Non loin de la capitale, des irréductibles se mobilisent pour rappeler l’importance de préserver et entretenir la forêt.
A cheval entre Tôkyô et la préfecture de Saitama, la colline de Sayama étend ses 3500 hectares de verdure aux abords de la mégalopole. C’est ici que Miyazaki Hayao a imaginé Totoro, un de ses personnages les plus célèbres. Celui-ci est à la fois devenu l’idole des enfants et un symbole de la défense de la forêt. “M. Miyazaki a l’habitude de venir se promener ici. Il vient ici en voisin”, sourit Andô Toshihiko, président honoraire de la Fondation Totoro. D’une superficie de quelques milliers de mètres carrés, la petite forêt Totoro a été la première des quatorze parcelles de forêt acquises par la fondation depuis 1991. Un petit morceau de terrain qui a coûté la somme faramineuse de 60 millions de yens [566 000 euros]. “A l’époque, nous étions en pleine bulle financière et immobilière. Aujourd’hui, la valeur de cette parcelle a diminué de 10 %”, explique M. Andô. “L’urbanisation forcenée des années 80 a poussé les propriétaires terriens de Sayama à faire appel aux associations de protection de l’environnement pour qu’une partie des satoyama (voir définition ci-dessous) soit rachetée. C’est ainsi que notre fondation est née”, ajoute-t-il. A présent, elle possède 2,7 ha de forêt et multiplie les initiatives pour son entretien. “Contrairement aux forêts naturelles, le satoyama dépérit s’il est laissé à l’abandon. Les gens viennent y jeter leurs ordures ou construire des habitations. C’est une forêt qui doit être entretenue”, poursuit son président.
A travers un ravissant sentier boisé, nous passons devant un vestige de la vie passée, un trou recouvert de branchages qui servait de garde-manger aux villageois. “Le satoyama fournissait autrefois des ressources inestimables comme le bois de chauffe, le compost et les terres arables. Mais avec l’arrivée du pétrole et des engrais chimiques, cet équilibre entre les hommes et leur habitat naturel s’est rompu”, rappelle Andô Toshihiko. Ce professeur en sciences sociales à l’université de Saitama se passionne pour l’écosystème des forêts satoyama. “Ce type de forêt s’est developpé autour de l’agriculture traditionnelle, riziculture ou plantations de thé, qui demandait l’entretien de points d’eau où les animaux venaient aussi s’abreuver. Avec la disparition de ces activités, la faune est aussi menacée”, souligne-t-il. Le vieillissement de la population autour du satoyama est aussi une cause de sa fragilisation. “Nous n’avons pas assez de volontaires pour entretenir toute la forêt. Mais grâce aux dons et l’acquisition de parcelles supplémentaires, nous espérons développer une nouvelle forme de cohabitation entre les hommes et la nature”, assure-t-il.
C’est au pied d’une colline, dans la ville de Tokorozawa, que la Fondation Totoro a élu domicile. Il s’agit d’une maison à thé centenaire toute droit sortie d’un film de Miyazaki. Dans cette demeure baptisée Kurosuke no ie, en souvenir des petites boules noires du film Mon voisin Totoro, une poignée de membres de l’organisation mettent sur pied des ateliers de recherches sur la biodiversité ou des fermes expérimentales dans le satoyama pour redynamiser l’agriculture locale. “L’éducation joue aussi un rôle important dans nos activités. Des volontaires confectionnent des jouets et des maquettes inspirés de Mon voisin Totoro à base de bois ou de mousse pour expliquer aux enfants le rôle vital de la forêt”, ajoute Andô Toshihiko. Au deuxième étage de la maison, on découvre une immense pièce qui servait autrefois d’atelier de tissage de la soie. “La région était connue pour la sériciculture. Il sera difficile de faire renaître cette activité, mais nous avons tenu à garder les vieux métiers à tisser.” Un atelier traditionnel de confection de thé ouvrira bientôt ses portes dans une maison annexe. L’ancien propriétaire des lieux était Wada Ryôichi, un cultivateur dont le thé est reputé dans toute la préfecture.
Derrière le comptoir de sa boutique, M. Wada nous raconte comment parfois il reçoit la visite inopinée de Miyazaki sensei, maître Miyazaki, comme on l’appelle affectueusement ici. Depuis la catastrophe du 11 mars, le cinéaste a organisé de petites manifestations antinucléaires dans le quartier avec les membres du studio Ghibli. Il ne manque pas de s’étonner de l’absence de réactivité des médias. “Nous continuons à faire des tests de radioactivité sur nos plantations”, explique Wada Ryôichi. “Personne ne peut prévoir les retombées sur Tôkyô dans les mois qui viennent et nous restons très vigilants.”
Les scénarios futuristes des films Nausicaä ou Princesse Mononoke rappellent avec une mordante réalité l’accident nucléaire de Fukushima et ses conséquences sur la nature. “Il y a deux types de forêt. La forêt où pénètrent les hommes et la forêt profonde”, dit M. Wada à voix basse. Au cœur des collines de Sayama, se trouve un lac qui alimente la capitale en eau potable. Protégé par la forêt et interdit au public, le lac Sayama repose près d’un ilôt de fraîcheur d’où on peut admirer, les beaux jours d’hiver, le Mont Fuji. “Au Japon, on dit que la montagne purifie l’eau”, rappelle Wada Ryôichi, en montrant les collines verdoyantes de Sayama. Une vision présente dans tous les films de Miyazaki et qui rappelle que la forêt est à l’origine de toute vie. “Comme dans Mon voisin Totoro, il y a des moyens de cohabiter avec la nature. Et les Japonais à travers le satoyama l’ont compris depuis longtemps”, conclut M. Wada.
Alissa Descotes-Toyosaki
Définition
Satoyama : Au Japon, il existe des forêts où les hommes et la nature cohabitent depuis longtemps. On les appelle satoyama, mot forgé avec les idéogrammes village et montagne. Un mode de vie harmonieux que la Fondation Totoro veut préserver.