Lorsque vous vous présentez, vous dites que vous êtes le seul journaliste de la forêt (shinrin jânarisuto). Expliquez-nous votre démarche.
Tanaka Atsuo : Je dois dire que je suis le seul à m’appeler ainsi. Je l’ai fait parce que je voulais que l’on fasse attention au sujet sur lequel je travaille. Il y a d’autres confrères qui s’intéressent à cette question, mais nous sommes très minoritaires. Ce que je désigne par “journalisme de la forêt” (shinrin jânarizumo), c’est un journalisme qui met en avant les rapports entre l’homme et la forêt et qui en définitive met l’accent sur la forêt. Au Japon, il y a des journalistes spécialistes de l’environnement qui comprend aussi les questions forestières. Il y a aussi ceux qui s’intéressent à l’industrie, y compris celle du bois. En revanche, il y en a très très peu qui traitent de la forêt dans sa globalité. Malheureusement, au Japon, il existe une dichotomie entre l’environnement et l’économie, parfois même une opposition très forte. C’est la raison pour laquelle on évoque rarement les sujets relatifs à la forêt dans les médias. On retrouve une situation similaire entre l’industrie du bois et ceux qui font de la recherche dans le domaine de la forêt. Il n’y a presque aucun dialogue entre eux et chacun travaille dans son coin. Tout cela m’a donc amené à me présenter comme le “journaliste de la forêt”, car mon objectif est de traiter la forêt sous tous ses aspects et d’y intéresser le plus grand nombre.
Quelles sont les particularités de la forêt japonaise ?
T. A. : Si l’on compare à l’Europe, je dirais qu’au Japon, il existe une très grande diversité au niveau des sols et des couches biologiques. En conséquence, il y a dix fois plus d’espèces végétales que sur le continent européen. Cela se retrouve également au niveau des insectes et de la faune sauvage qui sont plus riches. Il faut ajouter des terrains accidentés et des changements climatiques importants sur un territoire somme toute étroit. Par ailleurs, le Japon n’a pas connu d’ère glacière comme en Europe, ce qui a eu une incidence sur la variété des essences d’arbres. On trouve ainsi aussi bien des forêts de conifères à feuillage caduc au nord, des forêts de feuillus à feuillage persistant ou des forêts subtropicales en fonction des lieux et du climat. Cette diversité se retrouve au niveau de la culture du pays. Je dois ajouter également qu’une grande partie de la forêt au Japon est due à l’homme. Cela concerne environ 40 % des forêts. Le reste a aussi subi l’influence de l’homme en fonction des âges et des besoins agricoles. Les forêts qui n’ont pas été affectées par l’homme sont extrêmement rares. Voilà pourquoi il est indispensable de continuer à s’occuper des forêts si l’on ne veut pas voir la situation se dégrader.
Parlez-nous du poids économique de la forêt.
T. A. : La forêt représente près de 70 % du territoire japonais. De nombreux villages dépendent d’activités liées au bois. Si ces activités ne sont pas soutenues, cela se traduira pas une crise au niveau local. Le Japon est un pays de forêts artificielles fondées sur un savoir-faire. Si elles ne sont pas entretenues, ces connaissances se perdront et les forêts s’affaibliront. Il devient donc peut-être malsain d’avoir autant de couverture forestière. Le Japon est pauvre en matières premières, en dehors du bois. Il pourrait devenir autosuffisant, mais jusqu’à présent il a été incapable de l’utiliser correctement.
Il y a une dizaine d’années, vous avez écrit un ouvrage intitulé “Pourquoi la forêt est-elle en danger ?”. Qu’en est-il aujourd’hui ?
T. A. : J’avais rédigé ce livre à l’époque parce que les Japonais disposaient de très faibles connaissances sur la forêt et manifestaient peu d’intérêt pour l’industrie du bois. Cela n’a guère changé aujourd’hui. Cependant, il y a un point supplémentaire qui me préoccupe. Il s’agit de la politique hésitante menée par les autorités dans le domaine forestier. La crise actuelle sur les matières premières dans le monde touche aussi le bois. Les pays se livrent à une concurrence très sévère. Dès lors, on a de plus en plus tendance à se tourner vers la production locale. La règle veut qu’une fois le bois coupé il faut replanter. Or, on constate de plus en plus de cas où les zones d’abattage sont laissées à l’abandon. La gestion des forêts ne vaut rien s’il n’y a pas de plans à long terme. C’est à la fois valable pour les forêts artificielles et les forêts naturelles. Malheureusement, les responsables en charge de la forêt ayant une vision à long terme sont rares. Dans un pays comme le Japon où les dirigeants politiques ne restent pas longtemps en place, où les bureaucrates changent souvent d’affectation, il est bien difficile de mettre en œuvre une politique de longue haleine. Les propriétaires forestiers, quant à eux, vont vivre de plus en plus en ville et perdent le sens des réalités quand il s’agit de gérer leurs forêts. En définitive, je reste assez inquiet malgré l’existence d’une couverture forestière importante.
A quel avenir est promis la forêt au Japon ?
T. A. : Je pense sincèrement que le potentiel forestier du Japon est très important. Comme je le faisais remarquer tout à l’heure, l’archipel dispose de nombreuses ressources forestières et bénéficie d’un climat propice à la pousse des végétaux. Il existe un marché non négligeable pour le bois et les Japonais disposent d’un savoir-faire en matière de protection de l’environnement. Si l’on parvient à tout faire fonctionner, chacun en tirera bénéfice et la forêt se portera mieux. Toutefois, il existe un problème majeur aujourd’hui, c’est l’absence d’une politique concertée et voulue par des dirigeants désireux de suivre cette voie. Cela me rend un peu pessimiste.
Propos recueillis par Odaira Namihei