Depuis quelques années, une nouvelle génération de pères participe davantage à l’éducation des enfants.
Kurumoto Kana a choisi de nommer sa petite fille Chihiro. Comme la petite fille du célèbre film d’animation signé Miyazaki Hayao. L’enfant aux cheveux d’ébène est endormie dans son berceau. Son grand-père maternel, Miyao, posté fièrement aux côtés de “sa première petite-fille”, remonte la couverture sous son menton d’un geste bienveillant. Kurumoto Kana a 33 ans et a donné naissance à Chihiro, le 14 mai 2012. Elle vit avec son enfant et son mari dans une petite résidence du quartier populaire d’Asakusa, au nord-est de la capitale. Dans l’appartement, les jouets pour enfants sont partout. L’atmosphère est douce et paisible. “Quand je suis tombée enceinte, c’était une grande surprise, reconnaît Kurumoto Kana. Ce n’était pas prévu dans l’immédiat, mais cela a été une heureuse nouvelle pour toute la famille.” La jeune femme était alors intérimaire dans une entreprise de design. Son mari, Hiroyuki, 39 ans, travaille dans une imprimerie de livres scolaires. Le couple est marié depuis trois ans. “L’été 2011 a été très difficile ici au Japon”, raconte Kurumoto Kana. Économies d’énergie obligent, de nombreux festivals d’été annulés, dont celui d’Asakusa, un des plus grands du pays et celui du quartier de Kurumoto Kana. “J’ai su que j’étais enceinte au mois de septembre et j’ai voulu oublier toute cette période difficile. J’ai voulu voir la vie avec optimisme, profiter, penser à un monde meilleur pour mon enfant.” Oublier un épisode du passé douloureux pour mieux vivre le présent. Et tourner la page.
Hiroyuki, l’époux de Kana, n’est pas là aujourd’hui. “Il travaille dur, il rentre souvent tard le soir”. Pourtant, il tient à prendre le temps et le soin de voir sa fille et de participer à son éducation. “Dès qu’il peut, mon mari rentre plus tôt du travail. Il trouve normal de m’aider à élever notre fille. Il veut aussi profiter d’elle et me soutenir dans le quotidien. Il lui donne son bain, il fait les courses et la cuisine, il l’emmène se promener. Il peut même changer les couches.” Hiroyuki n’est plus vraiment un cas isolé. Depuis quelques années, une nouvelle génération de papas, les ikumen, émergent au Japon. Celle des pères qui n’hésitent pas à rentrer plus tôt à la maison pour s’occuper des enfants. Depuis deux ans, le gouvernement japonais, sensible à cette tendance, encourage vivement cette initiative. Il existe même aujourd’hui le Projet ikumen qui valorise ces nouveaux pères de famille et propose des séminaires pour leur apprendre à mieux participer à la vie de la maison. Le rôle du papa japonais n’est donc plus seulement d’être un soutien financier, mais également celui d’être actif dans la cellule familiale et dans l’éducation des enfants. D’être présent. Iku dans ikumen est un dérivé du terme iku-ji qui signifie d’ailleurs éducation des enfants.
En repensant la famille japonaise de cette manière, une nouvelle place est accordée à la maman, “je vais pouvoir retourner travailler plus sereinement. Comme mon mari m’aide, cela va être plus simple que si je devais tout gérer toute seule.” Kana pourra réintégrer l’entreprise dans laquelle elle travaillait avant sa grossesse. “Mon ancienne société, une PME japonaise spécialisée dans le design, me propose de reprendre mon poste d’intérimaire. Du fait de mon statut précaire, je n’ai pas toujours les mêmes droits que les employés classiques. En revanche, mes horaires sont fixes. Cela me permettra toujours d’aller chercher ma fille à la crèche le soir.” Elle ne se pose pas de questions, compte tenu des horaires de son mari, elle “est obligée de choisir ce genre d’emploi à temps partiel. Mais cela ne me dérange pas plus que ça. Ma motivation pour aller travailler est essentiellement financière. Je n’ai pas vraiment de projet de carrière à long terme. Mais j’avoue que si je travaillais dans une entreprise qui, par exemple, était équipée d’une crèche ou d’une garderie comme je peux le voir parfois, je n’aurais peut-être pas le même discours concernant l’évolution de mes projets professionnels.”
Entre leurs deux salaires et les allocations de l’Etat (kodomo teate), Kurumoto Kana estime que “cela peut suffire pour élever un enfant au Japon. En revanche, les allocations ne sont pas suffisantes pour un parent qui élève seul son enfant et nos revenus ne nous permettraient pas d’en avoir un deuxième. Pour cette raison, nous n’imaginons pas, avec mon mari, avoir une famille nombreuse. Ni même avoir un second enfant. Ce serait vraiment trop difficile financièrement. Mais qui sait, avec le temps, nous changerons peut être d’avis.”
Johann Feuri