Avec Les Enfants loups, Ame et Yuki, Hosoda Mamoru marque un jalon dans l’histoire du cinéma d’animation.
Hosoda Mamoru est un virtuose. Le terme n’est pas trop fort, car il donne au dessin animé une nouvelle dimension. On l’avait salué avec La Traversée du temps (2006). On l’avait applaudi après Summer Wars (2009). On l’acclame aujourd’hui avec Les Enfants loups, Ame et Yuki. Cet artisan du cinéma d’animation n’a cessé de s’améliorer au fil des années, en proposant des œuvres originales qui donnent à réfléchir sur le monde qui nous entoure. Son dernier opus illustre à merveille son talent et sa sensibilité. Sorti au Japon le 21 juillet dernier, le film a su séduire plus de 2,5 millions de spectateurs en quatre semaines d’exploitation. Le roman adapté du scénario original de Hosoda Mamoru cartonne lui aussi en librairie puisqu’il occupe la première place des meilleures ventes avec plus de 272 000 exemplaires écoulés depuis sa publication fin juin. C’est surtout depuis l’exploitation en salles du film que les ventes de l’ouvrage ont littéralement explosé. Les spectateurs tombés sous le charme du long métrage se sont précipités dans les librairies pour revivre les aventures de cette famille pas tout à fait comme les autres, mais qui en définitive s’avère très proche des nôtres. Comme l’explique le réalisateur lui-même, c’est au spectateur de s’approprier son œuvre et d’y découvrir des éléments qui lui rappelleront sa propre histoire. C’est là que se situe le tour de force de Hosoda. Il a réussi à construire une œuvre dans laquelle on se reconnaît forcément. L’enfance, l’amour maternel, les instants d’intense bonheur et les moments plus difficiles à vivre s’étalent tout au long du film et nous donnent matière à réflexion sur ce qui est une famille dans notre monde.
Il avait déjà abordé le sujet dans Summer Wars, en montrant qu’une cellule familiale soudée pouvait triompher de l’adversité. Dans Les Enfants loups, Ame et Yuki, Hosoda ne part pas d’une structure familiale existante, préférant la construire en un peu moins de deux heures devant nos yeux ébahis. Ebahis, on ne peut que l’être devant cette performance cinématographique. Rares sont ceux qui y sont parvenus de façon aussi simple et efficace. Hosoda Mamoru a choisi de partir de la rencontre simple entre deux êtres que tout aurait pu opposer. Hana, une étudiante timide, tombe amoureuse d’un jeune homme un peu farouche qui s’avère être un homme loup. En mettant en scène cette improbable relation, le réalisateur nous rappelle le droit à la différence et surtout que l’amour est capable de bousculer les idées reçues. De leur union, naissent une fille Yuki et un fils Ame. Le père disparaît brutalement et Hana se retrouve seule à élever ses deux enfants. La jeune femme montre un nouveau visage, celle d’une femme décidée à offrir l’environnement adapté aux besoins de ses enfants même s’il s’avère hostile. La détermination de Hana est exemplaire. Elle fait son apprentissage de mère célibataire, s’appuyant sur sa seule volonté et l’amour qu’elle porte à Yuki et Ame. Tout est présenté avec une simplicité et une fluidité impressionnantes.
C’est à ce niveau que Hosoda nous bluffe totalement. Il parvient à nous entraîner dans son univers sans excès graphique ou effets spectaculaires. Et pourtant, quelle force ! Hosoda est un artisan au sens noble du terme, un orfèvre dont la précision et le souci du détail aboutissent à un chef-d’œuvre absolu. Le soin apporté au dessin, au point que l’on finit par se demander s’il ne s’agit pas parfois de prises de vue réelles, la mise en scène tirée au cordeau et le découpage impeccable donnent toute sa dimension à l’histoire de cette famille qui s’est transportée à la campagne pour trouver sa voie. Une leçon de vie qui ne tombe pas dans le pathos, mais qui invite à la réflexion. Malgré la gravité qui entoure le sujet, le réalisateur n’oublie pas l’humour. On ne peut pas s’empêcher de rire en voyant Hana hésiter entre la pharmacie et la clinique vétérinaire pour faire soigner son enfant malade. On s’amuse devant la petite Yuki qui se transforme en loup chaque fois qu’elle fait un caprice. Mais on est ému devant la persévérance de Hana qui ne recule devant aucun sacrifice pour que ses enfants soient heureux. Elle va même jusqu’à accepter que son fils Ame abandonne finalement le monde des hommes pour un retour à la nature magistral.
Parce que c’est un immense cinéaste — à la fois formidable conteur d’histoires et génial technicien — Hosoda Mamoru nous livre un film qui deviendra sans aucun doute une référence dans l’histoire du cinéma. Des millions de Japonais ne s’y sont pas trompés. Au tour des spectateurs français de se laisser entraîner.
Odaira Namihei