Le 11 janvier 2012 sortira La Colline aux coquelicots, deuxième film de Miyazaki Gorô sur un scénario de son père Hayao.
Entre votre premier film Les Contes de Terremer et La Colline aux coquelicots, cinq années ont passé. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour réaliser votre second long métrage ?
Miyazaki Gorô : Cinq ans. C’est vrai que ça fait long (rires). Cela dit, j’ai beaucoup hésité à me lancer dans un second long métrage. Après Les Contes de Terremer, je suis retourné travailler au Musée Ghibli pour m’y cacher.
Pourquoi vous cachiez-vous ?
M. G. : En fait, je me cachais au musée pour éviter mon producteur Suzuki Toshio. Si j’étais resté aux studios, je suis sûr qu’il m’aurait harcelé pour que je me lance dans un deuxième film. En tant que réalisateur, je pense que c’est plus angoissant de faire un deuxième film que de réaliser le premier. Un deuxième long métrage vient confirmer le désir de se lancer vraiment dans la carrière de metteur en scène. Cela signifie que l’on continuera à faire des films et surtout que l’on jugera plus sévèrement votre travail. Tout cela était de nature à me faire hésiter. J’appréhendais vraiment le moment où l’on me demanderait de diriger un nouveau film.
Comment s’est monté le projet La Colline aux coquelicots ?
M. G. : Après la sortie de Ponyo sur la falaise (2008), mon père, Miyazaki Hayao, a décidé que les studios Ghibli produiraient en trois ans deux films confiés à de jeunes réalisateurs. Il a dit qu’il apporterait les projets. Il y a d’abord eu Arrietty, le petit monde des chapardeurs (2010), puis La Colline aux coquelicots.
Quelle a été votre réaction lorsque votre père vous a soumis le projet ?
M. G. : Je connaissais le manga dont a été tiré le film. Je l’avais lu lorsque j’étais enfant. Aussi quand on m’a parlé du projet, je me suis souvenu de cette lecture et aussi de l’envie de faire quelque chose de ce manga. Depuis longtemps, mon père s’intéressait à cette histoire. C’était assez émouvant, car je me suis aussi rappelé des discussions qu’il avait eues, il y a une trentaine d’années, avec ses amis sur la possibilité ou non d’adapter au cinéma un shôjo, un manga pour jeunes filles. Ça m’a donc touché d’apprendre son souhait de me confier ce projet qui lui tenait tant à cœur.
Vous êtes né en 1967 et le film se passe en 1963 à une époque que nous n’avez pas connue. Comment vous êtes-vous préparé ? Est-ce que votre père vous a aidé notamment au niveau des décors ?
M. G. : Mon père m’a donné des idées pour rendre réaliste cette époque. Pour ça, il m’a donné des clés. Par exemple, il m’a rappelé qu’à l’époque il y avait encore beaucoup de pins dans le paysage, que les routes n’étaient pas forcément toutes goudronnées et que la frontière entre l’univers de la rue et le reste était bien plus floue qu’aujourd’hui avec nos trottoirs bien définis. Il m’a aussi apporté des conseils sur des détails comme la nourriture ou encore le décor intérieur. Cela dit, je ne voulais pas tomber dans une expression désuète de cette époque ou donner une couleur sépia au film même s’il se déroulait il y a près de 50 ans. Mon père m’a d’ailleurs dit qu’un film qui se déroule à une époque passée rapporte des événements qui, eux, se déroulent dans le présent de cette époque. Et le présent est toujours beau. Je crois que c’est ce qui donne le charme et l’intérêt de ce film qui ne se contente pas de montrer le passé.
Est-ce que ce film s’inscrit dans cette mode que l’on connaît actuellement au Japon et qui concerne la nostalgie des années 1960 ?
M. G. : Non, car mon objectif n’était pas de faire un film nostalgique. Je n’ai pas cherché à réaliser un film qui sublime cette époque parce qu’en fait je n’ai guère de sympathie pour la génération des années 1960.
Le thème de la guerre est assez présent dans votre film.
M.G. : Je pense que l’année 1963, moment où se déroule l’histoire, est une charnière entre deux moments de l’histoire du Japon. Avant 1963, c’était la période de l’après-guerre, celle de la reconstruction du Japon. Après 1963, c’est la période qui marque l’entrée du pays dans une croissance économique très forte. A partir de cette époque, pour les Japonais, tout se gère en fonction de l’argent. C’est pourquoi j’ai choisi de situer l’histoire en 1963, car je ne voulais pas avoir à raconter quelque chose qui soit corrompu par l’argent. Par conséquent, il est normal que la mémoire de la guerre soit omniprésente dans le film, car c’était un sujet encore très présent dans les conversations et dans le quotidien des Japonais de 1963. Ils avaient été victimes de la guerre. Il est donc naturel que ce sujet ait une influence sur la vie des adolescents. C’était inévitable.
Concernant les personnages, notamment celui d’Umi, je me demandais si vous vous étiez inspiré des vedettes féminines du cinéma des années 1950-1960 comme Yoshinaga Sayuri par exemple.
M. G. : Effectivement. J’ai vu beaucoup de films de cette époque, en particulier ceux produits par la Nikkatsu qui s’était spécialisée dans ce qu’on appelait les films pour la jeunesse (seishun eiga). D’une certaine façon, j’ai voulu recréer le charme de ces films dans La Colline aux coquelicots. C’est sans doute pour cela que le personnage d’Umi vous a rappelé une actrice comme Yoshinaga Sayuri.
En revanche, l’autre personnage principal, Shun, donne moins l’impression d’être sorti de ces fameux seishun eiga.
M. G. : C’est vrai peut-être parce que Shun est davantage le reflet de ma propre personne (rires). Les garçons de cet âge sont souvent maladroits vis-à-vis des filles ou même à l’égard de la société en général. Même s’ils sont passionnés, ils ont souvent bien du mal à exprimer leur passion. C’est peut-être tout cela qui s’est traduit dans le personnage de Shun.
C’est en cela qu’il vous ressemble ?
M. G. : C’est bien possible (rires). D’ailleurs, quand mon père a vu le film pour la première fois, il m’a dit que le Shun qu’il avait imaginé dans le scénario original n’était pas aussi maladroit que celui qu’il venait de découvrir. Et il a ajouté : “Ça, c’est du Gorô tout craché !”.
Propos recueillis par Gabriel Bernard
La Colline aux coquelicots : optimisme à tous les étages
Bien que Miyazaki Gorô s’en défende, son dernier film appartient tout de même à cette vague de productions qui décrivent avec plus ou moins de justesse les années 1960 dans l’archipel. Depuis un peu moins d’une décennie, les Japonais plébiscitent les films qui leur rappellent cette époque révolue où le Japon à peine sorti de la guerre s’était lancé dans sa reconstruction avec un certain entrain. En témoigne le succès de la série Always, san chôme no yûhi [Always, soleil couchant sur le quartier de san chôme] dont le troisième volet, qui se déroule en 1964 au moment des Jeux olympiques de Tôkyô, sortira sur les écrans japonais en 2012. Les Jeux olympiques sont très présents au travers des slogans ou d’affiches dans le film de Miyazaki qui décrit une époque pleine d’espoir et de rêves. Deux éléments qui font, semble-t-il, défaut au Japon en ce début de XXIème. Il y a l’espoir d’un amour entre Umi et Shun, même si leur histoire s’annonce au départ compliquée. Il y a le rêve des lycéens de sauver leur foyer en bien mauvais état et voué à la destruction. Il y a l’espérance de lendemains qui chantent pour un pays qui ne rechigne pas à l’effort. Miyazaki joue parfaitement avec ces deux éléments tout au long du film de telle manière qu’on ressort ragaillardi après la projection. Le jeune réalisateur est un générateur d’ondes positives qui amènent le spectateur à voir le monde avec un peu plus d’optimisme. Dans le Japon de l’après 11 mars, c’est d’autant plus indispensable que bon nombre de Japonais comparent les événements du printemps 2011 au choc subi après la défaite de 1945. Au lendemain du conflit, le cinéma avait joué un rôle important dans la création et l’entretien d’une forme d’optimisme dans le pays. Parmi les productions phares de l’époque, on peut citer Aoi sanmyaku [Les Montagnes vertes, 1949] d’Imai Tadashi dont la chanson du générique disait “Adieu vieille veste, adieu rêves tristes, nous nous tournons vers les nuages roses et les montagnes vertes”. A sa façon, Miyazaki Gorô renoue avec ce genre de film qui donne la pêche au public quel que soit son âge. Chacun peut en effet y trouver sa part de rêve. Merci Gorô-san.
G. B.