un des plus grands studios japonais. Ils étaient aussi salués par la critique et apparaissaient régulièrement dans le classement des meilleurs films établi par le très respecté magazine Kinema Junpô. En Europe, chaque fois que je dis que mon premier travail commercial a été la réalisation d'un film rose, tout le monde est surpris par ce qu'il considère cela comme une confession courageuse. Mais pour moi, il n'y a rien de bizarre à cela. Quels souvenirs gardez-vous de ces années ? K. K. : Ce fut une très bonne école pour moi. Ce que les gens ne comprennent pas à propos des films pour adultes des années 1980, c'est qu'il ne s'agissait pas seulement de longs métrages consacrés au sexe. En fait, vous aviez à créer une véritable intrigue avec des personnages crédibles. Dans un sens, même si les scènes de sexe étaient importantes, ces films étaient, plus que toute autre chose, des histoires d'amour. Pour un jeune metteur en scène comme moi, disposant de peu d'expérience dans la vie, il n'était pas évident de fouiller dans le cœur humain et de développer ce genre d'histoires. Pourquoi tant de réalisateurs japonais ont commencé avec des films érotiques ? K. K. : Je crois qu'il faut considérer votre question du point de vue des sociétés de production. Celles-ci voulaient produire des films bon marché, de sorte qu'elles ne pouvaient pas payer beaucoup. Quand j'ai commencé, les sommes versées au metteur en scène étaient incroyablement basses. Les seules personnes en mesure d'accepter ces conditions étaient des jeunes inexpérimentés qui reconnaissaient la chance qu'on leur donnait de faire un film. Puisque nous parlons d'argent, il semble que le budget de vos films a sensiblement augmenté au fil des années à partir du moment où vous êtes passé du film rose et de la vidéo à un cinéma plus grand public. K. K. : Eh bien, pas vraiment. Bien sûr, par rapport aux films pour adultes, mes œuvres ultérieures ont bénéficié d'un budget plus important, mais en général mes films appartiennent à la catégorie dite “du milieu”. Pour être plus précis, dans le passé, le coût moyen de mes films était d'environ 100 millions de yens. Lorsque je réalisais des films de yakuza en vidéo, ils étaient encore moins cher. Ça tournait autour de 50 millions. Mais j'ai entendu dire qu'aujourd'hui on ne vous donnerait seulement 30 millions voire moins. Combien a coûté Tokyo Sonata ? K. K. : Environ 200 millions de yens. Certains peuvent penser que cela représente un bon paquet d'argent pour un simple drame familial sans effets spéciaux, mais en définitive ce n'est pas grand-chose. Mon dernier film, Real [qui sort le 1er juin au Japon], coûte plus cher. Je n'en suis pas tout à fait sûr, j'ai entendu la somme de 350 millions de yens. Pour être honnête, je ne sais vraiment pas où va tout cet argent. Le calendrier de tournage est resté à peu près le même tout au long des années. Un film comme Cure qui avait coûté dans les 100 millions de yens, a été tourné en environ quatre semaines, tandis que Real a pris cinq semaines. Vous tournez en général vos films dans Tôkyô ou autour de la capitale. Qu'est-ce qui vous attire dans cette ville ? K. K. : Tout d'abord, je dois dire que je choisis souvent Tôkyô par nécessité, car mon budget est trop serré pour que j'aille tourner dans d'autres endroits. Mais l'argent mis à part, je trouve que Tôkyô est une ville très intéressante. Elle a une face cachée que les gens - même ceux qui y résident depuis longtemps - ont rarement l'occasion de voir. On peut probablement dire la même chose de n'importe quelle grande ville, mais à Tôkyô, j'ai souvent eu ce genre d'expérience. D'un côté, vous avez le côté attrayant que tout le monde connaît. Puis, un jour vous allez au-delà de la façade ou vous tournez au coin pour découvrir un monde que vous ne soupçonniez pas. Par ailleurs, Tôkyô est une ville où même les bâtiments relativement nouveaux disparaissent rapidement. Le visage de la ville change constamment. Ce que j'aime particulièrement, ce sont les lieux qui montrent des signes du passé, les vieux bâtiments un peu délabrés. Malheureusement, ça devient de plus en plus difficile de trouver de tels endroits à Tôkyô. Au début des années 1990, vous avez obtenu une bourse pour participer au Sundance Workshop aux Etats-Unis. Si vous en aviez la possibilité, aimeriez-vous faire un film aux Etats-Unis, même en tenant compte de toutes les différences qui existent entre les deux systèmes de production ? K. K. : Bien sûr. J'aime le cinéma américain depuis que je suis jeune. Il me serait difficile de refuser une telle offre....