On n’a jamais fait le tour d’une langue vivante, surtout si l’on s’aventure sur le terrain des langues régionales.
Pas facile de dessiner les choses en mouvement, surtout lorsque ce mouvement emporte le dessinateur même qui ne parvient pas à poser son regard. Apprendre le japonais au Japon, c’est être de cette façon confronté à une masse en perpétuelle agitation qui vit sa langue. Le confort carcéral de la salle de classe n’est plus de mise, avec cet enseignement dont l’académisme impose par exemple de n’aborder que très rarement les particularités régionales du japonais. Changez de classe, de professeur ou même d’école, l’enseignement que vous recevrez sera toujours celui du japonais dit standard (hyôjungo) que l’on parle dans le Kantô, la région de Tôkyô. Au Japon, déplacez-vous, changez de ville, de région, vous verrez à quel point le pays peut compter de dialectes. Fiertés locales, richesse nationale, les langues régionales japonaises sont toujours une surprise pour le visiteur. De nombreuses provinces ont leur parler : Osaka, Kyôto, Nagoya, Fukui, Miyagi… Tous ces dialectes se distinguent du japonais standard principalement par des terminaisons et intonations particulières. Le mot hana (fleur), par exemple, se prononce à Tôkyô en montant sur la deuxième syllabe, alors qu’il faut descendre lorsque l’on est à Kyôto ou Osaka. (Cela se corse quand on sait que « nez » se prononce également hana, mais si l’oreille du néophyte ne suit pas, le contexte est toujours salutaire.)
La surprise, c’est aussi de s’apercevoir que les syllabes de fin de phrase, comme ne ou yo, dont on a pourtant mis un certain temps à intégrer le fonctionnement car sans véritable équivalent en français, ont toute une flopée de cousines dans de nombreuses provinces, comme à Nagoya où ga ya vient régulièrement agrémenter les conversations :
すごい風が吹いとるがや。
Sugoi kaze ga fuitoru ga ya.
Il y a un vent pas possible !
Ces « customisations » régionales du langage ne se limitent bien sûr pas aux fins de phrase, et cumulées dans une même réplique, elles rendent parfois le propos bien difficile à comprendre. Ainsi dans la campagne d’Okayama :
じゃけー言うたじゃろ。
Ja kê iuta jaro.
J’te l’avais bien dit.
Qui, en japonais standard, se dirait : だから言ったでしょう。(dakara itta deshô)
Si les Japonais sont généralement fiers de ce patrimoine linguistique, on constate toutefois que les nouvelles générations, par l’influence de médias toujours soucieux d’élargir leur audience, ne pratiquent souvent plus leur langue régionale qu’accessoirement, mêlant quelques particularités bien typiques aux tournures du japonais standard pour en faciliter la compréhension.
Pierre Ferragut
Pratique :
Le mot du mois
方言 (hôgen) dialecte, langue régionale
方言には、標準語にない美しいひびきがあります。
Hôgen ni wa, hyôjungo ni nai utsukushii hibiki ga arimasu.
Les langues régionales résonnent d’une beauté que n’a pas le japonais standard.